Taïwan et le Vatican célèbrent huit décennies de reconnaissance mutuelle (1942-2022)
Le Premier ministre Chen Chien-jen (au centre, en 2016 au Vatican) a participé à une réception récente de la nonciature apostolique, dans le cadre de l’anniversaire des relations bilatérales. © Presidential office (CC BY 2.0) ; UcanewsLe 14/10/2023
La République de Chine (Taïwan) et le Vatican entretiennent des relations diplomatiques officielles depuis le 23 octobre 1942. L’année dernière marquait les 80 ans de reconnaissance mutuelle, mais c’est cette année qu’a été marqué cet anniversaire, décalé d’un an en raison des restrictions sanitaires. Plusieurs événements ont eu lieu dont une réception officielle à la nonciature apostolique de Taipei, un symposium de réflexion sur la nature et le sens des relations bilatérales et une exposition à l’ambassade taïwanaise au Vatican.
Le 23 septembre dernier, la conférence épiscopale régionale chinoise (nom officiel de la Conférence des évêques catholiques de Taïwan) et l’Institut de recherche académique catholique de l’Université catholique Fu Jen ont organisé un symposium pour marquer le « 80e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre le Vatican et la République de Chine (Taïwan) ».
Les interventions et discussions de cette journée de recherche étaient animées par le Chargé d’affaires du Saint-Siège à Taipei, Mgr Stefano Mazzotti, le président de l’Université catholique Fu Jen, Mgr Pierre Liu Cheng-chung, et le recteur de l’Université, Vincent Chiang Han-sun. Une rétrospective des 80 dernières années a été dressée pour échanger autour des relations actuelles et de l’enracinement approfondi des coopérations futures au service de l’engagement bilatéral sur le chemin de l’Église œcuménique.
Une diplomatie confiante, gage de stabilité entre Taipei et le Saint-Siège
Outre ce symposium organisé par la conférence épiscopale, la nonciature apostolique à Taipei a organisé une réception pour célébrer les dix ans de pontificat du pape François en même temps que le 81e anniversaire des relations bilatérales, à laquelle ont pris part le Premier ministre taïwanais Chen Chien-jen, catholique pratiquant, le directeur des affaires européennes au ministère des Affaires étrangères, Vincent Yao, ainsi que de nombreux représentants étrangers en poste à Taipei.
À cette occasion, Mgr Stefano Mazzotti a souligné l’excellente santé des relations bilatérales entretenues entre le Vatican et Taïwan, à la lumière des 80 années de reconnaissance diplomatique officielle. Il a notamment souligné que « les relations officielles entre le Saint-Siège et Taïwan sont de la même teneur que toutes les autres relations diplomatiques entre deux pays souverains. Nous reconnaissons mutuellement notre rôle et notre légitimité sur la scène internationale. »
Mgr Mazzotti a aussi indiqué la profonde signification des liens bilatéraux, qui consistent en « la communion de l’Église catholique universelle et des catholiques taïwanais », ces derniers contribuant activement au renforcement des échanges mutuels de par la richesse, la diversité et la pluralité de leurs origines identitaires.
Taïwan soutient les efforts de l’Église vis-à-vis de la Chine
Le rapprochement du Saint-Siège et de Pékin opéré en 2018 avec l’accord provisoire sur la nomination des évêques, reconduit à deux reprises depuis malgré les difficultés du dialogue, a ravivé la question des relations entre Taïwan et le Vatican sur la scène internationale, de même que la main tendue du pape François aux autorités chinoises à plusieurs reprises. Le mois dernier, lors de sa visite en Mongolie, le pape a par ailleurs salué le peuple chinois et exhorté les catholiques de Chine à vivre « en bon chrétien et en bon citoyen ».
À Taïwan, ce n’est pas une réaction d’inquiétude que les autorités affichent, ces dernières prononçant même leur soutien aux efforts du Saint-Siège visant à engager un dialogue avec la Chine dans l’objectif de défendre et « améliorer la situation de la liberté religieuse et des droits de l’homme ». Le porte-parole de la Diplomatie taïwanaise Jeff Liu a rappelé que Taïwan partage ces mêmes valeurs avec le Vatican et que « fidèle à ses valeurs de liberté religieuse et de défense des droits humains, Taïwan n’avait de cesse de soutenir cette voie pacifique du dialogue pour résoudre les différends sur les questions religieuses ».
En plus de cette attitude positive affichée, Jeff Liu a ajouté que Taïwan soutenait une aide active en œuvrant aux côtés de son partenaire pour promouvoir et approfondir les coopérations engagées en matière d’aide humanitaire dans le monde, de soins et d’éducation, dans le cadre des échanges bilatéraux entretenus depuis ces huit décennies.
Le gouvernement taïwanais a enfin rappelé, comme pour lever toute inquiétude éventuelle, que le souhait de dialogue voulu par le Vatican n’inclut aucune dimension politique mais reste strictement dans la sphère des affaires religieuses, au même titre que l’accord sur la nomination des évêques. Toutefois, Pékin a déjà réitéré à plusieurs reprises qu’une avancée des relations sino-vaticanes ne pourrait avoir lieu qu’à la condition que le Vatican rompe préalablement ses liens officiels et échanges avec Taïwan, ce que le Saint-Siège se refuse de faire.
Les catholiques sereins face aux tensions dans le détroit de Taïwan
À la question d’un risque de conflit ou d’isolement de l’île, d’une manière générale, les Taïwanais sont davantage pragmatiques, préoccupés en premier lieu par les problèmes d’ordre économique, et ils estiment peu probable une guerre avec la Chine. Pour la majorité des fidèles catholiques qui représentent environ 1 % de la population taïwanaise, les tensions accrues entre les deux rives du détroit de Taïwan ne sont ni nouvelles, ni source d’inquiétude majeure. Ils séparent clairement le plan diplomatique des relations Taïwan-Vatican du plan confessionnel de la vie de l’Église locale.
« Ce sont deux niveaux totalement différents », comme le résume le père Jeffrey Chang, recteur de la faculté de théologie Saint Robert Bellarmine, qui ajoute que la vie de l’Église locale n’est pas suspendue à la question de la reconnaissance diplomatique entre la République de Chine (Taïwan) et l’État du Vatican. Au quotidien, la plupart des catholiques vivent leur foi indépendamment de ces questions politiques. Ce n’est pas la reconnaissance diplomatique ou non qui dicte leur pratique religieuse.
Dans le même temps, les communautés chrétiennes de Taïwan prient régulièrement pour la paix dans le détroit et dans le monde, lors des offices dominicaux qui sont aussi l’occasion de prier pour les chrétiens chinois et les personnes persécutées en raison de leurs convictions. Les liens spirituels existent plus que les tensions ou inquiétudes. Toutefois, le père Chang concède qu’il est vrai qu’en cas d’éventuelle rupture diplomatique au profit de Pékin, même sans abandonner Taipei pour autant, certains vivraient cela avec un sentiment – sinon d’abandon – du moins de mauvaise image sur le plan de la confiance et de contre témoignage sur le plan du dialogue et de l’autorité morale.
Participation active de l’Église locale à la vie de l’Eglise universelle
Ordonné évêque en avril 2002, Mgr Norbert Pu, nommé par le pape François, administre le diocèse de Chiayi (sud-ouest de Taïwan). Il incarne la participation active de l’Église catholique taïwanaise à la vie de l’Église et aux activités du Saint-Siège, à commencer par la formation dispensée aux nouveaux évêques, sous l’égide du Dicastère pour l’évangélisation, à laquelle il a pris part au début du mois de septembre. Des évêques des sept diocèses de Taïwan, c’est aussi Mgr Norbert Pu qui participe ce mois-ci à l’Assemblée plénière du Synode qui vient de s’ouvrir au Vatican.
Outre les pasteurs, les fidèles taïwanais sont aussi actifs dans la vie de l’Église, comme en témoigne la présence festive et diversifiée de plus de 300 jeunes catholiques aux JMJ de Lisbonne avec l’archevêque de Taipei, Mgr Thomas Chung An-zu, qui compte plus que jamais sur ce terreau dynamique pour transmettre l’Évangile au sein de la société, face au déclin du nombre de croyants accentué par la démographie vieillissante.
(EDA / François-Xavier Boulay)