Un discours électoral de Narendra Modi qualifie les musulmans indiens d’« infiltrés »

La mosquée de Jama Masjid, la plus grande en Inde, Delhi Nord. La mosquée de Jama Masjid, la plus grande en Inde, Delhi Nord. © Hamza Ali / CC BY-SA 4.0 DEED
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Le premier ministre Narendra Modi se garde habituellement de verser publiquement dans l’islamophobie, laissant à d’autres personnalités de son parti nationaliste hindou du BJP le soin d’attiser les divisions religieuses. En lice pour un troisième mandat à la tête de l’Inde dans le cadre des élections législatives qui se déroulent actuellement dans le pays, Narendra Modi a dérogé à sa prudence lors d’un rassemblement électoral. Faisant directement allusion aux musulmans indiens, le premier ministre les a qualifiés d’« infiltrés ». Ses propos ont provoqué une levée de boucliers au sein de l’opposition et de la société civile.

Le dimanche 21 avril, en pleine campagne électorale dans l’État du Rajasthan, le premier ministre Narendra Modi a accusé le Congrès, principal parti d’opposition de centre gauche, de vouloir favoriser « ceux qui ont le plus d’enfants, les infiltrés ». Il a agité cette éventualité si le Congrès remporte les élections, alors que les Indiens sont actuellement appelés à élire leurs députés au parlement, dans un scrutin qui se déroule en sept phases géographiques et qui s’achèvera le 1er juin. À travers ses propos virulents, le premier ministre nationaliste hindou signe le retour assumé de son islamophobie sur la place publique.

Jouant ouvertement sur la division religieuse et le sentiment antimusulman, le discours du premier ministre évoque ainsi l’idée que le parti du Congrès voudrait distribuer « la richesse produite par la nation » (« l’or et les bijoux » des femmes hindoues) à la minorité musulmane. Narendra Modi détourne un discours du Congrès, formulé il y a quelques années, qui appelait à partager équitablement les richesses du pays entre les Indiens.

La deuxième caractéristique de ses propos est le recours à une théorie du complot amplement véhiculée par l’extrême droite hindoue : la minorité musulmane ferait davantage d’enfants que les hindous, cherchant à détrôner leur hégémonie démographique pour prendre le contrôle du pays. Cette stratégie serait notamment mise à exécution par le « love jihad », technique qui consisterait, pour les hommes musulmans, à séduire des femmes hindoues afin de les convertir à leur religion. Sans fondement, cet argument a pourtant conduit plusieurs États de l’Inde à adopter des lois anti-conversion depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014.

L’idéologie du BJP combat les valeurs laïques et multiconfessionnelles de l’Inde

La stigmatisation des musulmans, qui représentent près de 200 millions d’Indiens, est une dérive inhérente à l’idéologie du parti nationaliste hindou (BJP), au pouvoir depuis 2014, et dont l’ambition est de transformer l’Inde en une nation hindoue. Ce courant politique combat les valeurs laïques et multiconfessionnelles de l’Inde, proclamées par sa Constitution aux lendemains de l’Indépendance de 1947.

En dix ans, les attaques et incidents visant la minorité musulmane se sont multipliés en Inde, ainsi que les discours incitant à la haine. Sur les réseaux sociaux, les publications stigmatisant les musulmans sont légion et sont relayées par des armées de trolls à la solde du gouvernement. En 2019, lors de la précédente campagne électorale, Amit Shah, ministre de l’Intérieur et fidèle lieutenant de Narendra Modi, a traité les migrants – musulmans pour beaucoup d’entre eux – de « termites ». Cet hiver, le gouvernement a annoncé l’activation d’une loi très controversée qui entend accorder la nationalité aux réfugiés des pays voisins, à l’exception des musulmans.

La semaine dernière, les propos virulents du premier ministre ont provoqué l’indignation au sein de l’opposition et de la société civile. Une pétition citoyenne a demandé à la Commission électorale de sanctionner le discours de Narendra Modi. De la même manière, Mallikarjun Kharge, le président du Congrès, a dénoncé un « discours de haine » et exigé que la Commission électorale prenne des mesures appropriées contre le premier ministre.

Longtemps réputée pour son impartialité, la Commission électorale est chargée en Inde de veiller à l’application des codes de conduite de la part des candidats et au bon déroulé des scrutins électoraux. Garante du fonctionnement démocratique de l’Inde, cette commission s’avère néanmoins de moins en moins indépendante, en particulier depuis la nomination récente, à sa tête, de deux responsables proches du pouvoir.

Dans l’immédiat, Narendra Modi a choisi de remettre l’islamophobie au cœur de son discours électoral. Une stratégie qui, au long de sa carrière politique liée à la montée en puissance du nationalisme hindou, a été couronnée de succès.

(Ad Extra / Antoine Buffi)