Corée du Nord Corée du Sud

Corée du Nord : les mots (et les « maux ») pour le dire

Entrée de la délégation nord-coréenne lors des JO d’hiver de 2010. L’actualité fait regretter les précédents « printemps » intercoréens, notamment celui de 2018. Entrée de la délégation nord-coréenne lors des JO d’hiver de 2010. L’actualité fait regretter les précédents « printemps » intercoréens, notamment celui de 2018. © Matt May CC BY 2.0
Lecture 8 min

Le 28 juillet dernier, la sœur du dirigeant nord-coréen réagissait à la politique de la main tendue du nouveau président sud-coréen Lee Jae Myung en assurant fermement que « peu importe la politique adoptée à Séoul ou la proposition faite, celle-ci ne nous intéresse pas », tout en évoquant une incompatibilité « irréversible » entre les deux Corées. Si la nouvelle administration de Séoul reste déterminée, le géopolitologue Olivier Guillard constate des postures peu encourageantes et évoque la nostalgie du « printemps intercoréen de 2018 ».

En soi, dans les méandres incertains des rapports intercoréens, une certaine logique estivale prévaut jusqu’alors. En définitive, c’est plutôt le contraire qui aurait été surprenant. En ces premiers jours d’août, la politique de la main tendue et l’approche apaisée déployées depuis deux mois par le nouveau chef de État (libéral) sud-coréen Lee Jae-myung accouche essentiellement d’une glaciale fin de non-recevoir de la part de l’ombrageuse dictature héréditaire kimiste du Nord. Rien qui ne surprenne véritablement l’observateur.

Entre le « pays du Matin calme » et la République populaire démocratique de Corée (RPDC – Corée du Nord), il est rarement de l’apanage du Sud de pouvoir décréter avec succès (malgré deux initiatives timides[1])l’ouverture d’un chapitre de détente avec Pyongyang. Le tempo est généralement – sinon toujours – dicté depuis le nord du 38e parallèle. À priori, l’été 2025 ne saurait échapper à cet implacable postulat, nonobstant le souhait sincère de la Maison Bleue[2] de réenclencher – après littéralement un septennat de crispation et d’absence d’interactions intercoréennes – une dynamique bilatérale digne de ce nom.

Quand Pyongyang sort de son mutisme

Force est de constater, à la lumière des déclarations et postures peu encourageantes de ces derniers jours émanant de Pyongyang, que l’optimisme sur le sujet n’est pas précisément de mise.

« Si l’on examine les 50 derniers jours depuis l’entrée en fonction de Lee Jae Myung (le 4 juin 2025), il ne se distingue en rien de son prédécesseur dans son adhésion aveugle à l’alliance américano-sud-coréenne et dans sa volonté de confrontation avec nous (…). Je tiens à réaffirmer clairement que nous ne sommes intéressés par aucune politique ou proposition avancée par Séoul, et qu’il n’y aura aucune chance que nous nous asseyions à la table des négociations avec la Corée du Sud »[3]. C’est par ces quelques lignes guère encourageantes signées de la main de Kim Yo-jong – la sœur du dirigeant suprême nord-coréen Kim Jong-un – que Pyongyang réagissait officiellement pour la première fois (le 28 juillet) aux liminaires ouvertures apaisantes du nouveau chef de l’Etat sud-coréen.

Ce dernier a reçu cette salve rhétorique nord-coréenne avec un flegme de circonstance, sans s’émouvoir outre mesure : « Il est important de rétablir la confiance entre la Corée du Sud et la Corée du Nord tout en s’efforçant de construire la paix », a assuré le successeur de Yoon Suk-yeol (l’ancien président destitué le 4 avril 2025). Le président Lee, à la tête de la 4e économie d’Asie, est conscient de l’âpreté à laquelle sera confrontée sa feuille de route plus conciliante (que l’administration conservatrice sortante) vis-à-vis de l’imprévisible voisin du Nord ; et de la patience que requiert par définition toute velléité de décrispation avec ce dernier.

L’éloge de la patience et de la persévérance

Le 14e président de la République de Corée a rapidement fait preuve de patience et de constance, sans marquer le coup pour autant, en ordonnant en début de semaine le démontage des haut-parleurs (honnis par le régime nord-coréen) déployés le long de la Zone Démilitarisée (DMZ), et en annonçant (par le truchement du ministre de l’Unification) la reprise prochaine de l’utilisation du Fonds de coopération intercoréen[4] au profit de projets humanitaires en RPDC. Une fois que le contact entre Séoul et Pyongyang aura été préalablement renoué, s’entend.

Signalons encore, dans cette récente veine sud-coréenne d’initiatives censées décrisper pas à pas l’erratique relation Sud-Nord, un assouplissement symbolique et bien inspiré proposé par Séoul : désormais, les ressortissants sud-coréens peuvent librement entrer en contact avec des Nord-Coréens, à condition toutefois de notifier préalablement aux autorités ces interactions.

Washington pas mieux servie que Séoul

De fait, cet été, la capitale du Sud et sa toute récente administration libérale ne sont pas les seules à profiter de l’humeur des autorités nord-coréennes et de leurs « dispositions naturelles » à la rebuffade. À quelques milliers de km de Pyongyang, la capitale fédérale américaine et son administration Trump 2.0 font également les frais des saillies sans concessions d’un régime kimiste droit dans ses bottes, défiant à souhait.

Mardi 29 juillet, peu après que la Maison Blanche ait laissé entendre que le président Donald Trump restait ouvert à un nouveau « sommet »[5] avec Kim Jong-un pour discuter d’une  dénucléarisation complète du régime nord-coréen – une feuille de route très improbable… –, la n°2 officieuse de la RPDC s’exprimait une nouvelle fois sans souci aucun de ménager les susceptibilités du locataire du 1600 Pennsylvania avenue, Washington DC : « Les relations personnelles entre le chef de notre État (son frère Kim Jong-un) et l’actuel président américain ne sont pas mauvaises », a-t-elle assuré.

« Toutefois, si les relations personnelles entre les dirigeants suprêmes de la RPDC et des États-Unis ne doivent en aucun cas être utilisées dans le but d’une dénucléarisation du pays lors de tout dialogue potentiel. Toute tentative de s’opposer à la position de la RPDC en tant qu’État doté d’armes nucléaires sera catégoriquement rejetée (…). » Et la sévère Kim Yo-yong de conclure, sûre de son fait : « Il n’est en aucun cas dans l’intérêt des deux pays dotés d’armes nucléaires de s’engager dans une voie conflictuelle. »

Dans les jours qui ont suivi ces déclarations martiales, les autorités nord-coréennes ont continué sur leur lancée, et l’on n’a pu a priori déceler aucune invitation au dialogue ni d’inclinaison à la détente… À l’instar de la critique appuyée des récentes manœuvres militaires conjointes et de la coopération militaire trilatérale États-Unis-Corée du Sud-Japon, lesquelles selon Pyongyang « visent à mener des frappes préventives contre notre République (…), à écraser le Nord par la force militaire collective (…). Pour garantir la paix dans la péninsule coréenne et dans la région, les actions militaires aveugles des États-Unis, du Japon et de la Corée du Sud doivent cesser. » [6]

À la tribune (genevoise) de l’ONU, le représentant de Pyongyang a également donné de la voix dans un registre similaire en accusant Washington et Séoul de se « préparer à la guerre nucléaire », un projet qui selon la dictature du Nord justifierait la poursuite de son programme nucléaire militaire en tant que « mesure d’autodéfense vitale pour assurer sa sécurité face à de telles menaces ». [7]

Au « pays du Matin calme », la nostalgie du printemps intercoréen de 2018

En cet été 2025, pour l’ancien avocat et maire de Seongnam (le président Lee Jae-myung), les XXIIIOlympiades d’hiver organisées un septennat plus tôt (février 2018) à Pyeongchang (Corée du Sud) doivent sembler terriblement lointaines…

Ce rendez-vous olympique avait été présenté par son prédécesseur libéral – l’opiniâtre président Moon Jae-in, lui aussi très investi dans l’idée d’une nécessaire détente intercoréenne – comme les « Jeux de la paix »… Des Olympiades auxquelles participèrent notamment des athlètes nord-coréens et qui profitèrent de l’insolite présence, lors de la cérémonie d’ouverture, de Kim Yo-yong, dont on put alors esquisser occasionnellement un fugace sourire qu’on ne lui connaissait guère. Sept longues et pénibles années plus tard, cette toute première visite sur le sol sud-coréen d’un membre de la famille Kim demeure à ce jour la seule[8].

(Ad Extra, Olivier Guillard)


Vous retrouverez toute l’actualité des Églises d’Asie sur Ad Extra à partir du 1er septembre. Toute l’équipe vous souhaite un bel été !


[1] Neutralisation des haut-parleurs diffusant depuis la frontière intercoréenne des émissions critiquant le régime nord-coréen ; cessation des lancers de ballon aériens depuis le Sud vers le Nord aux contenus (tracts, clefs USB, DVD, argent) subversifs selon Pyongyang.

[2] La présidence sud-coréenne.

[3] Yonhap, 28 juillet 2025.

[4] Créé en 1991, le Fonds de coopération intercoréen doit théoriquement financer la coopération économique et les échanges socio-culturels intercoréens.

[5] Après trois rencontres en 2018-2109 plus ou moins abouties lors de sa première mandature présidentielle.

[6] Korea JoonAng Daily, 2 août 2025.

[7] Yonhap, 30 juillet 2025.

[8] Si l’on excepte bien sûr le très bref franchissement de la ligne de démarcation intercoréenne (à Panmunjom) par Kim Jong-un le 27 avril 2018, lors de la rencontre historique avec le président sud-coréen Moon Jae-in.

Ad Extra est un site participatif, si vous souhaitez réagir, vous pouvez nous proposer votre contribution