Taïwan

Taïwan : de la diplomatie dans le Pacifique Sud aux tensions dans le détroit

Les observateurs relèvent les dimensions plus alarmantes des dernières manœuvres chinoises, et leur degré évident de sophistication. Les observateurs relèvent les dimensions plus alarmantes des dernières manœuvres chinoises, et leur degré évident de sophistication. © LAC Amanda McErlich / U.S. Navy (CC BY 3.0 NZ)
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Après le premier officiel à l’étranger du président taïwanais Lai Ching-te (du 30 novembre au 6 décembre dans le Pacifique Sud), la réaction de Pékin ne s’est pas fait attendre. Les banderoles de bienvenue et les promesses de coopération future ont rapidement cédé la place à de nouvelles tensions autour de Taïwan. Le géopolitologue Olivier Guillard rappelle que les manœuvres militaires chinoises lancées ces derniers jours étaient attendues, même si les observateurs relèvent leurs dimensions cette fois-ci plus inquiétantes.

Du 30 novembre au 6 décembre dans le Pacifique Sud, le président Lai Ching-te réalisait son premier déplacement officiel à l’étranger depuis son entrée en fonction au printemps, auprès de ses ultimes alliés dans la région (îles Marshall, Tuvalu et Palau).

Ces cinq dernières années en effet, à la suite du lobbying de la Chine, les îles Salomon, Kiribati et Nauru ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan au profit de Pékin. À cette heure, seuls 12 États – mineurs pour la plupart, à l’exception du Saint-Siège – ont des relations diplomatiques officielles avec Taïwan, ce qui pour rappel ferme automatiquement les portes aux rapports diplomatiques avec Pékin pour les pays concernés.

En attendant, durant une semaine, le dirigeant taïwanais a été plus que bien accueilli, entre les banderoles de bienvenue, les drapeaux agités avec entrain, les sourires, les poignées de mains et les promesses de coopération future. Cependant, l’intéressé est revenu durement à la réalité dès son retour dans l’île rebelle, en soirée du 6 décembre.

Depuis l’autre rive du détroit de Taiwan, la République populaire de Chine n’a pas fait de mystère sur son irritation quant au déplacement présidentiel taiwanais, « promettant » au visiteur de Taipei comme à ses hôtes insulaires de Micronésie des conséquences concrètes et sans tarder.

Le 10 octobre lors de la fête nationale taïwanaise, le président Lai Ching-te a déclaré que la Chine continentale n’a « aucunement le droit de représenter Taïwan ».
Le 10 octobre lors de la fête nationale taïwanaise, le président Lai Ching-te a déclaré que la Chine continentale n’a « aucunement le droit de représenter Taïwan ». Crédit : needpix.com

De nouvelles tensions attendues après un tel voyage diplomatique

Dans la capitale taiwanaise, les autorités n’avaient pas pris ces « avertissements » pékinois pour de simples bravades sans lendemain, et s’attendaient donc à des conséquences amères. D’autant plus que le président Lai a inclus dans son voyage quelques escales brèves mais si symboliques et immanquables sur le sol américain. Il s’est notamment rendu à Hawaï, où il a prononcé un discours à l’East-West Center, ainsi qu’à Guam (2 500 km à l’est de Manille).

Ce voyage a provoqué des mots évidemment très durs de la part de la diplomatie chinoise comme des médias d’Etat (Global Times du 6 déc.), pour qui « L’escale de Lai [sur le sol US] était une astuce politique des États-Unis visant à utiliser la question de Taïwan pour contenir la Chine » (China Daily, 6 décembre 2024).Lai Ching-te est par ailleurs régulièrement présenté sous le vocable de « séparatiste » par les autorités et la presse chinoises.

Ainsi, avant même que le président Lai ne décolle de l’ancienne Formose pour son périple insulaire vers la Micronésie taïwano-compatible, la menace de nouvelles manœuvres militaires chinoises massives organisées autour ou à proximité de l’île rebelle planait avec certitude sur ses 23 millions d’habitants. Taipei a donc préparé la population en amont, de Keelung (nord de Taiwan) à Hengchun (pointe sud), à la perspective de nouvelles tensions.

Près d’une centaine de bâtiments chinois déployés

La météo délicate du week-end dernier a pu retarder dans une certaine mesure cet énième déploiement des forces navales (marine et garde-côtes) chinoises dans le détroit de Taiwan. Mais lundi 9 décembre, le gouvernement taiwanais recensait la présence de près d’une centaine de bâtiments chinois à proximité de l’île, ventilés entre le détroit de Taiwan, la mer de Chine du Sud et celle de l’Est ou encore au large de l’archipel nippon voisin.

En parallèle, Pékin décrétait sept zones d’espace aérien interdit (à l’ouest et au nord de Taiwan) entre le 9 et le 11 décembre. Un message aussi limpide que peu surprenant : c’est une jurisprudence discutable mais hélas d’une grande constance. En août 2023, lorsque le vice-président de l’époque Lai Ching-te (aujourd’hui chef de l’État) revenait des États-Unis, ainsi qu’en avril 2023 lorsque la présidente d’alors Tsai Ing-wen achevait son séjour californien, les forces armées chinoises avaient fait des démonstrations de force particulièrement suggestives dans la périphérie immédiate de l’île.

Lors de ses brèves visites successives à Majuro (îles Marshall), Nauru (10 000 habitants) et Melekeok (Palaos), les propos du successeur de Mme Tsai Ing-wen à la présidence taiwanaise ont pourtant prioritairement cherché à réduire les crispations avec Pékin plutôt qu’à les attiser, à l’instar de cette formule très imagée : « Il vaut mieux ouvrir les mains que serrer les poings. »

Vue aérienne de Taipei, la capitale taïwanaise.
Vue aérienne de Taipei, la capitale taïwanaise. Crédit : pxhere.com

« La Chine continentale n’a aucunement le droit de représenter Taïwan »

Cependant les autorités taïwanaises, tout en déplorant à bon droit une telle réaction militaire, ne sauraient se montrer prises au dépourvu tant ces mises en gardent tendent à ce répéter. En mai, peu après l’investiture du président Lai, les forces chinoises avaient engagé dans la périphérie immédiate de l’île les manœuvres baptisées « Joint Sword-2024A » (« Epées tranchantes unies-2024A »), afin de sanctionner « l’aveu de l’indépendance de Taïwan » que Pékin avait perçu dans le discours du nouveau chef de l’Etat taïwanais.

Moins d’un semestre plus tard, bis repetita ; quatre jours après le discours prononcé par Lai Ching-te pour la fête nationale (célébrée le 10 octobre), de nouvelles manœuvres militaires massives baptisées « Joint Sword-2024B »(125 avions et 17 navires de guerre chinois enserrant Taïwandurant une douzaine d’heures) étaient lancées en réponse aux aspirations à la liberté de Taipei et aux convictions de son nouveau président.

Durant son allocution à cette occasion, ce dernier avait déclaré que la Chine continentale n’avait « aucunement le droit de représenter Taïwan », et il avait assuré vouloir résister lors de son mandat à toute velléité (chinoise) « d’annexion et d’empiètement sur la souveraineté » (Les Echos, 14 octobre 2024) de l’île.

Fébrilité de Taipei face au retour de Trump à Washington

En ce 10 décembre 2024, les observateurs relèvent cependant les dimensions plus alarmantes des dernières manœuvres chinoises, et leur degré évident de sophistication. Cette complexité croissante des exercices militaires chinois répondrait aux deux objectifs principaux assignés par le pouvoir central chinois.

Premièrement, il s’agirait d’une part de faire comprendre très concrètement à Taipei la mesure de la colère de Pékin, et ce qu’il en coûte de l’irriter par des « initiatives diplomatiques » aussi hardies. Deuxièmement, cela permettrait d’autre part d’offrir aux forces chinoises des possibilités d’entraînement opérationnel en conditions réelles sur un théâtre majeur de crise.

Enfin, ces derniers événements sont l’occasion de signaler ici d’un mot la fébrilité évidente – voir l’inquiétude réelle – qui prévalent aujourd’hui à Taïwan depuis la confirmation du retour imminent (en janvier 2025) de Donald Trump à la Maison Blanche pour un deuxième mandat quadriennal. À Taipei, Kaohsiung ou Taichung, ses velléités répétées de « surfacturation » du parapluie diplomatique et militaire américain troublent légitimement le sommeil déjà léger des autorités de Taipei.

(Ad Extra, Olivier Guillard)