Corée du Sud : l’été agité du « pays du Matin calme »
Ces derniers mois, symboles des tensions intercoréennes, de nombreux « ballons poubelles » ont franchi le 38e parallèle et la DMZ séparant les deux Corées. © Expert Infantry : CC BY 2.0Rédigé par Olivier Guillard, le 26/09/2024
L’Église vient de commémorer les saints Martyrs de Corée, ce vendredi 20 septembre, et la péninsule coréenne souffre toujours des tensions entre le Nord et le Sud. Les provocations du régime de Pyongyang ne se calment pas, et le gouvernement du président Yoon, au Sud, adopte une position ferme, radicalement différente de la volonté de dialogue de la présidence précédente. Le politologue Olivier Guillard analyse la situation et la politique actuelle de Séoul, alors que débute la 79e session de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU.
Mardi 22 septembre, alors que les premières lignes de cet article prenaient forme, les autorités sud-coréennes mentionnaient, pour la énième fois depuis mai, l’envoi depuis le territoire nord-coréen, par voie aérienne, d’une nouvelle série de « ballon poubelles ». Depuis le printemps, on comptabilise au total plusieurs milliers de ces ballons contenant détritus, immondices et déchets divers. Ces derniers, poussés par le vent, franchissent allègrement le 38e parallèle et la DMZ séparant martialement les deux Corées, pour potentiellement gagner en bout de course la province sud-coréenne de Gyeonggi, entourant Séoul, voire même atteindre la capitale sud-coréenne elle-même, comme ce fut le cas fin juillet.
Dessein ultime pour les maîtres de Pyongyang, pour qu’ils se répandent dans l’enceinte du palais présidentiel abritant depuis mars 2022 le président Yoon Suk Yeol, ce dirigeant conservateur officiellement honni par la dictature héréditaire kimiste du Nord. Dans une grande mesure, le chef de l’État est aussi en grande souffrance avec l’opinion publique sud-coréenne, qui ne le crédite ces dernières semaines que d’un bien maigre matelas de soutiens intérieurs (26 % des sondés lui maintiennent leur confiance), à deux ans et demi du terme de son mandat quinquennal unique.
79e session de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU
Ces prochains jours, le déplacement du président Yoon à New York, chez l’allié stratégique américain, pour participer à la 79e session de l’Assemblée générale annuelle de l’ONU, lui offrira l’espace de quelques jours un répit relatif bienvenu ; à moins bien sûr que le Nord décide de compliquer l’agenda américain du 9e président de la VIe République de Corée en procédant à divers types de provocations en son absence de Séoul : tir de missile intercontinental (ICBM), frénésie balistique à courte et moyenne portée (SRBM ; MRBM), incident dans l’espace maritime disputé avec la Corée du Sud (NLL), accrochage le long de la ligne démilitarisée (DMZ), envois de grappes de drone franchissant le 38e parallèle… Voire éventuellement la reprise, après sept ans d’un moratoire unilatéral, de ses essais nucléaires (le 6e et dernier en date remonte à septembre 2017).
On ne souhaite évidemment pas au successeur du libéral président Moon Jae-in (chef de l’État de 2017 à 2022) à la Maison Bleue (siège de la présidence sud-coréenne à Séoul) un tel scénario ; au-delà du 38e parallèle, plus au nord, on n’a cependant guère ce genre de scrupules ou de préoccupations.
« L’ennemi primaire le plus nuisible et l’ennemi principal invariable »
Sans compter les divers tourments domestiques et extérieurs cumulés du président Yoon, qui ne vont probablement pas se mettre en pause du jour au lendemain sans raison particulière ; hélas, les faiblesses de sa présidence et la litanie des dossiers sensibles en cours n’iront pas se dissimuler sous le tapis.
De l’interminable fronde du monde médical (sur la question de l’augmentation du numerus clausus) engagée en février aux rapports délétères du président avec l’opposition – une situation pour le moins délicate pour l’exécutif quand l’opposition dispose à l’Assemblée nationale de 192 élus sur 300 – en passant par les séquelles diverses, coûteuses en termes de crédit auprès de l’opinion publique, de l’embarrassante affaire du sac Dior de la First lady.
Sans oublier son prisme radical vis-à-vis de Pyongyang – en opposition avec la politique libérale plus conciliante de l’administration présidentielle précédente – et son alignement au millimètre sur la posture de Washington à l’endroit de la défiante dictature kimiste. Le chef de l’État Yoon n’a jamais été en mesure jusqu’alors de se présenter en interlocuteur crédible de Pyongyang. De son côté, le Nord ne fait pas un mystère de son aversion pour Yoon, ne donnant par exemple pas suite à l’initiative de la Maison Bleue dite Doctrine du 15 août pour la réunification, préférant voir en la Corée du Sud « l’ennemi primaire le plus nuisible et l’ennemi principal invariable ». Tout est dit.
« Pourquoi le président sud-coréen Yoon est-il si impopulaire ? »
« Pourquoi le président sud-coréen Yoon est-il si impopulaire ? » s’interrogeait mi-septembre le très renseigné magasine The Diplomat, apportant d’une phrase lapidaire un élément de réponse sans appel : « La majorité des Sud-Coréens pensent que leur président ne fait pas bien son travail ». Sans être aussi dure que l’âpre propagande nord-coréenne, cette revue asiatique de référence reste toutefois fort sévère, passant un peu rapidement sur certaines des initiatives audacieuses défendues par le président Yoon. On pense notamment à la récente amélioration des relations Corée du Sud – Japon sous son impulsion et celle du chef de gouvernement nippon F. Kishida, tous deux partisans d’une décrispation entre Séoul et Tokyo (« fortement » encouragée par Washington pour opposer un front plus solide, « uni », face à la Corée du Nord).
Cependant, ces critiques sont peu susceptibles d’être entendues par Séoul ; ce n’est probablement pas la quinzaine de mots dénonçant les aptitudes de l’administration encore en place qui devrait modifier à court terme le cours des choses.
(Ad Extra, Olivier Guillard)