Asie

À l’horizon du jubilé 2033, quels sont les grands chantiers de l’Église en Asie ?

Différentes bannière aux couleurs du Jubilé 2025 sur les pèlerins d’espérance, devant une église de Georgetown, Penang, Malaisie. Différentes bannière aux couleurs du Jubilé 2025 sur les pèlerins d’espérance, devant une église de Georgetown, Penang, Malaisie. © Ad Extra
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Les Églises d’Asie cherchent à relever le défi de l’évangélisation dans des contextes multiples et en profonde mutation. Au cours du congrès missionnaire asiatique de novembre 2025, des délégués de vingt pays ont identifié de grands chantiers : la question des médias numériques et de l’intelligence artificielle pour la mission en Asie, le témoignage chrétien en situation minoritaire, la nécessité de la synodalité et de l’inculturation de la foi… Autant de défis à venir avec deux étapes majeures, les JMJ de Séoul 2027 et le jubilé de l’an 2033.

Quels sont les grands chantiers de l’Église en Asie pour les années à venir ? Au cours du dernier congrès missionnaire asiatique (Great Pilgrimage of Hope 2025, Penang, Malaisie), des délégations de vingt pays d’Asie ont exploré leurs préoccupations majeures autour d’une question centrale : comment évangéliser dans le contexte de l’Asie. Les réponses prennent en compte des enjeux comme la montée des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle, des événements à venir comme les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) de Séoul 2027 ou encore le jubilé de l’an 2033 (pour les 2000 ans de la résurrection du Christ), ou des situations difficiles comme le fait d’être chrétien et minoritaire dans un contexte multiculturel, multiethnique et multireligieux.

Les Églises d’Asie ont largement adopté une méthode de discernement initiée durant le Synode sur la Synodalité à Rome : les « conversations dans l’esprit ». Neuf personnes sont assises autour d’une table, sans distinction de hiérarchie, de genre ou de vocation : cardinaux, évêques, prêtres, religieuses, diacres et laïcs échangent afin de discerner et répondre à une ou plusieurs questions selon une méthodologie précise, ici destinée à « écouter » ce que l’Esprit dit aux Églises d’Asie.

Voici le résumé de ces « conversations » tel qu’il a été rédigé par Mgr George Palliparambil, responsable du bureau pour l’évangélisation de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie (la branche FABC-OE, organisatrice du congrès missionnaire asiatique) : « L’Esprit appelle l’Eglise en Asie à approfondir sa vie intérieure dans le Christ, à écouter avec compassion, à avancer ensemble en synodalité, à témoigner de l’espérance à travers le service humble et courageux, à construire des ponts entre les cultures et les religions, et à proclamer l’Evangile à travers des vies enracinées dans la prière, l’unité et l’amour. »

Discerner ce que l’Esprit demande aux Églises d’Asie

Mgr George a poursuivi en développant : « D’ici le jubilé 2033 et au-delà, l’Esprit demande à l’Église en Asie de : connaître Jésus plus profondément, vivre son histoire de manière authentique, raconter son histoire avec humilité et bravoure, écouter les peuples avec compassion, servir les pauvres avec amour, enfin évangéliser avec créativité, en particulier numériquement, marcher humblement ensemble de manière synodale, et enfin être la présence de Jésus dans chaque culture et contexte. Ainsi, l’histoire de Jésus pourra être vue, entendue et vécue à travers l’Asie, à travers des vies transformées qui rayonnent de son amour. »

Parmi les nombreux enjeux pour les années à venir pour les Églises d’Asie, nous cherchons ici à nous concentrer sur le défi de l’évangélisation dans les contextes asiatiques. Les problématiques sont extrêmement variées, mais au cours du congrès missionnaire asiatique de novembre 2025, au moins deux grands thèmes semblent avoir été dégagés : la question des médias numériques et de l’intelligence artificielle pour le partage de l’Évangile en Asie, et cette deuxième question : comment être chrétien dans une communauté pluraliste ?

Les Asiatiques sont des pèlerins, toujours en mouvement

L’histoire du pèlerinage des mages d’Orient vers la crèche et de leur retour dans leurs pays « par un autre chemin » est un fil rouge qui est revenu abondamment parmi les intervenants. C’était d’ailleurs le thème du congrès missionnaire asiatique 2025 et celui du 50e anniversaire de la FABC en 2023 : « Cheminer ensemble comme peuples d’Asie… et ils repartirent par un autre chemin. » Pour beaucoup, c’est une façon d’expliquer que l’annonce de l’Évangile en Asie doit prendre des orientations nouvelles s’adaptant à des contextes variés et changeants, avec créativité et imagination, par exemple à la manière des ambassadeurs de la série The Chosen qui étaient présents au congrès de Penang.

Un autre aspect de ce thème est celui du pèlerinage. Comme l’a rappelé Mgr George Palliparambil, les Asiatiques ne sont pas de nature immobile, mais en mouvement, à la manière de pèlerins asiatiques célèbres comme les moines bouddhistes chinois Faxian, Xuan Zang et Yijing (qui ont entrepris de longs voyages vers l’Inde afin d’acquérir les Écritures bouddhistes et visiter les lieux saints, au cours des IVe et VIIe siècles, le long des routes de la soie). Selon Mgr George, cet esprit d’aventure et de découvertes, à l’instar des quêtes spirituelles, reste inchangé dans l’esprit asiatique : « Nous pouvons parcourir mille kilomètres à la rencontre de différentes religions et idéologies, visiter et rencontrer différentes cultures, apprendre et contribuer… Notre rassemblement ici en est un exemple. Nous sommes venus dans le cadre du pèlerinage jubilaire 2025, pour rendre le monde meilleur en étant le sel, le levain et la lumière. »

Cardinal Francis, Malaisie : « En Asie, nous comprenons la riche réalité de l’Eglise »

De son côté, le cardinal Sebastian Francis, évêque de Penang, a évoqué le jour de la Pentecôte, quand les disciples sont sortis de la chambre haute de Jérusalem (Ac 1, 13) face à « des gens de tout le monde connu ». « En Asie, nous comprenons la riche réalité de l’Eglise en sa variété de langues et de cultures : c’est son universalité, qui n’a rien à voir avec l’uniformité. C’est la réalité qu’a vue Pierre dès qu’il est sorti de la chambre haute. L’appel à l’universalité nous pousse à implanter la foi dans chaque culture, comme l’ont fait nos missionnaires, et comme nous continuons de le faire en Asie », a-t-il ajouté, en parlant de l’exigence de l’inculturation de la foi dans un tel contexte : « Une foi incapable d’inculturation n’est pas authentique, ou elle succombe à la tentation de l’uniformité, typique d’une pensée rigide. De même, il y a l’évangélisation des cultures, de chaque culture en Asie et au-delà. »

Durant le 50e anniversaire de la FABC, à Bangkok, en Thaïlande en 2023, les organisateurs ont présenté une litanie des saints et martyrs d’Asie. En novembre en Malaisie, le cardinal Francis a souligné la présence de certains d’entre eux dans l’histoire de son pays : 50 des martyrs du Vietnam ayant étudié au Collège Général (le grand séminaire de Penang), dont saint Philippe Minh, les missionnaires MEP Laurent Imbert et Jacques Chastan (qui enseignaient au Collège Général et qui sont partis en Corée où ils sont morts martyrs), ainsi que le grand saint François Xavier, qui est passé par Malacca, l’ancien port de commerce du sud du pays, avant d’aller en Chine. Le cardinal Francis a enfin évoqué Carlo Acutis comme une grande source d’inspiration pour les JMJ de Séoul 2027.

Cardinal Neri, Inde : « Soyons des évangélisateurs, joyeux, courageux, relationnels et synodaux »

Pour compléter cette litanie des saints, le cardinal Filipe Neri Ferrao, archevêque de Goa en Inde et président de la FABC, a évoqué durant le même congrès sainte Mère Teresa de Calcutta, en racontant une histoire remontant au jour de sa réception du Prix Nobel de la paix. Après avoir reçu ce prix prestigieux, la sainte fondatrice est passée par Rome avant de rentrer en Inde. Lors d’une conférence de presse, Mère Teresa s’est adressée aux journalistes de manière très brève. « Pas comme moi et les autres évêques ! » a commenté le cardinal Neri. « Mais après cela, les journalistes ont voulu longuement l’interroger. » Parmi eux, un très jeune journaliste a posé une question qui semblait très blessante : « Mère Teresa, vous êtes déjà assez âgée, vous avez 70 ans. Combien d’années pensez-vous encore vivre ? Pensez-vous qu’après votre mort, vous aurez éradiqué la pauvreté, la misère, l’injustice dans le monde ? »

Mère Teresa l’a regardé et lui a dit : « Mon cher ami, je n’ai jamais pensé que mon travail permettrait d’éradiquer la pauvreté, cela ne m’a jamais traversé l’esprit. Ma seule pensée est qu’à travers mon travail au service des plus pauvres parmi les pauvres, je souhaite apporter une petite goutte d’eau claire, limpide et transparente dans les eaux polluées de ce monde. » Elle ajouta : « Mon ami, voudrais-tu te joindre à moi ? Ainsi il y aura deux gouttes. » Elle a ensuite demandé : « Êtes-vous marié ? » Le journaliste a répondu oui. « Pourriez-vous rentrer chez vous et en parler à votre femme ? Si elle accepte librement, il y aura trois gouttes. » Elle a poursuivi : « Avez-vous des enfants ? » « Oui, j’en ai trois », a-t-il répondu. « Pourriez-vous rentrer chez vous et, avec votre femme, en parler à vos enfants, et s’ils acceptent, il y aura six gouttes. En nous voyant, beaucoup d’autres pourraient se joindre à nous. Il pourrait y avoir une petite source, et cette source, bénie par la puissance du Saint-Esprit, pourrait devenir une rivière, qui pourrait devenir un océan. Après tout, l’océan est fait de gouttes individuelles. »

« Mes chers amis », a conclu le cardinal indien, « je souhaite et je prie pour que ce congrès nous motive et nous donne la force, comme Mère Teresa, de mettre une goutte dans l’océan de ce monde. En étant des évangélisateurs, joyeux, courageux, relationnels et synodaux. »

Cardinal David, Philippines : « Le jubilé 2033 célèbre une histoire qui se poursuit »

Nous pouvons terminer cette réflexion sur les enjeux futurs de l’Église en Asie par des propos partagés le mois dernier par le cardinal Pablo Virgilio David, vice-président de la FABC. « Alors que nous cheminons ensemble comme peuples d’Asie vers 2033, ce grand jubilé sera la célébration d’une histoire. Nous sommes sur le point de clôturer l’année jubilaire 2025, et il nous reste huit ans avant 2033, l’année de la célébration du 2000e anniversaire du mystère pascal. Mais il ne s’agit pas d’une commémoration d’un événement passé. C’est la célébration d’une histoire qui continue de se dérouler. Nous sommes les disciples sur la route d’Emmaüs », a souligné le cardinal philippin, bibliste reconnu.

« Nous sommes ceux qui sont parfois découragés, parfois confus, mais toujours en quête. L’étranger marche toujours avec nous. Il entre toujours dans nos vies. Jusqu’à ce qu’il devienne l’un des nôtres. Pour que nous puissions devenir nous-mêmes. L’étranger marche près de nous, il s’approche le premier. Il marche avec les cultures voisines, avec les religions, avec les pauvres et le reste de nos semblables dans cette maison commune », a-t-il poursuivi.

« L’Asie n’est pas le continent des grandes cathédrales, mais l’Asie est un continent aux grandes histoires d’harmonie, de compassion, d’hospitalité, de résilience et d’espérance. Nos cultures valorisent la mémoire, la vénération des ancêtres, le respect du mystère, le silence profond et l’écoute contemplative. Nous marchons pieds nus sur une terre sacrée. Tout cela rend l’Asie particulièrement douée pour la mission de raconter l’Évangile. Nous sommes prêts à raconter l’histoire de Jésus de manière à guérir les divisions, à jeter des ponts entre les religions, à relever les pauvres et à protéger notre planète bien-aimée. »

(Ad Extra)

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