Comme un trésor caché. Les catholiques coréens gardent la mémoire de leurs martyrs

Rédigé par Pascale Rizk - Agence Fides 22/07/25, le 26/09/2025
« Si nous suivons l’exemple des martyrs et croyons en la parole du Seigneur, alors nous comprendrons la liberté sublime et la joie avec lesquelles ils sont allés à la rencontre de la mort ». C’est ainsi que le pape François s’est adressé aux Coréens lors de la messe de béatification de Paul Yun Ji-Chung et de ses 123 compagnons martyrs, célébrée samedi 16 août 2014 à la porte de Gwanghwamun, à Séoul, lors de son voyage apostolique en Corée du Sud.
Dans une Corée qui ne ressemble presque plus à celle d’il y a trois siècles, la joie et la liberté des martyrs d’alors continuent d’attirer de nombreux Coréens vers la rencontre avec le Christ.
Ce sont les lieux, les descendants et même le sol qui gardent aujourd’hui « comme un trésor » la mémoire de ceux qui, avec une audace simple et une gratuité reçue en don, ont tout quitté pour ne pas « se séparer de l’amour du Christ » (Rm 8, 35).
En ce mois de juillet, l’Église catholique en Corée s’arrête pour commémorer le centenaire de la béatification de ses 79 premiers martyrs, canonisés en 1984.
Pèlerinages sur les pas des martyrs
Ces dernières années, l’émotion de nombreux Coréens qui se rendent sur les lieux de leur martyre semble grandir et devenir de plus en plus intense.
En 2011, les évêques et les prêtres responsables des lieux de martyre dans les différents diocèses ont créé un itinéraire idéal intitulé « Sanctuaires du catholicisme en Corée », une initiative qui est devenue un véritable guide pour les pèlerins. Il rassemble et signale 167 références aux sanctuaires chers à la mémoire ecclésiale, dont 69 sont des lieux de martyre. Le livret propose une prière pour commencer et terminer le pèlerinage. Dans son édition révisée et publiée en 2019, le guide fait la distinction entre les sanctuaires, les lieux de martyre et les lieux de pèlerinage.
Les lieux les plus connus et les plus fréquentés sont les itinéraires proposés par l’archidiocèse de Séoul comme parcours de pèlerinage, approuvés par le Saint-Siège le 14 septembre 2018. Trois itinéraires, présentés comme « le parcours de la bonne nouvelle », « le parcours de la vie éternelle » et « le parcours de l’unité », proposent de parcourir les rues de la capitale en visitant les monuments les plus importants de l’histoire de l’Église catholique présents dans la péninsule, comme la porte de Gwanghuimun, par laquelle passaient les corps des catholiques martyrisés, surnommée pour cette raison « la porte des morts ». Parmi les autres lieux significatifs, citons le sanctuaire de Jeoldusan, un promontoire rocheux où des milliers de baptisés ont été martyrisés, et l’église de Gahoe-dong, où la première messe a été célébrée en 1795. À d’autres endroits identifiés sur les itinéraires, comme l’emplacement de la maison de Jean-Baptiste Yi Byeok, qui accueillait les premiers chrétiens coréens, il ne reste que des pierres commémoratives, après que des siècles de destructions et de reconstructions aient radicalement modifié le paysage urbain.
Les descendants honorent leurs ancêtres
Au mois de septembre, l’Église catholique en Corée commémore ses 103 saints et ses 124 bienheureux. Les premiers ont été canonisés par le pape Jean-Paul II en 1984, les seconds ont été proclamés bienheureux par le pape François en 2014. Les reliques présentées au culte public il y a quelques jours, le 2 juillet, à Séoul, appartiennent à quatre saints coréens. Il s’agit des reliques de trois missionnaires français de la Société des Missions Étrangères de Paris (l’évêque Laurent Imbert, les prêtres Pierre Maubant et Jacques Chastan), ainsi que du premier prêtre coréen Andrea Kim Tae-gon. La Conférence des évêques coréens avait reçu ces reliques le 19 février dernier, qui étaient auparavant conservées par les Sœurs de Saint-Benoît d’Olivetan en Corée. Il s’agirait notamment d’un fragment de l’os du pied d’André Kim et des cheveux des autres. Kim a été martyrisé à l’âge de 25 ans, le 16 septembre 1846, tandis que les missionnaires français ont été décapités le 21 septembre 1839 à Saenamteo, sur la rive nord du fleuve Han, dans le district de Yongsan-gu à Séoul. La cérémonie s’inscrivait dans le cadre d’une série d’événements commémoratifs du centenaire du mois saint de la béatification des 79 martyrs.

Les nouveaux visages du martyre
Actuellement, l’Église catholique coréenne suit le processus de béatification de deux autres groupes de baptisés tués pendant les persécutions. Le premier est celui du Serviteur de Dieu Jean-Baptiste Yi Byeok et de ses 132 compagnons laïcs tués pendant la dynastie Joseon entre 1785 et 1879. Yi Byeok a joué un rôle fondamental dans la première communauté chrétienne coréenne et ses compagnons, parmi lesquels François Xavier Kwon Il-shin et Ambroise Kwon Cheol-shin.
Le deuxième groupe est celui de l’évêque François Borgia Hong Yeong-ho et de ses 80 compagnons qui ont vécu à l’époque moderne, certains morts dans le massacre de 1901 à Jeju et d’autres tués après la division de la Corée, dont 20 prêtres et 3 religieuses missionnaires étrangères. Parmi eux se trouvent Sœur Marie Mechtilde du Saint-Sacrement et Sœur Teresa du Petit Jésus du couvent des Carmélites de Séoul qui, avec trois autres consœurs étrangères, avaient fondé le petit couvent de Hyehwa-dong, voulu par l’évêque Won Larriveau en 1940. Toutes ont eu la possibilité de s’enfuir à l’étranger, mais elles ont décidé de rester avec les sœurs coréennes : deux d’entre elles ont été enlevées et torturées. Enfin, lors de la tristement célèbre « marche de la mort » de Pyongyang à Chunggangjin, sur le fleuve Amnok, elles ont été martyrisées et enterrées en Corée du Nord. Les trois autres ont été rapatriées dans leur pays d’origine, la France, grâce à un échange de prisonniers.
Le missionnaire Maryknoll Patrick Byrne, premier évêque de Pyongyang, originaire des États-Unis, choisit également de rester en Corée pendant la guerre. Refusant de dénoncer les États-Unis, les Nations Unies et le Vatican, il fut condamné à mort par les Nord-Coréens, mais réussit à survivre, malgré les traitements brutaux qu’il subit. Il s’est ensuite joint à d’autres prisonniers dans une marche forcée menée par un commandant impitoyable connu sous le nom de « Tigre » : malgré la souffrance et la fatigue, Byrne a aidé les soldats mourants, priant et donnant sa bénédiction tout au long du chemin. Le troisième jour de la marche, alors qu’il donnait l’absolution générale aux soldats agenouillés avec lui dans les montagnes enneigées, il tomba gravement malade et mourut dans un hôpital nord-coréen glacial et dépourvu de médicaments, connu des prisonniers sous le nom de « morgue ».
L’enquête pour le procès de béatification s’est achevée en juin 2022 en Corée et les documents relatifs ont été envoyés au Dicastère pour les Causes des Saints.
Le sanctuaire caché de Hanti
Pendant la dynastie Joseon, les catholiques fuyaient vers le sud du pays et cherchaient refuge dans les montagnes. Ils essayaient de rester proches ou au moins en contact secret avec leurs proches emprisonnés et arrêtés dans différents endroits. C’est ainsi que les premières familles chrétiennes arrivèrent dans la montagne appelée Hanti, située à 600 mètres au-dessus du niveau de la mer, au nord-ouest du Palgongsan et au nord de la ville de Daegu, dans la province de Gyeongsang. Après les persécutions d’Eulhae (1815), Jeonghae (1827) et Gihae (1839), et pendant une période d’apaisement au milieu du siècle, la présence des catholiques dans le pays était devenue importante. Comme en témoigne également la lettre envoyée en 1862 à François-Antoine Albrand, supérieur général de la Société des Missions Étrangères de Paris, par le vicaire apostolique de Corée (1854-1866) Siméon-François Berneux, où l’on peut lire : « Je me suis rendu dans un village très isolé à flanc d’une grande montagne, et environ 40 chrétiens ont reçu la Sainte Communion ».
Avec la persécution de Byeongin (1866), qui succéda à celle de Gyeongsin (1860), les tribulations de l’histoire des catholiques coréens atteignirent leur apogée, se transformant en extermination : près de 8 000 personnes sur 10 000 furent tuées. Puis il y eut la persécution Mujin (1868), qui frappa les habitants de Hanti, martyrisés sur place pour apostasie.
Les premiers pèlerinages sur le site ont commencé cent ans plus tard, et en 1988, six tombes de martyrs ont été exhumées et transférées. Présent sur place, le professeur d’anatomie de la faculté de médecine de l’université nationale de Kyeongpook, Joo-gang Thomas d’Aquin, raconte dans un article paru dans le journal catholique : « Le corps devant moi était décapité. Le cou était plié à hauteur de la taille et la partie inférieure du corps était étendue sur le sol. J’ai examiné attentivement les vertèbres cervicales. Il n’y avait pas de fracture et le nombre correspondait, il semblait que seule la chair avait été coupée avec un couteau tranchant. Les larmes ont coulé de mes yeux ». Aujourd’hui, 37 tombes des « innombrables martyrs inconnus » reposent sur la colline de Hanti, dans l’archidiocèse métropolitain de Daegu.
Terre imprégnée du sang des martyrs
Il y avait autant de martyrs anonymes dans le diocèse de Daejeon, à 157 kilomètres de Daegu. « En 2014, le père Pierre Kim Dongyum s’est occupé du transfert des tombes des martyrs coréens anonymes, appartenant à la classe sociale la plus basse, tués au XIXe siècle à Deoksan, Haemi et Hongju, villes situées dans le diocèse. Cette intervention était nécessaire en raison de la montée du niveau de l’eau qui menaçait l’intégrité des sépultures », raconte le père Agostino Han, chef de bureau au Dicastère pour l’évangélisation. « Les tombes ont été transférées sur un terrain adjacent au sanctuaire de Silli. À Silli, saint Marie-Nicolas-Antoine Daveluy, M.E.P., cinquième évêque de la péninsule coréenne, a exercé secrètement son ministère pastoral pendant 21 ans. Lors du transfert, Pierre Kim a ressenti le devoir de conserver une partie de la terre autour des tombes, estimant qu’elle pouvait contenir des reliques des martyrs, qui avaient été enterrés sans rites funéraires appropriés en raison des dures persécutions de l’époque. C’est pourquoi il a réservé une partie de cette terre à la fabrication de crucifix et de chapelets en céramique, dans lesquels il a incorporé la terre prélevée des tombes des martyrs. On peut donc supposer que ces chapelets contiennent de la terre imprégnée du sang et des fragments d’os de ces martyrs qui ont donné leur vie pour témoigner de leur foi. Une façon de leur rendre hommage, à eux, à leur foi et à leur mémoire ».
Article de Pascale Rizk paru le 22/07/2025 sur l’agence Fides: https://www.fides.org/fr/news/76617-ASIE_COREE_DU_SUD_Comme_un_tresor_cache_Les_catholiques_coreens_gardent_la_memoire_de_leurs_martyrs