Chine

Comprendre la Chine – non pas d’après l’expérience occidentale mais selon l’histoire et la philosophie chinoises

En ce qui concerne l’avenir, l’histoire chinoise fournit de nombreux indices sur ce qui pourrait se passer. En ce qui concerne l’avenir, l’histoire chinoise fournit de nombreux indices sur ce qui pourrait se passer. © rawpixel.com / CC0 1.0 DEED
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Afin de comprendre ce qui se passe en Chine aujourd’hui, et de prédire ce qui pourrait arriver au cours des prochaines années, il nous faut puiser dans l’histoire et la philosophie chinoises afin de se laisser guider et éclairer. Se reposer sur l’expérience occidentale pour guider notre pensée sur la Chine est peut-être confortable, rassurant et accessible, mais cela nous place dans une très mauvaise position pour pouvoir saisir et toucher l’une des plus anciennes et des plus récentes puissances mondiales.

En 338 av. J.-C., le juriste, politicien et philosophe chinois Shangyang a connu une triste fin. Il a été exécuté par démembrement, en étant attaché à cinq chars différents. Son crime était d’avoir humilié un puissant noble en le faisant punir pour une offense comme un citoyen ordinaire. La notion selon laquelle tous les hommes doivent être égaux devant la loi venait d’une école chinoise de philosophie que Shangyang a contribué à développer – le légalisme chinois (发家).

Cette école de philosophie était l’une des Cent écoles de pensée qui se sont développées durant la période des Royaumes combattants, alors que les dirigeants des différents États consultaient les philosophes afin de mieux diriger leur royaume et obtenir l’avantage sur leurs rivaux. Le plus connu de ces dirigeants est Qin Shi Huang, qui a adopté le légalisme comme philosophie dans son État, et qui est devenu le premier empereur de Chine. La phrase « brûler les livres et enterrer les érudits » est attribuée au premier empereur par les dynasties (rivales) suivantes, comme une indication de sa manière brutale de gérer les autres écoles de philosophie, en particulier celles dévouées à une culture relationnelle, comme le confucianisme.

De bien des manières, ce cycle de l’histoire chinoise s’est perpétué durant des millénaires. Occasionnellement, quand le confucianisme, avec son système complexe de relations et responsabilités réciproques, tend à devenir la philosophie dominante, un chef survient et décide que ces cultures relationnelles se sont égarées dans une corruption excessive, avant de redresser le cap et adopter une bonne dose de légalisme. C’est-à-dire « brûler les livres et enterrer les érudits », au sens figuré et parfois au sens littéral.

Corruption, légalisme et confucianisme

Il est indéniable que les réformes et l’ouverture de l’économie chinoise voulues par Deng Xiaoping (1904-1997) ont apporté des avantages considérables à presque tous les Chinois. Mais une des conséquences liées à la rapidité et l’étendue de ces réformes a été la non moins considérable hausse de la corruption. Ainsi, Xi Jinping, dans son discours inaugural en tant que secrétaire général le 15 novembre 2015, a tenu à évoquer la corruption comme une menace envers la survie du Parti communiste chinois. Il a également été très clair sur son admiration du légalisme chinois, en citant des textes anciens sur le légalisme à maintes occasions.

Comme Shangyang, il a également appliqué la loi pour tous, y compris les grands et les puissants, en procédant à d’innombrables arrestations parmi des personnalités éminentes comme Zhou Yongkang, ancien chef des Services secrets chinois, ou encore parmi les chefs corrompus de petits villages. Incontestablement, il y a eu un certain nettoyage de ses rivaux au passage, mais ces répressions de la corruption sont réelles et ont fait de lui un dirigeant populaire pour de nombreux citoyens ordinaires.

Une statue moderne représentant le juriste, politicien et philosophe chinois Shangyang.
Une statue moderne représentant le juriste, politicien et philosophe chinois Shangyang. Crédit : Fanghong / GFDL-1.2-or-later

L’expression qui courait, « si vous avez le pouvoir, vous aurez de l’argent, mais si vous avez de l’argent, vous n’aurez pas nécessairement le pouvoir », n’est plus entendue aujourd’hui car ceux qui ont du pouvoir n’osent plus, en tout cas pas aussi ouvertement, accepter de pots-de-vin ni piller le trésor public.

Si on regarde la Chine dans la perspective de l’histoire et de la philosophie chinoises, on est mieux capable de comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Étant donné le sort qu’a connu Shangyang pour l’exemple, cela ne devrait pas être une surprise de voir Xi Jinping chercher à rester au pouvoir, car la perte du pouvoir pourrait amener ceux qu’il a écartés à se tourner contre lui.

La plus grande contribution de Shangyang envers la gouvernance chinoise a été son développement d’une bureaucratie qui aide l’empereur à diriger la Chine. Il s’agissait d’un système méritocratique, et cette idée a persisté également. Le missionnaire jésuite Matteo Ricci a noté au XVIsiècle que tout citoyen chinois, au moins en théorie, peut passer des examens et obtenir une position élevée au sein du gouvernement – ce qui n’était pas vrai en Europe à l’époque. Il est important de noter que Xi Jinping ne s’est pas attaqué à la bureaucratie comme Mao l’avait fait au moment de la Révolution culturelle, mais il l’a au contraire renforcée. Cela correspond également à la philosophie légaliste.

L’histoire chinoise fournit de nombreux indices sur l’avenir du pays

En ce qui concerne l’avenir, l’histoire chinoise fournit de nombreux indices sur ce qui pourrait se passer. Le dirigeant chinois et le peuple chinois auront à l’esprit le sort de Shangyang mais aussi celui de nombreux grands empereurs qui ont développé une gouvernance et une philosophie syncrétiques. En effet, l’empereur Wu Han Liu a conçu un modèle combinant des éléments légalistes et confucianistes. De son côté, l’empereur Tai Gong de la dynastie Tang, sans doute le plus grand de tous, a demandé à ses fonctionnaires d’être loyaux non pas envers les individus mais envers la loi, et il s’est appuyé sur une vaste série de croyances et de religions dont le taoïsme, le confucianisme, l’islam, le christianisme syriaque, le bouddhisme et le judaïsme afin de comprendre le monde.

Xi Jinping a aussi cité Confucius comme source de bonne gouvernance. La vérité, c’est qu’aucun dirigeant chinois n’a jamais réussi à complètement écarter les confucianistes, et il faut s’attendre à ce qu’ils reviennent en force pour obtenir à nouveau des positions d’influence. Quand cela arrivera, on pourra peut-être voir une application moins stricte de la loi, le retour de l’exemple moral pour modeler la gouvernance, et le relationnel pourra à nouveau avoir une importance primordiale pour faire des affaires en Chine. En attendant, l’influence de Shangyang pèse encore en imposant de lourdes peines aux fonctionnaires et aux puissants qui transgressent la loi, tout en renforçant les rôles de milliers de bureaucrates qui dirigent la Chine d’aujourd’hui comme ils le faisaient il y a 2 500 ans.

(Avec John Hopkins, Ucanews)

John Hopkins a vécu et travaillé en Chine durant vingt ans. Il a débuté sa carrière en Chine en enseignant à l’Institut Guanghua de Management, à l’université de Pékin en 2000. Cet article a été publié à l’origine par Pearls and Irritations puis par Ucanews.