Un représentant pontifical à Hanoï : « Pour le Vietnam, c’est une opportunité de prendre les devants en Asie »
Mgr Marek Zalewski, second représentant non-résident du Saint-Siège au Vietnam, bénit des catholiques dans la cathédrale de Qui Nhon, le 14 juillet 2023. © gpquinhon.org / Ucanews ; Tin Mung Cho Nguoi Ngheo / UcanewsLe 13/01/2024
Pour Lan T. Chu, professeur de diplomatie et d’affaires internationales, ce serait un tournant sans précédent si la Chine devait apprendre, par l’expérience vietnamienne, qu’une relation avec le Saint-Siège ne peut qu’apporter une plus grande reconnaissance et non une perte de souveraineté. Dans son analyse, elle commente l’évolution des relations avec le Vietnam et la nomination de Mgr Zalewski comme représentant pontifical résident. Elle affirme que la portée d’une telle nouvelle peut dépasser largement les frontières du pays et de l’Église.
Juste avant Noël, presque 50 ans après l’expulsion du dernier délégué apostolique par le Vietnam, le Saint-Siège et l’État vietnamien ont annoncé l’établissement d’un Représentant pontifical résident (RPR) au Vietnam.
Mgr Marek Zalewski a été nommé RPR au Vietnam le 22 décembre, trois mois après un accord bilatéral signé le 29 septembre 2023. Cet accord a été signé après une visite au Vatican du président vietnamien Vo Van Thuong, qui a rencontré le pape François à cette occasion, ainsi que le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège.
Toutefois, l’établissement d’un RPR au Vietnam et l’ouverture de son bureau à Hanoï ne peuvent être comparés à des relations diplomatiques véritables et officielles entre le Saint-Siège et le Vietnam (cela ne peut être atteint qu’avec une nonciature apostolique). En réponse à l’annonce de cette nomination, la Vietnam News Agency, l’agence de presse officielle dirigée par l’État, a signalé que ceci « aidera l’État et l’Église à faire abstraction des différents historiques ».
L’Église au Vietnam, une histoire longue et difficile à prendre en compte
Ce point de vue de l’État reste peut-être un des obstacles majeurs à l’établissement d’une nonciature. L’Église vietnamienne a une longue et difficile histoire. La confiance et la compréhension mutuelles sont essentielles afin de développer des relations véritables avec l’État. Ainsi, au lien d’ignorer les différences, l’État devrait plutôt admettre cette histoire difficile et reconnaître les différents qui freinent l’avènement d’un avenir productif et pacifique au Vietnam.
La nomination des évêques et des cardinaux est une autre question. Actuellement, le processus de nomination fonctionne ainsi : d’un commun accord avec l’Église au Vietnam, le Saint-Siège présente une liste de candidats favoris à l’État. Du point de vue de l’État, ce dernier apporte ensuite son accord final pour ces nominations. Mais l’Église perçoit ce retour non pas comme un consentement mais plutôt comme une reconnaissance officielle des nominations par l’État. Cet accord de fait est en cours au moins depuis les années 1980, ce qui a permis à l’Église de grandir au Vietnam.
Selon le droit canon, toutefois, le nonce a un rôle à jouer dans la nomination des évêques, conformément aux directives du Saint-Siège. C’est pourquoi, si un nonce devait être nommé au Vietnam, l’État vietnamien aurait besoin de clarifier et officialiser le rôle du nonce au-delà de l’accord de fait qui est pratiqué aujourd’hui. C’est peut-être quelque chose qu’il n’est pas prêt à faire.
Une avancée pour la vie catholique au Vietnam
Cela dit, l’établissement d’un représentant pontifical permanent révèle bel et bien des progrès remarquables dans la qualité des relations entre les deux parties.
En général, les ressources militaires et économiques sont identifiées comme les facteurs les plus importants pour évaluer la puissance d’un État. Pourtant, les politiques internationales autour de la légitimité et de la reconnaissance par l’État sont tout aussi importantes pour une nation, si ce n’est plus. Car les relations avec les autres acteurs (locaux, régionaux et internationaux) contribuent toutes au fonctionnement d’un État et servent de pont avec la communauté internationale. Un tel pont est particulièrement important dans des temps de crise et de nécessité. C’est une leçon que le Vietnam a apprise durant la pandémie de Covid-19.
La nomination d’un représentant pontifical permanent au Vietnam résulte de quatorze ans de travaux entamés avec le « Groupe de travail conjoint Vietnam-Vatican », établi en 2008. Potentiellement, ceci peut entraîner des conséquences considérables, non seulement au sein des frontières du Vietnam mais aussi au-delà, pour les catholiques comme pour les non-catholiques.
Le 11 décembre 2023, quatre universitaires internationaux se sont rassemblés pour un échange intitulé « Tendance au réchauffement des relations Vietnam-Vatican », organisé par l’lsac (Initiative for the Study of Asian Catholics), une nouvelle initiative de recherche sur les catholiques asiatiques. Ce débat a été organisé en réponse à l’annonce, le 27 juillet 2023, de l’établissement d’un RPR à Hanoï, rapprochant le Vietnam de véritables relations diplomatiques avec le Saint-Siège.
Le Saint-Siège, un acteur international neutre et respecté comme médiateur
La présence d’un représentant pontifical signale plus qu’une avancée pour la vie catholique au Vietnam. La portée internationale du Saint-Siège dépasse son rôle à la tête de l’Église catholique universelle, qui compte à l’échelle mondiale près d’1,376 milliard de catholiques. Le Saint-Siège est un acteur international éminent.
Avec la Palestine, c’est l’un des deux États non-membres des Nations unies à avoir un statut d’observateur permanent (sans droit de vote à l’Assemblée générale des Nations unies), et c’est l’unique acteur souverain à avoir une aussi longue tradition d’initiatives diplomatiques à l’échelle mondiale (qui remonte jusqu’au IVe siècle).
Le Saint-Siège peut donc transmettre à l’humanité plusieurs siècles d’expérience de l’Église catholique, et ainsi, il a participé et dirigé des rencontres avec des acteurs étatiques et non-étatiques sur des questions de portée mondiale comme la prolifération nucléaire, la paix et les changements climatiques. Les pays qui ont des relations bilatérales avec le Saint-Siège ne privilégient pas nécessairement la religion. Ils cherchent peut-être simplement à établir des relations publiques avec un acteur international qui est un médiateur avéré, politiquement neutre et respecté à l’échelle globale.
Il suffit de songer aux voyages du pape Jean-Paul II en 2008 et 2012 à La Havane, la capitale de Cuba, qui ont attiré l’attention internationale sur la petite île communiste, longtemps ostracisée par ses voisins démocratiques. À l’époque, en utilisant le langage des droits de l’homme, le président Fidel Castro a utilisé la visite pontificale pour condamner l’embargo des États-Unis et s’adresser à la communauté internationale dans son ensemble.
Des années plus tard, en 2014, ce sont les pourparlers entre les États-Unis et Cuba, avec la médiation du Vatican, qui ont permis d’ouvrir des relations diplomatiques et de libérer le prisonnier politique américain Alan Gross, qui avait passé cinq ans en prison (sur une peine de 15 ans) pour espionnage. Comme dans le cas de Cuba, les relations du Saint-Siège avec les États politiques dépassent largement la défense des intérêts de la communauté catholique. Ces relations sont à la fois pastorales, politiques et symboliques.
« Bon catholique et bon citoyen »
Historiquement, quand il a fallu songer à normaliser les relations entre le Saint-Siège et le Vietnam, l’État vietnamien et la hiérarchie catholique ont agi dans le cadre d’une politique vietnamienne privilégiant la Chine (China first). Pourtant, des années de dialogue concernant la présence de l’Église, le rôle des catholiques et la nomination des évêques n’ont pas menacé l’autorité du Parti communiste vietnamien, comme les communistes d’Europe de l’Est et d’Europe centrale l’ont été durant les années 1990 avant l’effondrement du communisme.
Au contraire, l’Église a utilisé ses ressources afin de contribuer à améliorer la société vietnamienne, avec notamment des services pour les pauvres entre autres activités caritatives. Au cœur des relations entre une religion universelle telle que le catholicisme et un pays nationaliste comme le Vietnam se trouve la possibilité d’être à la fois « bon catholique et bon citoyen ».
L’intention de la mission pastorale de l’Église, par conséquent, n’est pas d’affaiblir la stabilité de l’État vietnamien. D’ailleurs, l’Église a fourni et continuera de fournir les ressources nécessaires au peuple vietnamien. Ainsi, ce que l’on voit aujourd’hui, ce n’est pas simplement l’ouverture d’un bureau religieux mais une opportunité pour le développement socio-économique des citoyens vietnamiens, et une opportunité historique afin que le Vietnam puisse prendre les devants en Asie sur le plan des relations internationales.
Ce serait un tournant sans précédent si la Chine devait apprendre par l’expérience vietnamienne qu’une relation avec le Saint-Siège ne peut qu’apporter une plus grande reconnaissance et non une perte de souveraineté. Si le Parti communiste vietnamien reste fidèle à ses promesses de servir le Vietnam et non plus la Chine en premier, la présence du Saint-Siège ne devrait pas poser de problème politique.
Toutefois, il reste à savoir quel système de mesure le Parti communiste vietnamien utilisera afin de déterminer le bien-être de son peuple et le bien-fondé des politiques qu’il adoptera.
Lan T. Chu est professeur de diplomatie et d’affaires internationales à l’Occidental College (Los Angeles), et ses enseignements portent sur les relations internationales et sur le rôle politique des institutions religieuses et de l’Église.
(Avec Ucanews)