Conditions des femmes en Chine

Rédigé par Manon Laurent, sociologue au Collège de France, le 27/06/2025
L’année 2025 marque le 30e anniversaire de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, accueillie par Pékin en septembre 1995. Cette conférence rassemblant 189 gouvernements et 2 100 organisations non gouvernementales a permis à la Chine de mettre en lumière les avancées réalisées en ce qui concerne la condition des femmes depuis la fin de la période maoïste. On peut se demander ce qu’il en est actuellement
de la condition des femmes en Chine.
Des travailleuses nombreuses mais souvent discriminées
Depuis les années 1980, le ménage chinois moyen est composé d’un couple hétérosexuel avec un enfant. Les deux parents travaillent et contribuent au budget du ménage. De fait, la Chine affiche l’un des taux d’emploi des femmes les plus élevés au monde. Cependant, cette situation est en train de changer. Un nombre croissant de femmes en Chine urbaine quittent volontairement ou involontairement le marché du travail. Deux études, l’une de la Fédération des Femmes de Chine (ACWF) et l’autre de l’Institut de sociologie de l’Académie chinoise des sciences sociales, ont montré une augmentation du chômage féminin en zone urbaine.
Pendant les réformes économiques (1980-2000), les femmes ont été les premières à souffrir du chômage en raison de la fermeture des entreprises publiques. Au cours de la dernière décennie, de nombreuses femmes ont réduit leur charge de travail ou démissionné de leur emploi pour s’occuper de leurs enfants à temps plein.
Par ailleurs, environ 50 % des femmes chinoises ont indiqué être régulièrement victimes de discrimination sexuelle sur leur lieu de travail (Wang 2016), et les femmes urbaines chinoises ne gagnent, en moyenne, que 67 % du salaire des hommes (ACWF 2011). Bien que la Chine ait promulgué une série de lois pour lutter contre ces pratiques discriminatoires, ces lois se sont généralement avérées inefficaces pour lutter contre la discrimination à l’égard des femmes (Zhang, Jin, Li et Wang 2021). Les discriminations professionnelles sont d’autant plus fortes dans les secteurs de l’informatique, l’ingénierie, les mathématiques et l’architecture alors même que les femmes connaissent un taux de participation aux études supérieures légèrement plus élevé que les hommes.

Concilier le travail et pratiques de maternité intensive
Les femmes subissent une pression croissante pour se conformer aux attentes traditionnelles, notamment en matière de mariage et de maternité.
Des enquêtes montrent que plusieurs facteurs augmentent la probabilité pour les femmes de renoncer totalement à un travail rémunéré à l’extérieur du foyer ou de travailler à temps partiel pour se consacrer à l’éducation de leurs enfants. Le niveau de richesse général de la famille et le revenu des pères sont corrélés à la mise en œuvre de pratiques parentales intensives. Les ménages de la classe moyenne supérieure adoptent des pratiques parentales qui exigent davantage de temps et d’investissement parental, poussant les mères à quitter le marché du travail.
Enfin, les femmes ont tendance à quitter le marché du travail lorsque leurs enfants sont âgés de zéro à deux ans, notamment depuis la fermeture d’une majorité des crèches publiques dans les années 1990, liée à la privatisation des espaces de travail. Compte tenu du coût de la vie et de l’éducation des enfants dans les centres urbains, la décision de quitter le marché du travail n’est possible que si le revenu du mari est suffisamment élevé pour subvenir aux besoins de la famille.
Certaines optent pour le « mumpreneuriat », une forme d’entrepreneuriat qui leur permet de gérer leur propre activité tout en s’occupant de leurs enfants (Xiong, 2024). Les politiques natalistes portées par le gouvernement chinois depuis 2021 renforcent la tension entre épanouissement professionnel et obligations familiales.

De l’enfant unique aux politiques natalistes
La loi de planification des naissances (1978) – souvent appelée en français « politique de l’enfant unique » – conjuguée à une préférence pour les garçons a amené à un déséquilibre démographique de genre. Depuis 1986, la loi interdit aux professionnels de santé de communiquer le sexe du fœtus pendant la grossesse sauf en cas de nécessité médicale. À l’heure actuelle, le ratio des sexes à la naissance demeure déséquilibré, avec environ 113 garçons pour 100 filles, bien au-dessus de la norme mondiale. Cette tendance est en partie due aux pratiques de sélection prénatale, bien que celles-ci soient officiellement interdites. Ce déséquilibre crée une forte pression sur les femmes en âge de se marier qui s’applique de façon inégale en fonction des conditions socio-économiques. L’hypergamie – les mariages dans lesquels la femme est en situation d’infériorité économique, culturelle ou sociale par rapport à l’homme – étant un modèle très fort encore en Chine, les femmes ayant fait des études supérieures ont plus de difficulté à se marier que les femmes d’origine sociale et culturelle plus modeste.
La préférence traditionnelle à la naissance est en partie compensée par la perception que les jeunes femmes seront plus attentives aux besoins de leurs parents vieillissants. Ce nouveau stéréotype renforce les obligations familiales pour les femmes en âge de travailler.
Face à une crise démographique marquée par une baisse du taux de natalité, le gouvernement chinois met en place des mesures incitatives pour encourager les naissances dès les études supérieures. Une campagne de promotion de la maternité a été lancée par la Fédération des Femmes au sein des meilleures universités chinoises. En effet, le gouvernement chinois souhaite favoriser la natalité d’une certaine population, les jeunes femmes éduquées vivant dans les zones urbaines.
Malgré ces pressions, le nombre de mariages continue de diminuer, et de plus en plus de jeunes femmes remettent en question ces injonctions.
Résistance et nouveaux modèles familiaux
Face à ces obligations, les femmes chinoises développent diverses stratégies pour gérer la pression sociale et familiale. Certaines s’appuient sur des réseaux de soutien, tandis que d’autres revendiquent leur indépendance en retardant le mariage ou en refusant d’avoir des enfants. La résistance à ces injonctions est particulièrement visible chez les jeunes générations, qui aspirent à une vie plus libre et moins contrainte par les traditions comme le montre Roseann Lake dans son ouvrage Casse-tête à la chinoise : mari ou carrière ? Dilemmes des femmes de l’Empire du Milieu. Le mouvement anglo-saxon double-income-no-kids (DINK), d’un couple qui travaille mais n’a pas d’enfant, connaît un certain écho en Chine.
En revanche, les pères chinois voient leur rôle évoluer. Si la tradition veut qu’ils soient les pourvoyeurs financiers, certains choisissent aujourd’hui de devenir pères au foyer, un phénomène encore marginal mais en progression. Cette évolution remet en question les rôles genrés traditionnels et témoigne d’un changement des mentalités.
En conclusion, la situation des femmes en Chine est marquée par des tensions entre modernité et tradition. Si certaines évolutions sont positives, notamment en matière d’éducation et d’emploi, la pression sociale et gouvernementale pour le mariage et la maternité reste forte. Les jeunes générations tentent de résister à ces injonctions, mais le chemin vers une véritable égalité des sexes demeure semé d’embûches.
Manon Laurent, sociologue au Collège de France