La résilience et le soft-power tibétain, réponses pacifiques à la sinisation
Rencontre en 2023 à New Delhi entre la diplomate américaine Uzra Zeya et le dalaï-lama, en présence du Sikyong Penpa Tsering (au centre). © U.S. Embassy New Delhi / PDM 1.0Rédigé par Olivier Guillard, le 19/12/2024
Plusieurs événements majeurs sont à noter du côté de l’actualité tibétaine, selon le géopolitologue Olivier Guillard qui évoque les dernières visites en Europe et en Amérique du Sikyong Penpa Tsering (le président de la Central Tibetan administration, exilée à en Inde depuis les années 1950). Il a notamment célébré le 35e anniversaire du prix Nobel de la paix décerné au dalaï-lama, fêté le 10 décembre à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme. Durant ses tournées, Penpa Tsering alerte sur la destruction de « l’identité unique » de sa communauté, notamment le bouddhisme tibétain.
Sans surprise, ces dernières semaines, les médias d’État chinois et les réseaux sociaux pékinois n’ont pas jugé utile de revenir sur l’actualité tibétaine du moment.
Mardi 10 décembre (par ailleurs Journée internationale des droits de l’homme), la communauté tibétaine célébrait avec fierté – et avec la discrétion que l’on devine en République populaire – le 35e anniversaire du prix Nobel de la paix, décerné en décembre 1989 au dalaï-lama, chef spirituel et autorité du bouddhisme tibétain, pour avoir préconisé des solutions pacifiques fondées sur la tolérance et le respect mutuel.
Par ailleurs, le 7 décembre, le Kashag (sorte de Cabinet ministériel, plus haute instance exécutive de l’administration centrale tibétaine en exil) a annoncé le détail calendaire des célébrations à venir du 90e anniversaire du dalaï-lama (Tibet.net, le 7 décembre 2024). Elles s’étireront du 6 juillet 2025 au 5 juillet 2026 en cette « année de Compassion ».
Ces événements majeurs ont été passés sous silence par les autorités chinoises, puisqu’ils rappellent la posture radicale des autorités chinoises sur cette question. Mais ils mettent en relief la résilience de la population tibétaine et l’inépuisable énergie de ses porte-voix emblématiques, dont le 14e dalaï-lama, ainsi que le soutien renouvelé de la communauté internationale, notamment parmi les grandes démocraties occidentales.
Du côté de la 2e économie mondiale, ce n’est bien sûr pas un oubli mais plutôt une volonté délibérée de dissimuler ces événements très attendus par la diaspora tibétaine.
Déclaration de la délégation de l’UE en Chine
Les autorités chinoises n’ont pas non plus mentionné la récente déclaration de la Délégation de l’Union européenne en République populaire de Chine, le 10 décembre dernier à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme. Aucun organe de presse chinois n’a jugé opportun de communiquer sur les sentiments mitigés des autorités européennes, sur leurs doutes vis-à-vis des lacunes de la protection des droits de l’homme en Chine. L’UE fait notamment état de ses « inquiétudes » sur une kyrielle de thématiques de première importance, sur un ton ne laissant guère place à l’équivoque : « Depuis 2013, la situation des droits de l’homme des Tibétains de souche dans les régions tibétaines de Chine (y compris la région autonome du Tibet et certaines parties des provinces du Qinghai, du Sichuan, du Gansu et du Yunnan) se détériore. Les autorités dans les régions tibétaines continuent de restreindre sévèrement la liberté de parole et d’expression, de mouvement et de réunion. Les restrictions sévères à la liberté de mouvement des Tibétains comprennent des restrictions strictes sur les passeports permettant les voyages internationaux. Les lamas tibétains sont soumis à des contrôles plus stricts pour les voyages intérieurs. Le bouddhisme tibétain est soumis à un contrôle croissant sur les pratiques religieuses conduisant à l’alignement avec l’idéologie du Parti communiste chinois. La mise en place d’un système d’internat obligatoire pour les enfants tibétains a également été signalée par des experts de l’ONUet des organisations de la société civile ».
Soft power tibétain
Cette déclaration est l’occasion d’évoquer le soft power tibétain, porté par la « voie du milieu » bouddhiste, les enseignements et convictions du dalaï-lama et une diplomatie active œuvrant sans relâche. Celle-ci vise à une véritable autonomie pour les Tibétains vivant dans les régions tibétaines traditionnelles, pour qu’ils puissent autogérer les questions religieuses, culturelles, linguistiques, éducatives, sanitaires et environnementales. Théoriquement, c’est ce que garantissent la Constitution chinoise et la loi sur l’autonomie nationale régionale.
Ces ambitions, en cette fin d’année, trouvent un relai favorable sur le Vieux continent. Mi-novembre, le Sikyong Penpa Tsering, le président démocratiquement élu de la Central Tibetan administration (CTA, le gouvernement tibétain en exil installé à Dharamshala, en Inde, depuis les années 1950), était en tournée européenne, sillonnant les capitales de Londres à Edimbourg en passant par Lisbonne et à nouveau par Paris. Fin juin en effet, pour rappel, il rencontrait le président Emmanuel Macron à l’Elysée. Au cours de ces tournées, il relaie inlassablement auprès de ses hôtes un message de dialogue et de concorde, déterminé à trouver une solution pacifique au conflit sino-tibétain.
« Le gouvernement chinois continue de détruire notre identité unique »>
« Malheureusement, le gouvernement chinois continue de passer au bulldozer les aspirations légitimes du peuple tibétain et de détruire notre identité unique (notamment le bouddhisme tibétain) », déplore l’opiniâtre représentant tibétain, qui évoque notamment la fermeture forcée des écoles de langue tibétaine et l’inscription obligatoire des enfants tibétains dans des internats de style colonial.
Près d’un mois après sa tournée européenne, début décembre, il a également traversé l’Atlantique et fait escale dans plusieurs mégalopoles nord-américaines (au Canada et aux États-Unis, notamment à Washington D.C. et New York), où il a rencontré la diaspora tibétaine, en s’exprimant dans divers forums, multipliant les interviews avec les autorités et les personnalités (notamment l’acteur américain Richard Gere et l’ancienne présidente de la Chambre des représentants Mme Nancy Pelosi).
L’objectif de cet émissaire est de brosser le tableau sombre de la politique pékinoise à l’endroit de la communauté tibétaine, et de dénoncer les coups de boutoir divers portés successivement ces dernières décennies. Le chef de l’exécutif tibétain en exil s’est donc félicité qu’au cours de son périple nord-américain, les autorités canadiennes ont sanctionné (le 12 décembre) plusieurs autorités politiques chinoises responsables de diverses violations de droits de l’homme dans l’ex empire du Milieu, au Tibet notamment. Cet écho a été naturellement apprécié à sa juste valeur, plusieurs milliers de kilomètres plus loin, à Lhassa comme à Dharamsala.
(Ad Extra, Olivier Guillard)