De Lisieux à la Cochinchine : parcours d’un père fondateur des MEP

Pour commémorer les quatre cents ans de la naissance de Mgr Pierre Lambert de La Motte, voici quelques méditations d’un des pères fondateurs des MEP à l’intention des futurs missionnaires.

La date exacte de la naissance de Mgr Pierre Lambert de La Motte n’est hélas pas connue ; conformément aux usages du XVIIe siècle, c’est celle de son baptême qui a été transmise à la postérité, au moyen du registre de la paroisse Saint-Jacques de Lisieux. C’est là que le petit Pierre Lambert a été baptisé le 16 janvier 1624, sans doute quelques heures ou jours après sa naissance. Le bombardement de Lisieux, en juin 1944, a provoqué la destruction de ce registre de baptême, qui, heureusement, avait été copié, avant-guerre, par le premier biographe de Mgr Lambert, Henri de Frondeville.

À l’occasion de cet anniversaire, quelques méditations de Mgr Lambert de La Motte, sur la figure du missionnaire, sont proposées à votre lecture. Ces textes sont extraits d’un long document intitulé Brève relation du voyage des missionnaires apostoliques envoyés immédiatement du Saint- Siège pour les royaumes de la Chine, Tonquin, Cochinchine, Laos, île d’Hainan, témoignage extraordinaire du premier voyage des fondateurs des MEP vers l’Asie, en 1660-1661, conservé aux archives des MEP¹.

Ce récit de voyage est émaillé de propos spirituels de Mgr Lambert, qu’il s’agisse d’exhortations destinées à ses confrères, d’exercices spirituels pratiqués par son groupe de voyageurs, ou même de ce qu’on pourrait qualifier de testament spirituel qu’il laisse aux générations de missionnaires qui suivront ce premier envoi. À chaque fois, l’évêque revient sur le coeur de sa spiritualité, le dépouillement de l’esprit, le renoncement à sa volonté propre pour devenir un parfait instrument mené par Dieu. La mission en terre inconnue est vue comme la voie la plus radicale vers la dépossession de soi-même.

Réflexions sur les qualités des missionnaires de la Chine

« […] Dans les découragements, dans le doute de leur vocation et dans la surprise de ne pouvoir plus suivre leurs pratiques ordinaires, il faut, ici, quitter toutes ses propres voies, il faut vivre en liberté, avoir un grand coeur, et croire qu’on trouvera dans sa marche tout ce qui est nécessaire à la perfection de son état. […] C’est en cet état qu’on agit dans une vraie liberté d’esprit qui consiste à laisser continuellement écouler son esprit dans celui de Dieu, qui animant continuellement le nôtre, le revêt du sien, de sorte que, notre esprit n’opérant plus par ses propres forces, Dieu y règne parfaitement. »

Résolution d’un missionnaire apostolique entrant au lieu de sa mission

« Cependant, cette marque d’abandon [des richesses] n’est que le premier pas dans la voie d’un missionnaire. S’il en demeurait là, sa fortune ne serait pas grande, bien qu’on pense que cela soit le point du dernier abandon. Non, je dis que ce n’est pas grand-chose que cela, mais que cet abandon extérieur ne doit être considéré que comme une belle idée et une instruction de ce que nous devons faire à l’intérieur. La preuve de cela se voit dans l’Évangile où il n’est pas possible d’être disciple du Fils de Dieu si on ne renonce à tout ce qu’on possède. Or les grandes richesses de l’homme ne sont pas les biens extérieurs mais bien les puissances de son âme auxquelles Dieu demande qu’il renonce afin que, s’en étant démis de la propriété et de la jouissance en faveur de Jésus-Christ et par rapport à lui, il entre dans cette véritable pauvreté réelle qui est la première et la principale béatitude.

[…] Là on peut voir la différence qu’il y a entre l’idée de la pauvreté et la pauvreté réelle qui est celle d’esprit. Il est donc maintenant facile à un missionnaire de voir que le fort de son abandon doit être de toutes les opérations de son esprit pour ne suivre plus que le bon plaisir de Dieu qui lui est signifié par le mouvement intérieur qui ne lui manque jamais s’il est fidèle à la grâce.

Sans ce renoncement, il ne peut rien faire d’héroïque dans les emplois divins qui lui sont confiés. Comment, par exemple, se prendra-t-il entrant dans un royaume païen ? Par quelle voie y introduira-t-il l’Évangile ? Comment fera-t-il croire les mystères de notre sainte religion qui sont si au-dessus de la raison ? Sera-ce par un fort raisonnement, par les lumières d’une science acquise, ou par des démonstrations naturelles ? Ceux qui n’auront pas d’autres fonds que cela feront bien mieux de ne se pas mêler des missions étrangères, car assurément ils n’y avanceront rien à l’égard du prochain et se mettront en hasard de se perdre. Il est donc nécessaire en cette profession de renoncer totalement à soir, de protester à Dieu qu’on ne veut point entreprendre sur son autorité et que la conversion des âmes étant de son seul ressort, les moyens qui regardent ces divines fonctions doivent être proportionnés à leur fin.

[…] L’âme désormais doit agir comme s’il n’y avait plus de paradis ou d’enfer, de récompense ou de punition éternelles, mais seulement pour vivre en Dieu, de Dieu et pour Dieu. »

-> Manuscrit de Jacques de Bourges exposé à l’accueil MISSION 128
Ouvert du mardi au samedi, de 10h à 18h
128 rue du Bac, 75007 Paris

1. AMEP 2200, transcription par le père Jean Guennou des originaux de la main du père Jacques de Bourges conservés sous les cotes AMEP 121 et AMEP 677. ↩︎