Asie

Comment vivre en tant que chrétien dans une société pluraliste ? L’évangélisation dans des situations difficiles

Mgr Thomas Menamparampil, le 28 novembre 2025 à Penang, Malaisie. Mgr Thomas Menamparampil, le 28 novembre 2025 à Penang, Malaisie. © Ad Extra
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Mgr Thomas Menamparampil est né en 1936 à Pala, en Inde. Salésien (SDB), évêque de Dibrugarh (Assam) pendant onze ans et archevêque de Guwahati (Assam également) pendant vingt ans, il a pris sa retraite en 2012 mais a été rappelé de 2014 à 2016 comme administrateur apostolique du diocèse de Jowai (Meghalaya). Bâtisseur de ponts, engagé de longue date dans la résolution des conflits, il est une figure majeure de l’Église indienne. Il livre ses réflexions sur une des questions majeures pour les Églises d’Asie : comment vivre en tant que chrétien dans une société pluraliste ? comment évangéliser dans les situations difficiles ?

I. La communauté chrétienne, une force au service du bien dans la société

L’affirmation de soi des nations (communautés) en Asie

Dans l’ère postcoloniale, la première priorité de chaque nation asiatique nouvellement libérée a été l’affirmation de son identité, de sa culture et de son système de valeurs. Plus leur héritage a été remis en question, plus les nations asiatiques ont cherché avec ardeur de nouveaux moyens de le réaffirmer. On entend par exemple parler de la renaissance de l’éthique confucéenne, des traditions hindoues, du patrimoine culturel, de l’héritage ethnique, de la fidélité religieuse… et, plus récemment, du nationalisme culturel.

Les Asiatiques savent pertinemment que le déracinement culturel ne peut en rien contribuer à l’avenir de l’Asie. Ils sont trop fiers de leur héritage civilisationnel pour le vendre pour un bol de soupe (Gn 25, 27-34), pour de simples avantages commerciaux. Après tout, l’économie n’est pas tout. « L’homme ne vit pas seulement de pain » (Lc 4, 4). Mais la tentation demeure.

L’affirmation des religions

En partie en réaction aux formes exagérées de sécularisation en Occident, les sociétés asiatiques, tout en renforçant leur puissance économique, ont réaffirmé avec force leurs traditions religieuses. Les temples et les mosquées continuent de s’élever sur le continent. À la surprise des intellectuels occidentaux, la jeune génération s’accroche à sa foi avec plus d’intensité que jamais, allant même jusqu’au radicalisme. Les gens affluent par millions vers les lieux de pèlerinage, y compris les sanctuaires chrétiens. Des lieux de prière et des centres de méditation apparaissent à chaque coin de rue.

Malheureusement, dans ces formes de renouveau religieux, on ne remarque pas de distinction entre ce qui est véritablement spirituel et ce qui relève d’un retour à l’archaïque, entre ce qui est d’inspiration religieuse et ce qui n’est qu’une affirmation voilée d’un intérêt politique. Dans plusieurs contextes, la religion est instrumentalisée à des fins politiques. Il semblerait plutôt que l’« inconscient collectif » des sociétés s’exprime librement après une longue période d’humiliation et de répression.

Préoccupations fondamentales des civilisations asiatiques

Les esprits asiatiques ont toujours exercé leur créativité sur des questions telles que la souffrance et ses causes, le renoncement et ses diverses expressions, la communauté et les obligations de l’individu au sein de celle-ci, les limites extrêmes du détachement, le respect de tous les êtres sensibles, la vénération de la nature, le contrôle de l’esprit, la pratique de la non-violence, la vie ordonnée au sein de la famille et de la société, la recherche de l’harmonie et de l’unité au milieu de la multiplicité et des contradictions, et la véritable nature de l’Absolu.

Peu importe notre enthousiasme pour la modernisation et la mondialisation, et les idéologies qui s’y opposent, ce n’est que lorsque nous touchons aux préoccupations fondamentales d’une civilisation que nous touchons l’ÂME d’un peuple et que nous nous mettons sur la même longueur d’onde que les populations. Ce n’est que lorsque nous répondons aux aspirations les plus profondes d’une société, d’une communauté, que nous suscitons une réponse adéquate. Malheureusement, de nombreux missionnaires chrétiens, bien qu’ils s’engagent de manière utile, restent en marge des préoccupations fondamentales de la civilisation à laquelle ils adressent l’Évangile.

Dans sa conversation avec la Samaritaine, Jésus a su passer d’une demande immédiate (étancher sa soif) à une profondeur spirituelle. « Si tu connaissais le don de Dieu » (Jn 4, 10). Une triple barrière séparait la femme de Jésus : le fait qu’elle était pécheresse, femme et Samaritaine. Mais il est devenu évident que « le don de Dieu » transcende les cultures, franchit les frontières, brise les barrières, élimine les préjugés, adoucit l’opposition et change les cœurs. Ainsi, le missionnaire se rapproche du cœur de l’individu ou de la communauté à qui il adresse l’Évangile. Cette intimité est le pont par lequel le message de l’Évangile passe d’un cœur à l’autre.

Chrétiens fidèles, citoyens engagés

Un danger contre lequel nous devons particulièrement nous prémunir est que nous, chrétiens d’Asie, ne devenions des étrangers dans notre propre pays, en nous éloignant de nos racines culturelles et des préoccupations de nos communautés. La minorité chrétienne doit s’assurer qu’elle est pleinement intégrée dans le tissu social de sa nation et qu’elle s’engage sincèrement à améliorer la communauté à laquelle elle appartient. Elle doit s’impliquer sans réserve dans les questions qui préoccupent son peuple.

Cela signifie éveiller un sens plus profond de la responsabilité chrétienne d’aider la société (nation, communauté) à faire face aux problèmes et aux inquiétudes de la situation actuelle : exploitation politique, violence, corruption, dégradation de l’environnement, affaiblissement des valeurs éthiques, irresponsabilité, matérialisme grossier, avortement, euthanasie, inégalités économiques, injustice envers les plus faibles, érosion des cultures, érosion des valeurs traditionnelles, éclatement de la famille. La simple dénonciation n’aidera pas beaucoup. Les travailleurs chrétiens devraient inviter leurs concitoyens à réfléchir de manière responsable et intelligente, et à prendre leurs responsabilités.

Notre mission aujourd’hui est d’inviter les gens à réfléchir ensemble et à coopérer avec les initiatives constructives de leurs concitoyens. S’adressant aux jeunes à Rio de Janeiro en 2013, le pape François a élevé la voix : « Je veux que l’Église sorte dans la rue, je veux que nous évitions… de nous refermer sur nous-mêmes. » Le pape François voulait une Église qui cherche continuellement des occasions d’aller à la rencontre des gens, surtout ceux qui se trouvent en marge : géographiquement, psychologiquement, socialement, culturellement ou religieusement.

Les chrétiens doivent soutenir les dirigeants qui défendent leurs valeurs

En tant que citoyens d’un État démocratique, nous avons une responsabilité nationale. Dans un monde mondialisé, nous avons une responsabilité mondiale. Les citoyens chrétiens engagés cultivent en eux-mêmes ce sens de la responsabilité universelle et l’encouragent chez les autres. Ils ont le devoir d’insister auprès des personnes qu’ils ont élues pour qu’elles conservent un sens de la dignité dans leurs paroles et leurs actes, et d’exiger d’elles un code de conduite, un style de comportement, une manière d’aborder les personnes et les questions en accord avec cette dignité, et d’attendre d’elles un certain degré d’engagement envers les préoccupations du peuple tant qu’elles sont en fonction.

Nous vivons à une époque où la démocratie s’effondre, même dans les pays traditionnellement démocratiques. Même les personnes qui acceptent la démocratie électorale sont souvent intolérantes (cf. Le peuple contre la démocratie, Yascha Mounk), ont des préjugés à l’égard des minorités raciales, des immigrants et des personnes d’autres religions. Les discours haineux sont en augmentation sur les réseaux sociaux (Y. Mounk). Faire fonctionner les démocraties en tant que telles est devenu une grande mission. Le message de Jésus doit s’incarner à notre époque pour transformer et rajeunir le monde dans différents contextes. Il doit aborder les problèmes de la démocratie déformée, de l’abus de pouvoir, des médias déformés, des conflits intercommunautaires, de la traite des êtres humains, de la déforestation, de la protection de l’environnement, des inégalités croissantes et de la corruption généralisée.

Comme l’a dit Vaclav Havel, le leader tchèque qui luttait contre le puissant régime communiste en Tchécoslovaquie, « nous pouvons et devons tous faire quelque chose » pour apporter un changement. « Personne d’autre ne peut le faire à notre place, nous ne pouvons donc pas attendre que quelqu’un d’autre le fasse » (cf. Vaclav Havel, Disturbing the Peace). C’est dans ce contexte qu’il s’est exclamé : « Les mots ont encore du pouvoir. » Alors, lisons, écrivons, parlons, enseignons, échangeons, discutons, débattons, découvrons ce qui est le mieux pour notre société. Partageons ces idées avec les autres. Éveillons le sens des responsabilités. Exerçons une influence saine sur la société. Guidons la pensée des intellectuels. Façonnons la pensée dans la société.

Influencer les « éléments pensants » de la société

Nous devons travailler sans relâche pour nous assurer que la pensée juste prévaut dans les universités où se forgent les réflexions sur l’avenir, dans les assemblées législatives où sont formulées les politiques d’amélioration sociale, dans les médias où sont diffusées des informations véridiques, sur les marchés dont dépendent les moyens de subsistance de millions de personnes, et dans de nombreux autres domaines où les êtres humains interagissent, se font face et luttent les uns contre les autres, ou s’entraident, s’encouragent, se motivent et se soutiennent mutuellement.

Je suggère que nous influencions un élément important de la société que je qualifierais d’« éléments pensants » : c’est-à-dire ceux qui suscitent la réflexion, façonnent l’opinion, définissent les valeurs, proposent des objectifs, sèment des idéaux, projettent des visions, soutiennent l’énergie et inspirent les âmes. Ce sont des personnes qui donnent à un peuple une « compréhension de soi » collective en tant que société et maintiennent son endurance pour l’avenir. Ils fixent les objectifs vers lesquels il continue d’avancer. Ils corrigent les aberrations qui s’insinuent dans le mode de pensée, de vie ou de relation de leur société. Ils innovent tout en cherchant à rester fidèles à son identité fondamentale.

Si les intellectuels et les missionnaires chrétiens pouvaient trouver leur place parmi eux, ils pourraient légitimement prétendre être le « sel de la terre », du moins d’une certaine manière. Je classerais parmi ces « éléments pensants » de la société les penseurs, les poètes, les écrivains, les professeurs, les journalistes, les compositeurs, les artistes, les orateurs, les inspirateurs, les chefs religieux et autres. Dans la mesure où ils gardent des objectifs nobles, ils gagnent l’admiration des intellectuels ; dans la mesure où ils restent véritablement « humains », ils gagnent le soutien enthousiaste de la population. Je souhaite que nous puissions attirer l’attention de ces deux catégories de personnes.

C’est lorsque les missionnaires se sont associés à ces piliers de la société qu’ils ont acquis une certaine autorité morale au sein de celle-ci. Dans le contexte actuel, où il s’agit de servir la société dans son ensemble dans un environnement multiconfessionnel et laïc, c’est un objectif réaliste vers lequel nous pouvons tendre à ce stade. Les valeurs humaines de bonté naturelle, de soif de vérité, de solidarité, de générosité, de sincérité dans les intentions et de souci des autres restent enfouies dans chaque cœur, même si elles ont pu s’enfoncer plus profondément dans le monde égocentrique d’aujourd’hui. Il faut les déterrer et exploiter pleinement leurs ressources.

II. Orienter vers Jésus

La découverte progressive de l’identité de Jésus

Malgré tout ce que nous avons discuté ci-dessus, notre obligation de guider vers Jésus demeure. « Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile ! », s’écriait Paul (1 Co 9, 16). Il ne fait aucun doute que, pour la plupart des gens, la découverte de Jésus en tant que Fils de Dieu est un processus progressif. Nicodème en est arrivé à voir en Jésus un maître, bien que très spécial. Il a dit : « Rabbi, nous le savons, c’est de la part de Dieu que tu es venu comme un maître qui enseigne, car personne ne peut accomplir les signes que toi, tu accomplis, si Dieu n’est pas avec lui. » (Jn 3, 2). Beaucoup de gens le considéraient comme Jean-Baptiste, Élie, Jérémie ou l’un des prophètes. La Samaritaine le voyait comme un prophète : « Seigneur, je vois que tu es un prophète ! », se demandant s’il était le Messie (Jn 4, 19).

Cependant, la foi de Pierre est claire : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16). Nathanaël s’effondre : « Rabbi, c’est toi le Fils de Dieu ! C’est toi le roi d’Israël ! » (Jn 1, 49).

Nous devons laisser cette progression suivre son cours, chaque personne ou communauté avançant à son propre rythme dans sa recherche et à sa manière dans sa découverte. Une conversation spirituelle est comme un chemin vers Emmaüs. La découverte finale de Jésus peut être une surprise. Il y a en Asie de nombreux chercheurs de Dieu qui recherchent un compagnon et un guide sur le chemin d’Emmaüs. Ils veulent qu’une personne ayant fait l’expérience de Dieu les accompagne et leur montre le chemin. Une rencontre plus profonde avec Jésus peut être bouleversante. Thomas s’est exclamé : « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20, 28). Un regard de Jésus a fait pleurer Pierre (Lc 22, 62).

La première chose importante est donc qu’il y ait quelqu’un pour expliquer. La deuxième chose est que l’évangélisateur parte de là où en est le chercheur : son état d’esprit, son problème immédiat, son niveau de compréhension, les aspirations de son cœur, la citation des Écritures qui l’a inspiré, les caractéristiques de sa culture, les limites de son horizon et de sa vision.

Les besoins pressants du moment sont un point d’insertion

Jésus commençait souvent par prêter attention à un besoin pressant d’une personne (lépreux, aveugle) ou d’une communauté (victime d’injustice). Il n’était pas rare qu’il s’adresse à des foules « désemparées et abattues » (Mt 9, 36) face aux exploiteurs romains et à l’élite juive qui profitaient de leur faiblesse. Elles étaient comme des brebis sans berger. C’est par sa préférence pour elles que Jésus se distinguait des scribes et des pharisiens. Son message était pertinent pour les personnes en détresse. Et elles y ont répondu. « Qu’est-ce que cela veut dire ? » demandaient-ils. « Voilà un enseignement nouveau ! » (Mc 1, 27). La nouveauté et le pouvoir d’attraction de son enseignement ne tenaient pas tant à la qualité de son éloquence ou de sa rhétorique, ni à sa pertinence immédiate par rapport aux besoins des gens. Les paroles qu’il prononçait et les actes qu’il accomplissait répondaient aux besoins ressentis par les individus et les communautés avec lesquels il était en contact.

La pertinence, l’actualité et la finalité d’un Message ouvrent le cœur et l’esprit de tous ceux à qui il s’adresse. Son ton personnel et ses expressions chargées d’émotion ajoutent de l’onction au Message. Il allume le feu dans les cœurs. Jésus n’appelait pas à une révolution, il leur donnait l’espérance. Les mots ont une force ; ils ont un pouvoir transformateur. Le monde aspire à un changement radical.

Les préoccupations d’un missionnaire concernent les besoins des faibles et des marginalisés. Il s’occupe principalement des personnes en situation de tension (cf. Rick Warren, The Purpose Driven Church). Il cherche à soutenir leur espérance, en partageant le message contenu dans ces paroles de Jésus : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. » (Mt 5, 11).

III. Surmonter les distances culturelles

Les frontières culturelles à franchir

Les évangélisateurs chevronnés en Asie nous diront que certaines approches évangéliques sont de mauvais goût : les querelles en général, les revendications de supériorité, les croisades évangéliques agressives, les campagnes, la condamnation des autres religions ou de leurs traditions, les revendications de chiffres impressionnants en matière de conversions, le fait de traverser les cultures et de « convaincre les gens de péché », le fait d’ignorer les sensibilités culturelles en général.

Je voudrais insister tout particulièrement sur ce point de la « culture ». Nous devons étudier avec un vif intérêt comment l’Évangile a franchi les frontières culturelles à différentes périodes de l’histoire : Jésus parlant à la Samaritaine, à la femme syro-phénicienne et à l’officier romain ; saint Paul s’adressant aux Athéniens, aux officiers romains, aux peuples indigènes d’Asie Mineure et des îles ; saint Patrick prêchant aux Celtes, saint Boniface aux Saxons, saint François Xavier aux pêcheurs de la côte de Malabar, le père Constant Lievens aux peuples aborigènes de Chota Nagpur.

Ces missionnaires, comme Patrick ou Boniface, qui se sont rapidement identifiés à la communauté à laquelle ils adressaient l’Évangile, ont su se faire entendre ; ils ont attiré de nouveaux adeptes à la foi chrétienne et ont bâti des Églises autonomes. Grâce à leur créativité et à la collaboration des communautés indigènes, la foi a développé de nouvelles formes d’expression dans la pensée, l’art, la musique, le culte, l’organisation et d’autres expressions culturelles qui ont édifié le reste de l’Église universelle.

Prendre en compte les expressions culturelles

Certains des détails énumérés ci-dessous peuvent sembler insignifiants, mais ils revêtent une importance considérable dans la vie quotidienne. Chaque communauté a sa propre façon d’exprimer la familiarité ou le mécontentement, la surprise ou le choc, l’inquiétude ou la compassion, l’accueil chaleureux ou l’indifférence totale, l’acceptation ou le rejet. Ces sentiments s’expriment parfois de manière explicite par des mots, d’autres fois par des allusions indirectes. Certains préfèrent être plus suggestifs que verbaux, suggérer plutôt que prononcer, exprimer leur pensée par le silence ou le langage corporel (secouer la tête, hausser les sourcils, sourire ou froncer les sourcils) plutôt que de s’exprimer clairement ou affirmer avec force.

Certaines questions sérieuses sont chuchotées à l’oreille, et non proclamées sur les toits. L’Occident aime généralement être franc, tandis que l’Orient cherche à ne pas offenser. La manière dont les enfants se comportent avec leurs parents, dont les plus jeunes interagissent avec leurs aînés, dont les garçons se mélangent aux filles, dont tous manifestent leur respect aux personnes âgées ou aux religieux, varie en fonction des traditions propres à chaque communauté.

Vous pouvez commettre de graves erreurs en vous montrant trop assertif dans une communauté où une approche plus douce est plus acceptable, ou en laissant tout à l’initiative des gens dans une situation où une implication plus directe serait nécessaire. Ce qui semble respectueux et digne à une communauté peut paraître froid et réservé à une autre. Ce qui semble confiant et expansif à certains peut paraître arrogant et intrusif à d’autres. Les récompenses ou les punitions, ou la manière de les administrer, peuvent être différentes. La manière de solliciter de l’aide, d’évoquer la collaboration, d’offrir des possibilités de participation, de rechercher l’assentiment, d’exprimer son désaccord, la perception du temps, l’importance accordée à la ponctualité, le rôle de l’individu dans la famille et la société, la position des adultes, la manière de s’adresser les uns aux autres… tout cela est conditionné par la culture.

Certains aiment utiliser des euphémismes, d’autres se délectent des exagérations. Lorsque les Européens du Sud qualifient une performance de « fantastique », « fabuleuse », « incroyable », un Anglais peut qualifier le même événement de « passablement bon » ou dire qu’il était « pas trop mal » ou « assez bon ». Seul celui qui connaît ces différences saura interpréter la remarque dans son contexte.

De même, il existe une sorte d’humeur collective d’une communauté/société/nation à une période particulière de l’histoire : par exemple après une guerre, en période de conflits ethniques ou de chaos social, de boom économique ou de récession économique ; dans des contextes de violence, de corruption généralisée ; lors de libération d’un régime totalitaire. Le vocabulaire utilisé et les approches adoptées devront nécessairement être différents ; il faudra prêter attention aux différences de sens des mots utilisés, des programmes lancés, des célébrations organisées, de la discipline imposée, en fonction des humeurs et des situations variables.

Les sensibilités diffèrent

Prenons un exemple. Avec la sécularisation rapide, l’Occident accorde aujourd’hui beaucoup plus d’importance à la liberté d’expression qu’au respect des sentiments religieux. Pour les Asiatiques, c’est un ordre des choses erroné. Pour eux, la sensibilité religieuse passe avant tout. Même un marxiste en Inde, bien qu’il prétende ne croire qu’au matérialisme scientifique, n’oserait pas ridiculiser une croyance religieuse, un livre saint, un texte sacré ou un noble prophète. L’Occident n’a pas de telles inhibitions. Ignorer cette différence culturelle a eu de nombreuses conséquences douloureuses. Les récentes controverses autour de La dernière tentation, La sixième blessure et Da Vinci Code en référence au Christ, et Les versets sataniques, les caricatures danoises et autres choses similaires en référence au prophète, soulignent cette différence. Malheureusement, ces caricatures ont été publiées à plusieurs reprises. Les prêtres, les religieux et les intellectuels asiatiques occidentalisés qui se sont éloignés de leur propre culture peuvent commettre des erreurs similaires.

« Nous, Occidentaux, aimons être francs », a déclaré un porte-parole occidental après le discours du pape Benoît XVI à Ratisbonne. Est-ce vraiment vrai ? Mais malheur à vous si vous êtes trop franc en utilisant des mots politiquement incorrects, des mots qui semblent revendiquer une supériorité raciale ou exprimer des préjugés sexistes. Vous vous exposeriez à un désastre si vous faisiez des commentaires « politiquement incorrects » sur l’homosexualité, les relations sexuelles avant le mariage, les mariages entre personnes du même sexe, le concubinage ou les « superstitions ». Veuillez ne pas utiliser le mot « aveugle » pour désigner les personnes « mal voyantes », « retardées » pour désigner les personnes « handicapées », « vieux » pour désigner les « seniors ». De même, les pays « sous-développés » sont devenus les pays « en voie de développement ».

Les filles musulmanes s’accrochent au port du foulard en France, les hommes musulmans à celui du fez dans certains pays arabes. Le dhoti ou le salwar kameez, la barbe ou l’épée, le kimchi coréen ou le tungrumbai khasi, la nourriture hindoue sans bœuf ou le régime musulman sans porc… nous ne savons pas ce qui peut devenir sensible pour une communauté à un moment donné, ni ce qu’elle décide de faire du symbole d’une identité manifeste dans un contexte particulier. Heureux les sages qui décident de construire de nouveaux ponts, au milieu des attaques, de désamorcer les tensions, de rétablir le calme, de reconstruire la confiance et de montrer la voie à suivre pour une société.

Saint Paul était un bâtisseur de ponts

Je voudrais souligner une dimension importante de la personnalité de saint Paul : il était un bâtisseur de ponts entre les cultures hébraïque et hellénique, entre l’Asie et l’Europe ; en fait, il formait lui-même un pont entre les cultures, les races et les civilisations. Il était ouvert à des communautés diverses, à des modes de vie, des habitudes, des coutumes, des attitudes, des modes de pensée et des styles d’organisation différents. Cosmopolite dans sa vision du monde, d’une polyvalence et d’une ouverture d’esprit illimitées, Paul était capable de se mettre au diapason des Juifs, des Grecs, des Romains, des barbares, des rabbins, des philosophes, des militaires, des geôliers, des hommes et femmes d’affaires. Ses images étaient tirées de la vie urbaine romaine, de scènes d’une intense énergie humaine : soldat en armure, athlète dans l’arène, procession triomphale de généraux victorieux.

Un véritable évangélisateur s’identifie aux aspirations les plus profondes des personnes auxquelles il adresse l’Évangile et s’engage radicalement à les réaliser. Paul était fier d’être citoyen romain (Actes 16, 37-39 ; 22, 24-30 ; 25, 9-12). Il était fier de l’Empire (Romains 13, 1-5 ; 1 Tim 2, 1-3). Il était imprégné de la pensée grecque et romaine. Il avait bénéficié de l’effervescence intellectuelle de Tarse, ville universitaire où les idées s’affrontaient et stimulaient le progrès de la pensée. Il avait été exposé aux philosophies stoïcienne et épicurienne.

Seul un évangélisateur enraciné dans la sagesse ancienne et les traditions spirituelles de la communauté qu’il évangélise et capable de s’appuyer sur ses ressources natives sera efficace dans la présentation de l’Évangile. Mais il doit également être ouvert aux idées nouvelles venant du monde entier. Un ancien Indien chantait : « Que des pensées nobles nous viennent de tous horizons » (cf. Rig Veda 1-89:1). Paul s’exclamait : « Nous capturons toute pensée pour l’amener à obéir au Christ. » (2 Co 10, 5). Chez Paul, ces deux identités distinctes trouvaient une parfaite harmonie.

Construire des ponts pour communiquer efficacement

Tout ce que j’essaie de dire, c’est que nous devons prêter attention aux différents modes de pensée et de compréhension, aux différents symboles de sens et de communication, aux différentes sensibilités et attachements émotionnels si nous voulons vivre et travailler ensemble. Si vous cherchez à communiquer le Message à travers les cultures et à persuader les membres d’autres communautés, vous devez suivre ces étapes logiques et établir ces liens de pensée que les personnes à qui vous adressez l’Évangile trouveront intelligibles et convaincants. Si vous écrivez pour plaire, vous devez adopter les procédés littéraires et artistiques qui, dans leur culture et leur usage, leur semblent intéressants. Si votre but est de divertir, vous devez choisir des moyens et des styles qui, dans leur tradition, sont considérés comme divertissants. Nous devons adopter un style différent pour les expressions sérieuses ou légères, les sujets religieux ou profanes, les contextes tragiques ou hilarants.

La société brahmane, encline à la contemplation, admire dans le christianisme son expérience de la recherche de Dieu, sa profondeur mystique, son sérieux spirituel, sa qualité spéculative et sa capacité de renoncement. Elle apprécie la contribution des missionnaires à la renaissance et au renforcement de la culture dominante : l’étude des textes anciens, la composition de dictionnaires et de grammaires, et d’autres services similaires. Les castes plus pragmatiques de classe moyenne peuvent quant à elles apprécier chez les missionnaires chrétiens leur efficacité, leur fécondité, leur production culturelle, leur crédibilité et leur fiabilité, ainsi que leurs habitudes productives. Les castes inférieures et les communautés tribales sont plus susceptibles d’apprécier leur dévouement envers les pauvres, leur efficacité en matière d’aide sociale, leur engagement en faveur de la justice, l’attention qu’ils portent à leurs injustices, le fait qu’ils donnent une voix à leurs angoisses, leur proximité avec leurs communautés, la promotion de leur sens religieux et le respect de leurs traditions.

Il est très important de respecter l’identité, la culture, la fierté et le patrimoine unique d’une communauté. Si quoi ce que nous faisons apparaît comme une menace pour son identité, nous sommes voués à rencontrer des difficultés. Jésus vient pour renforcer tout ce qui est positif dans une culture particulière et la conduire à la perfection, et non pour affaiblir ou détruire quoi que ce soit de précieux.

De la même manière, ne laissez jamais les éléments extérieurs liés au christianisme affaiblir votre engagement envers les préoccupations centrales de l’humanité : la justice, la paix, la miséricorde, le pardon, la fidélité, l’honnêteté, l’intégrité, l’authenticité, la générosité, la compassion, la piété filiale, le respect de la vie. De même, tout en mettant l’accent sur des questions marginales, ne négligez jamais les préoccupations fondamentales de la religion : l’expérience de Dieu, le renoncement, la repentance, le sérieux spirituel, le zèle évangélique. Mais surtout, attirez les gens vers la « personne de Jésus ».

Les styles de relations diffèrent selon les cultures

Les cérémonies et les décorations, les couleurs et les sons relèvent d’un niveau de l’existence, et la vie et les relations sont d’un autre niveau. La manière dont les enfants se comportent avec leurs parents, dont les plus jeunes se comportent avec leurs aînés, la manière dont tous manifestent leur respect envers le prêtre, seront différentes selon la tradition de chaque communauté. Lorsqu’un prêtre/une sœur, après avoir travaillé pendant un certain nombre d’années avec une communauté, part assumer une responsabilité dans une autre, il/elle peut commettre de graves erreurs, par exemple en se sentant offensé là où aucune offense n’est voulue.
Si vous n’êtes pas constamment observateur, infailliblement attentif aux remarques occasionnelles et spontanées et aux accès occasionnels de colère, vous commencerez à passer d’une erreur à une autre. Vous pouvez ne pas vous rendre compte de l’importance qu’un anniversaire ou une date commémorative peut avoir pour certaines personnes, ou d’une commémoration des morts pour d’autres. La manière de traiter les personnes lors de l’organisation du travail ou lors des visites aux familles sera différente selon les traditions culturelles diverses.

La manière légitime de manifester la familiarité ou le respect différera d’une communauté à l’autre. Le mode de consultation et le degré de consensus attendu varieront selon les traditions. Ce qu’il est important de noter, c’est que, de même que les individus ont des manières différentes, les communautés ont des traditions et des goûts, des priorités, des préjugés et des perceptions différents.

L’erreur habituelle dans le domaine de la culture

Les erreurs liées à la culture peuvent être de différents types. La plus courante consiste à regarder les autres à travers ses propres lunettes culturelles, à porter des jugements négatifs et à se laisser guider uniquement par ses propres perceptions culturelles. Une autre erreur consiste à adopter les façons de penser du groupe dominant d’un lieu avec lequel on est familier, et à évaluer tous les autres selon les normes qu’il fournit. Une troisième forme d’erreur consiste à emporter avec soi les habitudes culturelles de la communauté avec laquelle on travaillait auparavant et à irriter tout le monde.

Joan Chittister (OSB, une moniale bénédictine), dans The Fire in these Ashes, fait référence à un autre type d’erreur dans le contexte de la vie religieuse. Elle visait les exagérations de la culture moderne : « La vie religieuse naît d’une culture pour la remettre en question. » Remettre en question la culture moderne et ses aberrations est une tâche gigantesque. Il est plus facile de céder à ses faiblesses que d’ajouter à sa force. C’est devant ce défi que la vie religieuse a souffert aujourd’hui ! Chittister dit : « À certaines périodes de l’histoire, les congrégations religieuses ont dynamisé la culture qui les entourait ; à d’autres périodes, elles n’ont fait que refléter la culture dans ce qu’elle avait de pire… La vie religieuse doit être une réponse consciente et créative à la culture dans laquelle elle existe. »

C’est devant ces défis que nous nous sentons dépassés et que nous nous effondrons, nous accrochant impuissants à un monde ou à l’autre et à ses faiblesses, incapables de devenir des bâtisseurs de ponts entre les cultures et des agents de dialogue et de réflexion, refusant de rester des apprenants constants et des stimulateurs de pensée, échouant à offrir les intuitions de l’Évangile là où elles sont le plus nécessaires.

IV. Communication efficace de l’Évangile

La pédagogie de la communication

Notre approche peut être résumée de la manière suivante. En communiquant la Foi à une personne d’une autre culture, nous devrions prendre des concepts et des catégories du monde culturel de l’autre personne, commencer par les prémisses qu’il/elle reconnaîtrait, citer les autorités de sa tradition, adopter des codes de conduite et des principes éthiques qu’il comprend et respecte. Et, pas à pas, nous conduisons l’autre depuis sa propre tradition spécifique vers un monde culturel neutre et plus large. Ce n’est qu’à l’étape finale que nous l’introduisons dans notre propre monde culturel. Même alors, il ne devrait pas y avoir de hâte à nous enfermer dans ce monde limité qui semble se rétrécir sans cesse. Une fois les ponts supprimés et les portes fermées, aucune admission ultérieure ne sera possible.

Les étapes de ce pèlerinage que je viens de décrire ne sont pas tant chronologiques que pédagogiques. Lorsque nous offrons le don de l’Évangile à diverses catégories de personnes, le rythme de progression et les styles d’approche différeront selon la préparation mentale, l’ouverture psychologique ou la résistance de chaque personne. Nous ne devrions jamais oublier qu’il existe une pédagogie de la communication dans la présentation de la Foi, qui devrait être fondée sur la psychologie religieuse de chaque communauté/personne. Nous devons être créatifs, en conduisant chaque personne depuis ce qui lui est familier vers ce qui l’est moins, en reliant les nouvelles idées à ce qui est ancien dans la tradition de chaque personne.
Des changements radicaux, introduits à la hâte, peuvent provoquer un sentiment d’insécurité et de peur, et même de bonnes suggestions peuvent rencontrer des résistances ou être rejetées. En général, nous trouverons plus facile d’obtenir l’acceptation de nouvelles idées, 1. si elles sont présentées dans un vocabulaire tiré du langage courant et avec des images prises de la culture dominante, 2. si nous établissons une relation entre l’ancien et le nouveau, 3. si nous construisons des ponts reliant les idées proposées aux besoins des personnes.

Si présenter l’Évangile à des personnes de différentes écoles de pensée au sein de la même civilisation est déjà assez difficile, l’offrir à des personnes de cultures et de civilisations différentes sera encore plus difficile. Les distances sont bien plus grandes. Les Grecs recherchaient la sagesse et les Juifs les miracles (1 Co 1,22). L’Occident peut se sentir attiré par ce qui est logique et analytique, l’Orient par ce qui est mystique et intégratif, le Sud (Afrique, Amérique latine) peut être exubérant et enthousiaste, et le Nord peut aimer fonder ses décisions sur des réalités existentielles.

Prêter attention à la mémoire collective d’une communauté

Le sens des mots, la réponse aux problèmes, la réaction à l’autorité, la coopération ou la résistance au leadership sont façonnés par les concepts et les expériences collectives d’une communauté à une époque donnée. Par exemple, une nouvelle humeur collective a été éveillée dans le monde occidental par la tragédie du 11 septembre il y a quelques décennies. Notre compréhension de la réalité et les initiatives apostoliques que nous adoptons en réponse doivent tenir compte de tels faits. Nous devrions répondre aux besoins changeants d’une nouvelle culture.

Presque toutes les communautés ont des souvenirs négatifs de blessures subies dans le passé en tant que nation, groupe ethnique ou religieux… réelles ou imaginées. L’Holocauste, Hiroshima, le Kosovo, Ayodhya en sont des exemples. La réduction de la colère collective, l’élimination des préjugés, l’adoucissement des relations… sont de grands services que le personnel religieux peut offrir… bien que le succès ne soit pas facile à atteindre.
Si, dans une paroisse, les fidèles ont senti que les personnes dont le rôle était d’animer et de guider la communauté profitaient de leur position, ou qu’elles se souciaient davantage d’imposer la discipline que d’encourager les faibles, ou qu’elles manquaient de fibre morale… la réponse négative, sur une période de temps, peut avoir un effet cumulatif. Et si une situation de confrontation se prolonge, la tension qui en résulte peut dépasser toute proportion. Peut-être en faisons-nous l’expérience en ces jours-ci. Nous pouvons apprendre de Paul, qui, lorsqu’il formulait des exigences difficiles, adoptait une attitude d’extrême humilité : « Je vous exhorte par la douceur et la bienveillance du Christ » (2 Co 10,1).

V. Assurer la fécondité pastorale

Différentes situations pastorales

Lorsque, en tant que Missionnaire, vous êtes transféré d’un lieu à un autre, il est nécessaire d’apprendre les pratiques en vigueur dans le nouveau lieu. Laissez derrière vous vos intérêts mesquins et apportez votre enthousiasme créatif afin de pouvoir enflammer votre nouveau lieu de zèle. Jésus a dit : « Je suis venu jeter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12,49). Il n’y a rien de tel que d’aller à la rencontre des personnes qui gardent leurs distances avec l’Église… converser, montrer de l’intérêt pour leurs préoccupations personnelles/familiales, entrer en dialogue, résoudre les problèmes et les ramener à une relation normale avec l’Église. Pour chaque personne qui revient au troupeau, soyez-en sûr, il y aura une grande joie dans le ciel (Lc 15,7).

En outre, soyez attentif lorsque l’Esprit Saint vous invite à sortir et à rencontrer de nouvelles personnes (Ac 10,19) en entrant en contact non seulement avec de nouveaux villages, mais avec de nouvelles tribus et communautés ouvertes à l’Évangile. La visite des villages est un grand ministère : visiter les maisons, donner des instructions à la communauté, des leçons de catéchisme aux enfants en préparation aux Sacrements et aux jeunes couples avant leur mariage. Établissez de nouveaux contacts, instruisez les catéchumènes, réunissez des familles brisées, dialoguez avec des dissidents obstinés. Développez la capacité à demander, exhorter, insister, supplier, implorer, convaincre (des mots que l’on trouve dans les lettres de Paul), afin de changer l’esprit des personnes et de les réconcilier avec le Seigneur.
Des associations comme la Légion de Marie, les organisations de jeunesse, les fédérations de parents, ou les groupes de femmes, et les sodalités peuvent devenir de puissants agents d’évangélisation et de suivi pastoral. Elles ont prouvé qu’elles étaient des agents actifs pour assurer le succès des festivités annuelles, des commémorations mensuelles ou des événements ecclésiaux plus fréquents.

Le service dans le domaine de l’éducation et de la santé

Si vous êtes au service de l’Éducation, de la Santé ou du Développement, veillez à éviter une « mentalité institutionnelle » : maintenir les personnes à distance, développer une « psyché de mur », une attitude de barrière, avec une vision légaliste ; des intérêts exclusifs, possessifs et lucratifs ; des relations froides, factuelles, et toute autre qualité négative qui affaiblit votre caractère missionnaire. Vous devez être constamment autocritique.

J’admets que si nous dirigeons une école, nous devons la diriger correctement. Il en va de même pour les hôpitaux. Dans le domaine public, il faut être performant dans tous les domaines où une école est censée exceller (par exemple résultats, sports, activités extrascolaires). Cependant, tous ces éléments doivent être au service du véritable but de l’Éducation, le développement intégral de la personne humaine. La manière spécifique de témoigner de l’Évangile sera différente d’un lieu à l’autre, mais dans chaque contexte, un système de valeurs évangéliques doit prévaloir dans nos institutions, nos styles de vie consacrés, nos relations, notre souci des moins privilégiés, des pauvres, des marginalisés. Les hôpitaux devraient veiller au bien-être total des personnes.

Traditionnellement, les internats et les foyers étaient spécialement destinés à la formation catholique des jeunes croyants. Un esprit catholique devrait être créé sur le campus de la mission, avec des prières traditionnelles, des chants, des cours de catéchisme, des concours religieux de toutes sortes, des retraites.

Accorder une plus grande attention aux domaines et communautés réceptifs

Dans la plupart des régions d’Asie, où les religions indigènes sont fortes, un changement de religion n’est pas facile ; en Inde, c’est considéré comme un crime. Et pourtant, d’impressionnantes communautés catholiques ont vu le jour en Corée, dans de nombreuses îles d’Indonésie, dans le Nord-Est de l’Inde, le Nord de la Birmanie, le Nord de la Thaïlande, le Vietnam, la Chine et dans de nombreuses zones tribales d’Asie.

Les communautés tribales (connues différemment selon les lieux comme peuples autochtones, minorités ethniques, populations montagnardes) semblent dire : « Seigneur, nous voulons voir Jésus » (Jn 12,21). Elles semblent désireuses de connaître Jésus et ouvertes à l’Évangile. Cependant, même dans de telles situations, une étape d’initiation peut être requise. Quelqu’un devra travailler dur, établir de nouveaux contacts, partager le Message et accompagner les personnes intéressées.

Avec les communautés tribales, la plupart de nos approches missionnaires traditionnelles semblent efficaces. Les méthodes et approches qui ont prouvé leur validité ne doivent pas être négligées. Un suivi pastoral intensif est également requis. Lorsque notre zèle missionnaire collectif est mis au service de telles communautés, de véritables miracles de croissance et d’approfondissement de la Foi se produisent.

La force du témoignage

Les critiques se sont souvent concentrées sur l’exercice de l’autorité, le ton moralisateur avec lequel le rôle prophétique est exercé, le trop peu de preuves d’authenticité et d’engagement, une présentation simpliste de la Foi (par exemple l’image d’un Dieu intolérant, ou une compréhension littérale des textes scripturaires) ; une compréhension froide, lourde, cléricale, pédante et disciplinaire des obligations de l’Église. Dans ce contexte, une image d’humilité et une disponibilité sincère à rester ouvert peuvent transformer toute l’atmosphère. Une nouvelle culture peut émerger.

L’homme moderne écoute davantage les témoins que les enseignants, les personnes dont la vie reflète l’Évangile : détachement, dévouement désintéressé, humilité, sainteté ; des exemples de zèle missionnaire comme celui de Paul, Patrick, Boniface, Xavier, Cyrille et Méthode, Damien, Jean-Paul II, Mère Teresa ; des vies édifiantes d’évêques, de prêtres, de catéchistes, d’éducateurs et d’enseignants.

L’authenticité vous permet de dialoguer même avec ceux qui sont enclins à l’athéisme et à un sécularisme extrême. Vous pouvez unir vos forces avec eux sur des questions de justice, de paix, de protection de l’environnement et d’autres préoccupations sociales.

Les grandes paroles de Jésus convainquent

Les miracles ne font pas impression sur des communautés déjà trop crédules envers les prodiges accomplis par leurs gourous et leurs divinités. Mais les enseignements de Jésus amènent toujours les Asiatiques à se redresser d’étonnement. Ils chérissent ses paroles. Jésus avait une prise ferme sur son auditoire et suscitait l’émerveillement et l’admiration dans le cœur des gens, à la fois en raison de leur pertinence immédiate par rapport aux angoisses du peuple, et parce qu’il abordait les préoccupations centrales de l’humanité : l’amour et la haine, la colère et le pardon, la joie et la souffrance, le péché et la justice, la vérité et la liberté, la foi et la fidélité, la religiosité et l’hypocrisie.

Les miracles que Jésus accomplissait étaient eux-mêmes des « signes », c’est-à-dire des actions porteuses d’un message, par exemple la guérison de l’aveugle, la purification des lépreux, la multiplication des pains. Il n’y avait ni démonstration, ni vantardise, ni arrogance ; mais finalité, sens, pertinence ; immédiateté, amour en action, invitation à la foi. L’amour et la compassion de Jésus, qui l’ont conduit au sacrifice suprême, sont profondément inspirants.

Nous avons parlé de pertinence. Le Message de l’Évangélisateur doit « prendre chair » dans les contextes humains par son implication totale dans la vie et la croissance de la communauté au service de laquelle il se trouve. Il doit apporter une touche humaine aux luttes économiques et politiques, une qualité éthique aux relations sociales, et une conscience du divin à la « cité séculière ».

La question à poser en cette période critique de l’histoire n’est pas de savoir s’il y a un avenir pour la religion, mais s’il y a un avenir pour l’humanité sans une religion qui apporte équilibre, stabilité, finalité ; qui offre motivation et espérance ; qui assure un sens de droiture ; qui génère l’amour, la paix, le sens des responsabilités, un esprit de discipline et de sacrifice.

VI. Partager l’Évangile dans l’intimité

Murmurer l’Évangile à l’ÂME de l’Asie

Presque dès le début de son ministère, le pape François a insisté sur rien d’autre que de sortir des « zones de confort » et d’aller vers les « périphéries », vers les pauvres et les oubliés… en fait, jusqu’aux limites les plus lointaines de l’existence humaine. C’est ce que faisaient les missionnaires pionniers presque dès le début. Aujourd’hui, nous avons besoin d’Évangélisateurs qui non seulement franchissent des distances géographiques, mais qui comblent des distances intellectuelles : qui agissent comme des bâtisseurs de ponts entre les pensées, les idéologies, les philosophies, les civilisations.

Nous ne vivons pas simplement à une époque d’échanges rapides de biens, mais d’échanges intenses d’idées. Les civilisations sont en dialogue. Les intérêts s’affrontent. Les egos gonflés des pays et des communautés se heurtent. Des idéologies sont formulées pour camoufler des intérêts partisans. Des paroles de paix cachent souvent des intentions agressives.

C’est le moment où les personnes sont ouvertes à un message offert avec sincérité d’intention pour l’émergence d’une nouvelle phase de l’histoire humaine. C’est le moment de contourner les périphéries et de se rapprocher du centre ; d’ignorer l’appel du Marché et de se déplacer vers le cœur des affaires humaines ; de chercher l’accès aux chambres intérieures de la ferveur religieuse asiatique et de murmurer l’Évangile à l’ÂME de l’Asie… ou de la communauté spécifique pour laquelle vous travaillez.

Le mot « Murmurer » n’est pas utilisé pour indiquer la peur, la prudence, l’indifférence ou le manque d’engagement. Il signifie l’intimité. Nous avons étudié dans les sections précédentes les moyens de transcender les différences culturelles, de prêter attention aux préoccupations centrales de la civilisation (culture, communauté) des personnes auxquelles vous adressez l’Évangile, et de vous identifier à elles. Vient un moment où vous êtes proche de l’ÂME d’une communauté et où un partage plus profond et intime devient possible. Cela peut se faire avec une personne influente ou quelques personnes importantes de la communauté. « Murmurer » indique donc un profond respect, la confiance, la proximité, l’intimité, la réciprocité et la profondeur. En Asie, les mystères sacrés sont enseignés dans des contextes de proximité et les paroles sacrées (Sutras) sont prononcées dans une atmosphère de révérence et de gravité.

Paul dit : « Je n’ai pas honte de l’Évangile » (Rm 1,16). Lorsque l’Évangile touche le Génie Intérieur d’une communauté (culture, civilisation), il n’est pas seulement renforcé, il fleurit ; il est transformé et progresse vers une plus grande perfection. Il y a de la joie à partager un tel Message porteur de vie. Puissions-nous en faire l’expérience.

Références :

  • Havel, Vaclav, Disturbing the Peace, Vintage Books, New York, 1991
  • Mounk, Yascha, The People Vs. Democracy, Harvard University Press, 2018
  • Warren, Rick, Purpose Driven Church, Zondervan, Grand Rapids, 1995

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