Visite papale en Asie du Sud-Est : pourquoi le pape n’a jamais été invité en Malaisie
La cathédrale Saint-Jean-l’Évangéliste de Kuala Lumpur, devant la tour Menara Kuala Lumpur ou Tour KL (421 m de haut). © Two hundred percent / CC BY-SA 3.0 DEEDLe 04/05/2024
Une nonciature apostolique a été créée à Kuala Lumpur en 2013, et un premier ambassadeur malaisien près le Saint-Siège a été nommé en 2016. Mais la Malaisie n’a jamais envoyé d’invitation officielle au pape, semble-t-il plus pour des raisons politiques que religieuses, par crainte de ceux qui l’accuseraient de céder face aux non musulmans en renforçant ses liens avec le Vatican. Le pays compte une forte majorité musulmane sur 34 millions d’habitants (pour seulement 3 % de catholiques, dont une majorité à Bornéo).
Quand le Saint-Siège a annoncé la visite du pape François dans quatre pays d’Asie du Sud-Est en septembre prochain, le gouvernement indonésien a envoyé un message d’accueil et évoqué la portée significative de ce voyage. Le président Joko Widodo avait envoyé une invitation officielle le 25 mars. De son côté, le ministère de l’Intérieur de la république musulmane a souligné que la venue du pape en Indonésie est importante « non seulement pour les catholiques, mais aussi pour toutes les communautés religieuses » du pays.
« Cette visite devrait permettre de renforcer le message de tolérance, d’unité et de paix », a ajouté le ministère. Tout en défendant l’identité religieuse et culturelle de l’Indonésie, le gouvernement ne voit pas la visite du chef de l’Église catholique comme une menace envers l’islam ni comme une source potentielle de violences religieuses, même si de nombreuses tensions entre chrétiens et musulmans ont eu lieu dans l’archipel au cours des dernières décennies, en particulier dans l’est du pays. L’Indonésie, qui compte la plus grande population musulmane au monde avec 230 millions de fidèles sur 275 millions d’habitants, a déjà eu deux visites papales au siècle dernier – en 1970 et en 1989.
Aucun gouvernement n’a jamais invité le pape en Malaisie
La Malaisie, d’un autre côté, n’a jamais eu de visite d’un pape, pour une simple raison : son gouvernement n’a jamais envoyé d’invitation au Saint-Siège. Bien qu’aucune raison n’ait été donnée par les autorités, beaucoup estiment qu’il s’agit là plus de politique que de religion. Les dirigeants malaisiens se sont toujours vus comme des défenseurs de l’islam et des droits des Malais. La visite officielle d’un haut responsable d’une autre religion, en particulier un responsable chrétien, serait vue comme une façon de se laisser intimider par les désirs et les volontés des non musulmans.
Il y a quinze ans environ, un changement drastique du contexte politique a modifié le regard de la Malaisie sur le Saint-Siège. Les soutiens de la coalition de l’ex-président Najib Razak, qui dirigeait le pays depuis l’indépendance (1963), étaient en chute libre. Les élections de 2008 ont vu sa coalition du Barisan Nasional perdre la majorité absolue au Parlement pour la première fois depuis des décennies. Cinq gouvernements provinciaux sur douze se sont ralliés à l’opposition.
Le Vatican a inauguré la nonciature apostolique du Saint-Siège à Kuala Lumpur en 2013
De plus, Najib s’est attiré la colère du public quand il n’a pas appliqué les réformes qu’il avait promises. Chaque jour apportait de nouveaux cas de gaspillages et détournements au sein du gouvernement, et les nouvelles plateformes de réseaux sociaux aidaient à répandre les nouvelles rapidement et efficacement. Il y a eu une série de manifestations, en particulier celle du 9 juillet 2011.
C’étaient les rassemblements « Bersih » (« propre » en malais) organisés par un groupe d’ONG et d’organisations locales souhaitant des élections libres et justes. Le même jour, le mouvement a fait le tour du monde via la diaspora malaisienne. Comme Najib avait besoin de renforcer ses soutiens, il s’est tourné vers les nombreux protestants et catholiques habitant les États de Sabah et de Sarawak, dans l’île de Bornéo.
Neuf jours après les manifestations du 9 juillet, il a effectué une visite officielle auprès du pape Benoît XVI, ce qui a permis un accord sur des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la Malaisie. Le Vatican a inauguré la nonciature apostolique du Saint-Siège en Malaisie à Kuala Lumpur en 2013.
De son côté, le gouvernement malaisien a nommé l’ancien ministre Bernard Dompok, un catholique de l’État de Sabah et membre du groupe ethnique Kadazandusun, comme premier ambassadeur malaisien près le Saint-Siège en 2016. En 2017, le Vatican a ouvert sa première chancellerie officielle à Kuala Lumpur. Westmoreland Edward Palon, de l’ethnie Bidayuh (Sarawak), a succédé à Bernard Dompok. L’ambassadeur actuel de la Malaisie près le Saint-Siège est Hendy Assan, du même groupe ethnique de Sarawak.
Le gouvernement ne voit aucune raison de renforcer les liens avec le Saint-Siège
Najib n’est pas l’unique premier ministre malaisien à avoir rencontré le pape. Mahathir Mohamad avait déjà rencontré le pape Jean-Paul II le 7 juin 2002, un an avant sa démission comme premier ministre. Jean-Paul II aurait cherché à échanger avec lui sur le conflit israélo-palestinien.
C’était à l’époque de la seconde Intifada (période de violence israélo-palestinienne de septembre 2000 à février 2005), et il y a eu des attaques importantes des deux côtés, qui ont causé plusieurs milliers de morts. Les avis de Mahathir, soutien fervent et véhément de la Palestine, avaient alors beaucoup de poids et étaient très recherchés par la communauté internationale malgré les critiques de ceux qui le dénonçaient comme étant antisémite.
Aujourd’hui cependant, les liens entre le Saint-Siège et la Malaisie devraient rester très officiels, probablement sans rien de plus. La situation actuelle, avec un nonce à Kuala Lumpur et un ambassadeur malaisien au Vatican, est susceptible de rester telle quelle sans vraiment de changements significatifs supplémentaires.
En Malaisie, les catholiques ne représentent qu’environ 3 % de la population. Vraisemblablement, le gouvernement ne voit aucune raison de renforcer les liens avec le Saint-Siège, malgré de nombreux appels à inviter le pape au cours des décennies. D’autant plus que le gouvernement actuel d’Anwar Ibrahim s’efforce d’obtenir le soutien musulman-malais afin de trouver la stabilité politique dont il a tant besoin.
Il ne peut se permettre de se voir accuser de favoriser les non musulmans. Ainsi, pour le moment, tout ce que les catholiques malaisiens pourront faire est de rejoindre les groupes qui se sont créés ces derniers jours, en vue de se rendre à Singapour pour accueillir le pape François à son passage dans la cité-État – comme ils l’avaient fait lors de son voyage apostolique à Bangkok en 2019.
(Avec Ucanews)