Malaisie

360 ans du Collège Général de Penang : rencontre avec le père Ryan Innas Muthu, recteur

Les 360 ans du Collège Général de Penang ont rassemblé évêques, cardinaux, missionnaires, anciens directeurs et séminaristes durant trois jours en Malaisie. Les 360 ans du Collège Général de Penang ont rassemblé évêques, cardinaux, missionnaires, anciens directeurs et séminaristes durant trois jours en Malaisie.
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[Interview] Le Collège Général, sur la colline de Tanjung Bungah dans l’île de Penang, sur la côte nord-ouest de la péninsule malaisienne, a formé des générations de prêtres pour l’Église en Malaisie et en Asie. Il a fêté ces jours-ci, du 29 septembre au 1er octobre, les 360 ans de sa fondation, en 1665 à Ayutthaya (Siam) par les Missions Étrangères de Paris. Déplacé plusieurs fois en Thaïlande, au Vietnam et en Inde, le séminaire s’est finalement installé à Penang en 1808. Entretien avec le recteur, le père Ryan Innas Muthu.

Le père Ryan Innas Muthu vient du diocèse de Malacca-Johor (au sud de la péninsule malaisienne, près de Singapour). Prêtre depuis 18 ans, il a commencé sa formation comme séminariste au Collège Général, avant d’être transféré au séminaire Saint-François-Xavier de Singapour. Il a ensuite étudié la théologie biblique à l’Angelicum de Rome (Université pontificale Saint-Thomas d’Aquin). Il est arrivé au Collège Général comme formateur en 2019, pour enseigner les Écritures. Il a été nommé cette année comme recteur du séminaire, où il continue d’enseigner.

Le Collège Général fête cette année ses 360 ans, depuis sa fondation en 1665. Père Ryan, pouvez-vous nous rappeler l’histoire du séminaire en quelques mots ?

Voici un bref historique du Collège Général, qui est aujourd’hui un grand séminaire régional. La fondation remonte à 1665 à Ayutthaya, au Siam (Thaïlande). De 1680 à 1686, il a été nommé le Collège des Saints Anges – qui existe toujours aujourd’hui à Ayutthaya. De 1760 à 1764, le Collège Général a été déplacé à Chanthaburi (Thaïlande) à cause de l’invasion birmane. De 1765 à 1769, il a ensuite été déplacé à Hon Dat (aujourd’hui au Vietnam). Puis il a été à nouveau déplacé à Pondichéry, en Inde, de 1770 à 1782. Après Pondichéry, le Collège a été fermé durant 15 ans. Le nom existait toujours, mais il n’y avait plus d’élèves ni formateurs. En 1808, le Collège Général a rouvert à Pulau Tikus (George Town, Penang, péninsule malaisienne), où il est resté jusqu’en 1983. Ce n’est pas très loin de l’emplacement actuel du séminaire. Ensuite, en 1984, il a été déplacé à Tanjung Bungah (George Town, Penang), où il se trouve toujours aujourd’hui.

Messe d’ouverture des 360 ans du Collège Général de Penang, 29 septembre 2025, Malaisie.
Messe d’ouverture des 360 ans du Collège Général de Penang, 29 septembre 2025, Malaisie.

Le Collège Général a aussi été appelé le « Collège des Martyrs », car de nombreux anciens étudiants sont devenus martyrs…

Au cours de l’histoire du Collège Général, 47 séminaristes et plusieurs formateurs sont devenus martyrs. Parmi eux se trouvent l’évêque saint Laurent Imbert et le missionnaire saint Jacques-Honoré Chastan (tous deux des Missions Étrangères de Paris), qui ont enseigné au Collège Général à Penang. Ils sont morts en martyrs en Corée où ils avaient été envoyés, durant une persécution violente qui a duré de 1835 à 1843. Il y a aussi les martyrs vietnamiens, le père Philippe Minh Van Doan et ses compagnons, qui ont étudié au Collège Général et qui sont morts en martyrs au Vietnam en 1853. À cette époque, beaucoup de missionnaires et de séminaristes de Corée et du Vietnam ont fui à Penang.

Parmi ces martyrs, les deux formateurs que j’ai mentionnés ont été canonisés, ainsi que cinq séminaristes dont Philippe Minh. Un autre missionnaire a également été déclaré bienheureux. Nous avons des reliques, des fragments d’os des pères vietnamiens qui ont été données par le Vietnam, ainsi que des reliques des saints Laurent Imbert et Jacques Chastan, qui ont été données par les Missions Étrangères de Paris (MEP).

C’est pourquoi nous sommes aussi appelés le Collège des Martyrs. Le Vietnam a aussi ouvert la cause de béatification de François Pallu et de Lambert de la Motte (cofondateurs des MEP et du Collège Général).

C’est un témoignage très fort pour les séminaristes qui entrent aujourd’hui au Collège Général…

Oui, tout à fait. Il faut savoir que quand les MEP ont acheté le terrain de Pulau Tikus en 1808, ils ont aussi acheté par la suite le terrain où se trouve actuellement le séminaire. À l’époque de Pulau Tikus, Tanjung Bungah était un lieu de repos pour les séminaristes. Comme les étudiants qui venaient de pays vivant des persécutions ne repartaient pas pour leurs vacances, ils restaient à Tanjung Bungah, où se trouve aujourd’hui le Collège Général. Il y a toujours trois bâtiments qui sont des vestiges de cette époque, et où les séminaristes ont passé du temps.

Cela veut dire que les martyrs, les saints ont vécu là où nous sommes aujourd’hui. C’est très important et significatif pour les séminaristes tout comme pour les pères et les formateurs, car c’est pour nous un lieu saint, c’est là que les martyrs sont devenus des témoins du Christ et de l’Évangile avant de partir pour donner leur vie pour le Christ et pour l’Église. Leur martyre nous fortifie dans notre vocation, en particulier pour les séminaristes qui viennent ici pour être formés.

Quel a été selon vous l’impact du Collège Général sur l’histoire de l’Église en Asie ? De nombreux prêtres de toute l’Asie y ont été formés…

Légende : Les 360 ans du Collège Général de Penang sont célébrés du 29 septembre au 1er octobre sur le thème « Se souvenir avec gratitude, fidélité et espérance ».
Les 360 ans du Collège Général de Penang sont célébrés du 29 septembre au 1er octobre sur le thème « Se souvenir avec gratitude, fidélité et espérance ».

À cause des persécutions, alors que c’était à l’époque l’unique séminaire, certains séminaristes sont devenus martyrs, certains sont devenus saints et ont guidé leurs communautés où qu’ils aient été envoyés. Et les pères MEP ont bien formé les séminaristes, afin qu’ils puissent donner un élan à l’Église en Asie, pour qu’elle grandisse. Le séminaire a été comme un ventre maternel en quelque sorte, qui a produit des prêtres qui ont été envoyés dans différents pays de toute l’Asie, afin de transmettre la foi aux communautés locales. Comme une pépinière pour l’Église en Asie, afin de donner l’élan et apporter la foi à ceux qui ne connaissaient pas le Christ.

Aujourd’hui, qui sont les séminaristes formés à Penang ?

Aujourd’hui, il n’y a que des séminaristes de Malaisie au Collège Général, venus de la péninsule et des provinces de Sarawak et Sabah (Bornéo). Avant 2004, toute la formation (philosophie et théologie) se passait ici au Collège Général. Puis durant un temps, les évêques ont maintenu la philosophie ici tout en déplaçant le cursus de théologie à Singapour. J’ai moi-même été envoyé à Singapour à cette époque.

Puis en 2013, les évêques de Malaisie péninsulaire et de Sabah et Sarawak (neuf diocèses en tout) ont décidé d’unifier les deux grands séminaires de Malaisie (le Collège Général de Penang et le Collège Saint-Pierre de Kuching, à Sarawak), afin de former un grand séminaire malaisien, même si ce sont toujours deux entités. Depuis, les étudiants en théologie sont envoyés à Kuching, et le Collège Général est aujourd’hui une faculté de philosophie.

Au cours du XXsiècle, le Collège Général a vécu une transformation remarquable, évoluant d’une institution missionnaire européenne à un séminaire régional florissant en harmonie avec les cultures d’Asie du Sud-Est. Les premières années, le latin était la langue d’instruction, et c’était un facteur d’unification entre les différentes langues et cultures à l’époque. Mais quand le séminaire a grandi et qu’il est devenu encore plus multiculturel, le latin est devenu au contraire une barrière en termes d’accessibilité. En 1966, l’anglais est donc devenu la langue d’instruction principale.

Comment se portent les vocations actuellement en Malaisie ?

En ce moment les vocations augmentent. Beaucoup de jeunes répondent à l’appel. Ce n’est pas florissant et débordant, mais il y a suffisamment de séminaristes qui entrent tous les ans au cycle d’initiation. Des propédeutiques se trouvent au Collège Général et à Kota Kinabalu (Sabah). Tous les ans, il peut y avoir entre quatre et cinq nouveaux séminaristes, parfois six.

Messe d’ouverture des 360 ans, 29 septembre
Messe d’ouverture des 360 ans, 29 septembre

Vous avez débuté le 360e anniversaire ce 29 septembre. Pouvez-vous dire quelques mots sur le thème des célébrations : « Se souvenir avec gratitude, fidélité et espérance » ?

Nous avons choisi ce thème afin de chérir l’héritage et l’esprit de nos pères fondateurs, qui sont les pères MEP. Deuxièmement, il s’agit de célébrer la joie de « revenir à la maison ». Troisièmement, il s’agit de renforcer la fraternité et l’unité. C’est aussi célébré dans un esprit d’action de grâce. Ce sont les objectifs de cet anniversaire.

C’est ainsi que nous avons choisi la « gratitude », afin de remercier pour tout ce que le séminaire a fait pour former les clergés locaux. Nous voulons aussi rendre grâce pour les pères MEP qui étaient des fondateurs, des formateurs devenus des prêtres locaux, venus de l’étranger pour fonder les diocèses asiatiques… Nous voulons montrer notre reconnaissance. Cet héritage nous a été transmis, et nous maintenons cet héritage, en allant de l’avant avec gratitude.

Deuxièmement, il y a la « fidélité » à Dieu, à notre ordination, à notre vocation. Ainsi, nous réfléchissons à notre chemin parcouru comme prêtres, ministres, pasteurs… Nous sommes aussi humains, les prêtres sont des hommes, et nous voulons garder cette vocation vivante, car nous sommes faibles et vulnérables, nous avons beaucoup de faiblesses. Nous tombons parfois, nous commettons des erreurs, nous échouons parfois dans notre vie, mais nous voulons songer à cette fidélité, en nous souvenant que si nous sommes faibles, Dieu nous donne la force.

Enfin, « l’espérance », car nous voulons continuer la mission que nous avons commencée au séminaire, nous avons été formés pour la mission, pour être missionnaires. Où que nous soyons envoyés, nous voulons garder cet esprit de la mission, qui doit aller avec l’espérance. Quand nous partirons d’ici après ces célébrations, nous voulons continuer la mission du Christ avec espérance, pour donner autour de nous l’espérance, qui elle-même nous renforce et nous guide pour que nous soyons des pasteurs pour notre communauté.

Pourquoi avoir choisi ces dates, du 29 septembre au 1er octobre ?

Nous, formateurs, avons choisi ces dates avec les trois évêques référents du séminaire (son éminence le cardinal Sebastian Francis, président du Collège Général, l’archevêque Julian Leow de Kuala Lumpur, et Mgr Bernard Paul du diocèse de Malacca-Johor). Ce lundi 29 septembre, jour de la fête des saints archanges Michel, Gabriel et Raphael, nous fêtons particulièrement le premier thème de la gratitude.

Père Ryan Innas Muthu, recteur du Collège Général de Penang
Père Ryan Innas Muthu, recteur du Collège Général de Penang
© Collège Général

Le 30 septembre, fête de saint Jérôme, prêtre, exégète et docteur de l’Église, marque le thème de la fidélité. Mais si nous avons choisi ces dates, c’est avant tout à cause du 1er octobre, fête de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, docteur de l’Église et patronne des missions. Et ce jour-là marquera plus particulièrement le thème de l’espérance. Ce sera le point culminant des célébrations des 360 ans. C’est une bénédiction pour nous.

Voulez-vous ajouter quelques mots ?

Oui, je dirais qu’à l’occasion du 360e anniversaire du Collège Général, nous célébrons un héritage de foi, de sacrifice et de mission initié par les pères MEP. Et cette mission continue de porter des fruits dans l’Église aujourd’hui, en Asie et en Malaisie. Ce n’est pas qu’un héritage historique, c’est aussi une célébration de la foi vivante que nous partageons.

Ces festivités réunissent aussi tous les anciens élèves, tous les invités (cardinaux, évêques, prêtres, laïcs…). Ils sont tous les témoins vivants de cette histoire, qu’ils soient prêtres, laïcs, où qu’ils se trouvent, en continuant d’annoncer la Parole du Christ dans le monde entier. Et aux aspirants et aux séminaristes, je veux dire qu’ils sont le futur de cette histoire qui nous a été transmise.

Notre devise est « Amor, Labor, Pietas » (« amour, travail, piété ») : aimer le Seigneur, travailler pour le Seigneur, être saint. Mon conseil aux séminaristes, c’est de travailler avec joie, servir le Seigneur avec amour, et rester fidèles dans leur vocation. Alors que nous célébrons ces 360 ans, c’est aussi une source d’inspiration pour tous ceux qui songeraient à entrer, à qui je veux dire de ne pas voir peur de dire oui au Seigneur. Le monde les attend, le Christ les attend. Enfin, je veux dire : continuons la mission du Christ avec espérance.

(Propos recueillis par Ad Extra)

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