Inde : la résistance du Tamil Nadu face à l’imposition de l’hindi

Le 14/03/2025
L’imposition de trois langues, dont l’hindi, dans le système éducatif indien est mal acceptée dans le Sud de l’Inde. Parlé dans la capitale et dans la plaine gangétique, au Nord, l’hindi est considéré comme la langue du pouvoir et le ciment de son socle électoral, outil de prédilection des nationalistes hindous qui dirigent l’Inde depuis 2014. Mais au Sud, le Tamil Nadu proteste contre son apprentissage forcé. À travers la place des langues dans la société indienne se jouent des identités régionales et politiques, alors que la polémique enfle.
Le sujet est sensible. Il s’est une nouvelle fois invité au cœur des débats politiques, le 19 février dernier, quand Udhayanidhi Stalin, dirigeant politique et fils de M. K. Stalin, ministre en chef de l’État du Tamil Nadu, au sud de l’Inde, a mis en garde le gouvernement fédéral dirigé par Narendra Modi contre toute tentative d’imposer l’hindi. Le politicien a accusé New Delhi de pousser les Tamouls à « affronter une nouvelle guerre des langues » et, depuis, encourage son parti à organiser des rassemblements pour s’opposer à l’imposition de l’hindi.
Cette réaction fait suite aux propos du ministre de l’Éducation, Dharmendra Pradhan, qui avait annoncé la possibilité de geler les fonds destinés au Tamil Nadu, à hauteur de 230 millions d’euros, tant que cet État n’accepterait pas la « formule des trois langues » mise en place par la politique nationale d’éducation de 2020. « Les Tamouls ne toléreront pas l’audace d’être soumis à un chantage » a déclaré pour sa part M. K. Stalin, le ministre en chef du Tamil Nadu. Plusieurs États du sud de l’Inde, dont le Tamil Nadu et le Kerala, s’opposent à cette formule des trois langues et affirment qu’il s’agit d’un complot visant à leur imposer l’hindi.
2 langues officielles, 22 langues reconnues et 120 langues recensées
Selon les directives nationales mises en place en 2020, trois langues doivent être enseignées dans les écoles publiques et privées du pays, mais le choix de ces langues n’a pas été rendu obligatoire, chaque institution étant libre de décider de son programme d’enseignement. La pression visant à adopter l’hindi est donc largement contestée. Tandis que New Delhi met en avant l’importance du multilinguisme, le Tamil Nadu soutient qu’il s‘agit d’une contrainte exercée sur les États non-hindiphones.

Officiellement, l’Inde a deux langues, l’anglais et l’hindi, 22 langues reconnues par la Constitution et plus de 120 recensées par l’État. Les identités linguistiques sont régulièrement revendiquées par les populations concernées, et plusieurs États indiens ont été créés sur ces bases, comme le Telangana ou le Jharkhand. L’hindi est la langue majoritaire dans le Nord, appelé la ceinture hindiphone, qui englobe la capitale du pays, alors que le tamoul est parlé exclusivement dans l’État du Tamil Nadu en Inde, et au Sri Lanka voisin.
Si l’hindi appartient à la famille des langues indo-européennes, le tamoul fait partie des langues dravidiennes, une famille majoritaire dans le Sud, et les deux langues s’écrivent avec des alphabets bien distincts. Au cours de la dernière décennie, le gouvernement nationaliste hindou du BJP (Parti du peuple indien), emmené par le Premier ministre Narendra Modi, a pris une série de mesures pour promouvoir l’hindi, qu’il a projeté en « langue de connexion » à travers l’Inde.
« La langue de l’État et l’anglais sont suffisants »
Cette pression s’est également appuyée sur la vision de l’anglais, utilisé entre les Indiens du Nord et du Sud, en tant que langue coloniale, et le pouvoir central est soupçonné de vouloir imposer l’hindi aux États du Sud. Cette semaine, Dhirendra Krishna Shastri, un influent prêtre hindou, a pris la parole pour soutenir l’idée que l’hindi constitue « les racines » de l’Inde et doit être considéré comme un élément central de l’identité nationale. Ses propos ont encore plus enflammé le débat.
Ce qui est certain, c’est que l’hindi est associé à la base électorale des nationalistes hindous au pouvoir. Le conflit linguistique fait irruption alors que les États du Bengale Occidental et du Tamil Nadu passeront aux urnes en 2026. Au Bengale, Garga Chatterjee, leader du groupe de défense des droits bengalis Bangla Pokkho, a également critiqué l’adoption de l’hindi comme troisième langue. « La langue de l’État et l’anglais sont suffisants », a affirmé le militant, rejoignant les critiques qui enflent au Tamil Nadu mais aussi au Karnataka.
Le Tamil Nadu est pour sa part le seul État indien à adopter un enseignement bilingue (l’anglais et le tamoul) dans l’éducation scolaire. Son ministre en chef, M. K. Stalin, a demandé à New Delhi de préciser quelle section de la Constitution indienne rendait la formule des trois langues obligatoire. « Nous n’avons jamais demandé aux Indiens du Nord d’apprendre le tamoul ou toute autre langue du Sud », a-t-il déclaré sur X. « Tout ce que nous demandons, c’est d’arrêter de nous imposer l’hindi. Si les États dirigés par le BJP veulent enseigner 3 langues ou même 30, libres à eux ! Laissez simplement le Tamil Nadu tranquille ! »
Le riche héritage de la diversité linguistique indienne, un enjeu délicat
Cette situation ravive les souvenirs des agitations anti-hindi des années 1930 et 1960, au cours desquelles la population tamoule s’était fermement opposée à l’introduction obligatoire de l’hindi dans les écoles. Ces mouvements ont contribué à renforcer l’identité régionale, face à des politiques perçues comme étant imposées de l’extérieur.
Avant le BJP de Narendra Modi, le Congrès de la dynastie des Nehru-Gandhi avait également été accusé de vouloir imposer une hégémonie linguistique. À la fin des années 30, le mouvement dravidien du Tamil Nadu s’était ainsi opposé aux pressions exercées par le Congrès pour imposer l’« hindoustani », provoquant alors des manifestations importantes.
Le conflit linguistique a continué d’agiter l’Inde après son Indépendance. Des émeutes linguistiques ont éclaté en 1953 et l’État de Madras a alors été scindé en deux entités distinctes, l’Andhra Pradesh et le Tamil Nadu. En 1965, des « protestations anti-hindi » ont fait plus de 70 morts au Tamil Nadu.
Aujourd’hui, le riche héritage de la diversité linguistique de l’Inde continue d’incarner un enjeu délicat à travers la place de l’hindi au Tamil Nadu, reflétant des tensions historiques, culturelles et politiques.
(Ad Extra, A. B.)