Cardinal Sebastian Francis : « Nous devons vivre avec notre identité chrétienne au milieu de la diversité : c’est l’Asie ! »
Mgr Sebastian Francis, évêque de Penang, fait partie des 21 cardinaux nommés par le pape François le 9 juillet dernier. © Ucanews ; St. Anne’s Church / Ucanews ; Cathedral of the Holy Spirit, Penang (Facebook) / Ucanews ; AsianewsLe 02/09/2023
[Interview exclusive] Le cardinal Sebastian Francis, évêque de Penang dans le nord-ouest de la Malaisie, fait partie des cardinaux nommés par le pape le 9 juillet. Né en 1951 à Johor Bahru, il a été nommé évêque en 2012. Il est également président du Bureau des communications sociales de la FABC (Fédération des conférences épiscopales d’Asie). Il se confie à Églises d’Asie avant le consistoire du 30 septembre, auquel il participera aux côtés de 20 autres nouveaux cardinaux dont un autre Asiatique, Mgr Stephen Chow, évêque de Hong-Kong.
Après l’annonce de votre nomination par le pape François, vous avez déclaré vouloir « témoigner de l’universalité de l’Église catholique ». Lors des derniers consistoires, on a compté beaucoup de nouveaux cardinaux de tous les continents : cela a une importance particulière pour vous ?
Le pape François, dans son message annonçant les nouveaux cardinaux, a déclaré que « leur provenance exprime l’universalité de l’Église, qui continue à annoncer l’amour miséricordieux de Dieu à tous les hommes de la Terre ». Témoigner de l’universalité de l’Église catholique, c’est être fidèle à la mission fondamentale de l’Église. L’universalité de l’Église catholique a commencé avec l’effusion de l’Esprit Saint au matin de la Pentecôte, où l’unité des différentes races et cultures, Asiatiques, Juifs, Arabes et Romains, entre autres, a été mentionnée dans Actes 2, 9-11. Ceci affirme que nous sommes tous unis dans la diversité.
Les nominations de cardinaux venus du monde entier témoignent que le peuple de Dieu fait l’expérience et ressent le même sentiment d’appartenance à l’Église universelle, sans se sentir exclu ou isolé. Le Saint-Père, dans la lettre de nomination qu’il m’a adressée, a inclus deux termes qui expriment le vrai sens de l’universalité : « universalité » et non « uniformité ». L’Église continue de proclamer l’Évangile, de témoigner et de répandre le message chrétien, l’Évangile de joie, miséricorde et d’espérance, à toutes les races et cultures en Malaisie, en Asie et au-delà. Mon rôle évêque du diocèse de Penang sera de continuer à témoigner de tout cela.
Comment avez-vous réagi à votre nomination comme cardinal ?
Ma première réaction a été de me dire « Ainsi prend fin ma vie privée, mon indépendance et ma liberté » ! J’ai senti un lien étroit avec le pape François. Je me suis aussi souvenu de mes frères cardinaux qui m’ont précédé, et je suis ému de suivre les traces du cardinal défunt Soter Fernandez (Malaisie), du cardinal défunt Cornelius Sim (Brunei) et aujourd’hui du cardinal William Goh (Singapour), qui appartiennent tous à la Conférence des évêques de Malaisie-Singapour-Brunei. Ce lien entre l’Église de Malaisie-Singapour-Brunei, l’Église en Asie et l’Église universelle continuera d’être renforcé.
Qu’est-ce que cela change dans votre mission dans l’Église en Malaisie et en Asie ?
Cela ne change rien. Toutefois, comme cardinal, j’aimerais utiliser l’expression locale en langue malaise, « turun padang », qui signifie « s’abaisser aux réalités sur le terrain ». Je sens un lien approfondi avec le Collège des évêques, qui sont les successeurs des apôtres. Le Collège des cardinaux ne change pas cette perspective élémentaire et fondamentale, bien qu’il inclut les électeurs du pape, qu’ils élisent en conclave dans la tradition catholique.
Cette année, vous avez vécu d’autres événements significatifs comme l’élévation de l’église Sainte-Anne de Bukit Mertajam, dans le diocèse de Penang, comme basilique mineure. C’est un sanctuaire important pour l’Église locale ?
L’Église Sainte-Anne a été fondée en 1846 par des missionnaires français de la société des Missions Étrangères de Paris (MEP), qui sont venus à Bukit Mertajam pour assurer la pastorale pour les familles catholiques de la région. Le père Adolphe Couellan, MEP, est le prêtre qui a construit la première chapelle, qui se trouve encore sur le site original de la Colline Sainte-Anne aujourd’hui. Quatre ans plus tard, le père François Allard, MEP, est devenu le premier prêtre résident. C’est le père Pierre Sorin, MEP, qui a construit une plus grande église en 1888. Cette église est toujours debout aujourd’hui.
L’élévation de l’église Sainte-Anne au rang de basilique mineure est une étape importante pour l’Église dans la région de Malaisie-Singapour-Brunei, car c’est notre toute première basilique. La première raison d’avoir demandé au Saint-Siège d’accorder ce statut à ce lieu sacré est d’honorer les pèlerins de toutes nationalités, religions, croyances, races et cultures qui se rassemblent ici, en raison d’un amour particulier envers sainte Anne et le Dieu que nous adorons. Cette proclamation permet aussi de renforcer le lien de la basilique mineure de Sainte-Anne, en Malaisie, avec l’Église de Rome et personnellement avec le Saint-Père.
Le sanctuaire Sainte-Anne est aussi appelé le Sanctuaire de l’Harmonie, qui est devenu un point central du pèlerinage annuel lors de la fête de Sainte-Anne, célébrée tous les 26 juillet. La fête est célébrée le dimanche suivant le 26 juillet, tandis qu’une neuvaine est organisée durant neuf jours avant la fête. Le pèlerinage annuel attire environ 250 000 pèlerins, à la fois catholiques et non catholiques, de tout le pays et d’autres régions du monde (Singapour, Thaïlande, Indonésie, Philippines, Australie…). Beaucoup ont témoigné de miracles et de bénédictions reçues de Dieu par l’intercession de sainte Anne.
En 2023, vous êtes aussi devenu président du Bureau des communications sociales de la FABC. Le pape François, dans son message pour la 57e Journée mondiale des communications sociales, a écrit que « Nous devons avoir peur non pas de proclamer la vérité mais de le faire sans charité ». Comment l’Évangile peut être proclamé en Malaisie, où les chrétiens sont souvent une minorité ?
La FABC a célébré le 50e anniversaire de sa fondation en 2022. Nous sommes un vaste continent comptant de nombreuses cultures, races et religions. L’incorporation de la culture et de la religion joue un rôle très important pour l’inculturation de la foi. Nous projetons de devenir une Église asiatique vraiment indigène.
Concernant la question du statut de minorité, je crois que nous ne devrions pas cataloguer une petite portion de la population comme minorité. Il y a eu trop d’étiquetages qui ont conduit à des connotations négatives. Les divisions entre majorité et minorité, libéraux et conservateurs, ou encore droite et gauche ne sont pas opportunes dans le contexte asiatique.
Nous ne devons pas regarder à droite ou à gauche mais vers le haut, vers le Royaume de Dieu dans les Cieux… « Fiat voluntas Tua, sicut in caelo et in terra », comme il est dit dans Matthieu 6,10 : « Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » En Asie, Ciel et Terre se fondent en une seule réalité dans le Royaume de Dieu. La parabole de la graine de moutarde rappelle que même la plus petite quantité de foi peut déplacer les montagnes, et la parabole du levain enseigne que le Royaume de Dieu peut avoir des humbles débuts, mais qu’il grandira et exerce son influence depuis l’intérieur et non de l’extérieur.
C’est pourquoi les catholiques agiront au sein d’une culture comme le levain, comme agents de changement, en changeant progressivement la culture depuis l’intérieur afin d’intégrer les valeurs du Christ et son Évangile. Nous devons vivre en harmonie, avec notre identité chrétienne au milieu de la diversité culturelle et religieuse. C’est l’Asie !
Votre nomination a également été acceptée avec joie en Inde, d’où vos grands-parents ont émigré. Quel est votre attachement à vos racines indiennes aujourd’hui ?
Je suis en premier lieu Malaisien, avant mes racines ethniques qui sont indiennes. En tant que Malaisiens, nos identités malaises, chinoises, indiennes, sabahanes et sarawakiennes, entre autres ethnies malaisiennes, partagent et acceptent les différences comme les ingrédients d’une même salade. Et ensemble, nous formons un plat délicieux ! J’embrasse mes racines indiennes et je suis heureux qu’il y ait de la joie et de la jubilation dans la communauté catholique indienne également. Le mot « catholique » vient du mot grec « katholikos » qui signifie « universel ». L’universalité de l’Église catholique fait de l’Église un seul corps. Quand il y a de la joie en Inde, c’est la preuve de l’unicité que nous ressentons mutuellement.
Vous avez aussi été président de la Conférence épiscopale de Malaisie-Singapour-Brunei en 2017, et vous avez été vice-président de son conseil interreligieux. Il s’agit d’une des questions fondamentales pour l’Église dans la région…
L’encyclique Fratelli Tutti « sur la fraternité et l’amitié sociale » du pape François est la marche à suivre afin de construire une société meilleure, plus juste et paisible. Nous devons vivre en harmonie avec nos coreligionnaires de l’islam, du bouddhisme, de l’hindouisme et des autres confessions, comme une seule famille où nous sommes frères et sœurs en humanité. J’ai rencontré les différents responsables spirituels de l’islam et des autres religions, et beaucoup partagent ce désir de fraternité et d’humanité.
À plusieurs occasions, nous avons touché la fraternité humaine qui embrasse tous les êtres humains et qui les unit dans une seule humanité. Nous appelons les Malaisiens et les personnes de bonne volonté à s’attacher à l’harmonie et l’unité dans la diversité. Il doit y avoir de l’amour, du respect et de la confiance les uns envers les autres, d’autant plus que nous vivons dans un pays multiethnique, multireligieux et multiculturel.
Durant mes rencontres interreligieuses, j’ai partagé personnellement sur l’encyclique Fratelli Tutti, qui signifie « Tous frères ». La compassion est un attribut si précieux, à la fois dans l’islam, le christianisme, le bouddhisme et d’autres religions, que cela doit être notre principe fondamental, en particulier face aux pauvres, aux orphelins, aux malades, aux sans-abri et aux personnes qui sont le plus dans le besoin.
Durant nos rassemblements interreligieux, avec nos frères musulmans, nous partageons toujours avec les participants une copie du « Document sur la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune », la déclaration d’Abou Dhabi, qui a été signée à la fois par Sa Sainteté le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, le cheikh Ahmed el-Tayeb, le 4 février 2019. Le document encourage les catholiques et les musulmans, et tous ceux qui croient en Dieu, à travailler ensemble pour construire une culture de paix, d’amour et de fraternité. Ce document permet toujours de briser la glace, et une fois qu’ils voient les photos de l’accolade entre le pape François et le cheikh el-Tayeb, cela provoque toujours des sourires et des échanges cordiaux.
(Propos recueillis par Eglises d’Asie)