Chine : la politique tibétaine de Pékin dans « l’œil du cyclone » ?

Rédigé par Olivier Guillard, le 13/06/2025
À l’approche des célébrations du 90e anniversaire du Dalaï-Lama, les soutiens internationaux à la cause tibétaine se multiplient, des États-Unis à l’Europe en passant par l’Asie. Face à ces mobilisations, la Chine tente de réaffirmer son autorité, entre propagande officielle, crispations diplomatiques et offensive symbolique. Le géopolitologue Olivier Guillard signale ainsi que Pékin a préparé un anniversaire en parallèle : les 60 ans de la création de la région autonome du Tibet (en 1965), annoncés avec logo officiel par les médias d’État.
Sans surprise, l’événement new-yorkais du 6 juin est passé inaperçu dans la presse chinoise. Pas un mot non plus sur les vœux adressés par l’illustre réalisateur Martin Scorsese à sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama, le chef spirituel du bouddhisme tibétain, dont les célébrations du 90e anniversaire (le 6 juillet) approchent – au déplaisir que l’on imagine de Pékin.
La semaine passée, dans le cadre du Tribeca Film Festival de New York, une projection spéciale du film Kundun – œuvre biographique du Dalaï-Lama réalisée par Scorsese et nominée aux Oscars en 1997 – a marqué le début symbolique du compte à rebours des 30 jours précédant cet anniversaire. Le réalisateur était présent pour commenter le film, une manière forte de relancer l’attention sur le leader spirituel tibétain en exil à Dharamshala, en Inde.
Quelques jours auparavant, une autre manifestation de soutien au Tibet avait eu lieu sur le territoire américain[1]. Le 3 juin, lors d’un match amical de football féminin entre les équipes des États-Unis et de la Chine, à Saint Paul (Minnesota), des militants tibétains ont déployé des banderoles avec le message clair et direct : « Free Tibet » Le public a applaudi les militants, tandis que la délégation chinoise a exprimé son mécontentement.
Un soutien extérieur de plus en plus visible
À l’échelle internationale, si l’on adopte un regard plus panoramique sur les récentes « épines tibétaines » qui irritent la sensibilité pékinoise, on réalise toute l’étendue du soutien extérieur à la cause du Dalaï-Lama et de ses partisans (eux aussi en exil, parfois loin du Pays des Neiges).
En Asie-Pacifique notamment : la 9e édition de la World Parliamentarians’ Convention on Tibet (WPCT) s’est tenue le 4 juin à Tokyo. Elle a réuni 140 participants venus d’une trentaine de pays. Les deux journées de travaux ont porté sur « la promotion de la solidarité mondiale envers le Tibet, la lutte contre l’influence chinoise et la coordination des initiatives parlementaires »[2].
Fin mai, à l’autre extrémité de l’Asie, une impressionnante cohorte de 145 organisations internationales mobilisées pour la cause tibétaine ont uni leurs voix en adressant une demande aux organisateurs du 22e Kathmandu International Mountain Film Festival (KIMFF). Elles réclamaient l’annulation pure et simple de la projection d’une série de six films chinois intitulés Xizang Panorama, accusés de relayer la propagande officielle de Pékin sur le Tibet[3].

Quelques jours auparavant, toujours en Asie du Sud, les tensions se sont ravivées entre l’Inde et la Chine. Les autorités indiennes ont protesté après que le ministère chinois des Affaires civiles a, pour la cinquième fois en quelques années, pris la liberté de siniser unilatéralement les noms d’une trentaine de sites situés dans l’État indien de l’Arunachal Pradesh[4]. Sommets, villages, rivières et lacs sont ainsi rebaptisés avec des noms chinois, Pékin revendiquant ce territoire montagneux stratégique comme faisant partie d’un « Tibet du Sud » (Zangnan). Une lecture géographique sujette à caution et qu’aucune autre capitale de la planète ne partage…
« Conformément à notre position de principe, nous rejetons catégoriquement ces tentatives. Une dénomination créative ne changera rien à la réalité indéniable selon laquelle l’Arunachal Pradesh était, est et restera toujours une partie intégrante et inaliénable de l’Inde », a protesté en retour le ministère indien des Affaires extérieures.
Deux anniversaires, deux visions
En parallèle, le journal chinois Global Times annonçait le 23 mai que les autorités pékinoises préparent la célébration du 60e anniversaire de la création de la région autonome du Tibet (en 1965). Une autonomie largement théorique, instaurée quinze ans après l’annexion pure et simple du plateau tibétain par les troupes chinoises en 1951.
Et les médias d’Etat de présenter à leur lectorat le logo officiel (1965-2025) de cet anniversaire, présenté comme un hommage à la fondation de la Xizang Autonomous Region, Pékin s’évertuant depuis l’automne 2023 à remplacer la dénomination Tibet par celle sinisée de Xizang[5]…
L’Europe prend position
Ces dernières semaines, le Vieux continent n’est pas demeuré à l’écart des débats sur le sort préoccupant de la population tibétaine, et de son environnement subissant les assauts sans fin d’une industrialisation chinoise à outrance confinant à l’écocide.
Le 8 mai, en amont d’une mobilisation internationale déplorant le 30e anniversaire de la disparition du 11e Panchen Lama[6] alors âgé de 6 ans (le 17 mai 1995, dans des circonstances très troubles et mal expliquées depuis par les autorités chinoises), le Parlement européen (à Strasbourg) adoptait en séance plénière une résolution. Celle-ci condamne les violations systématiques de la liberté religieuse au Tibet par la Chine, et dénonce l’ingérence du gouvernement chinois dans la sélection des chefs spirituels bouddhistes tibétains, en particulier les tentatives de Pékin d’exercer un contrôle sur la réincarnation et la succession du 14e Dalaï-Lama[7].
Par ailleurs, mi-mai dans la capitale bruxelloise, à l’initiative de la très active ONG International Campaign for Tibet, une conférence organisée au Parlement européen réunissait décideurs politiques, scientifiques et spécialistes des droits de l’homme. Ils y ont débattu de la multiplication des constructions de barrages hydroélectriques chinois sur le plateau tibétain. Un développement jugé inquiétant pour l’écosystème fragile de cette région surnommée le « troisième pôle », pour la population locale, et pour l’avenir s’obscurcissant du si précieux et irremplaçable « château d’eau de l’Asie »[8].
Cap sur le G7 : pression sur les dirigeants
D’un continent à l’autre : de l’autre côté de l’Atlantique, la mobilisation se poursuit. En amont du 51e sommet annuel du G7, qui se tiendra du 15 au 17 juin dans la province canadienne de l’Alberta, 147 entités internationales ont tenu à profiter de ce rendez-vous toujours à la large couverture médiatique.
Avec une lettre cosignée à l’attention des chefs d’État participants[9], elles les exhortent à « prendre de nouvelles mesures conjointes pour condamner les efforts croissants de la Chine visant à effacer l’identité et la religion distinctes des Tibétains ». « Parmi les plus alarmantes, citons la campagne s’intensifiant menée par le Parti communiste chinois pour manipuler et contrôler le processus de réincarnation des bouddhistes tibétains, en particulier la succession de Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama, et pour installer son propre candidat à sa place ».[10]
Une année de tensions en perspective
Tous ces signaux – manifestations, résolutions, conférences – forment une mobilisation mondiale sans précédent. Ces divers échos printaniers qui précèdent les célébrations du 90e anniversaire du Dalaï-Lama, prévues du 6 juillet 2025 au 5 juillet 2026, ont sûrement causé quelque irritation du côté de Pékin. Cette année entière constitue en effet un créneau symbolique s’il en est pour brandir à l’échelle globale le rêve d’un Tibet libre.
(Ad Extra, Olivier Guillard)
[1] Relevons également à ce propos que le Sikyong Pempa Tsering – président démocratiquement élu du gouvernement tibétain en exil (Central Tibetan Administration) – achevait le 10 mai à Washington D.C. une longue série d’entretiens avec diverses autorités américaines.
[2] International Campaign for Tibet, 9 juin 2025.
[3] Hindustan Times, 29 mai 2025.
[4] Radio Free Asia, 14 mai 2025.
[5] Tibetan Review, 25 mai 2025.
[6] La 2e autorité du bouddhisme tibétain, après le Dalaï-Lama.
[7] Tibet.Net, 8 mai 2025.
[8] Le Tibet est la source des 8 plus grands fleuves d’Asie (cf. Brahmapoutre, Yangtsé, Mékong, Indus, etc.) desservant rien de moins que 11 pays dont certains parmi les plus peuplés du globe…
[9] Le 1er ministre canadien M. Carney, le président E. Macron, le Chancelier allemand F. Merz, la Présidente de la Commission Européenne M. U. von der Leyen, le 1er ministre japonais S. Ishiba, etc.
[10] International Tibet Network, 2 juin 2025.