Vietnam

« Durant toutes ces années, la politique de dialogue a permis d’éviter une Église séparée »

Des fidèles vietnamiens dans l’église de Hoi Dong, le 26 septembre dans la province de Ha Nam. © https://gpquinhon.org/q/
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Claire Tran, maîtresse de conférences, spécialiste de l’histoire de l’Asie du Sud-Est, réagit à la nomination d’un représentant pontifical résident au Vietnam, qui représente pour elle une très grande avancée. « Dans la longue histoire des relations entre le Vatican et le Vietnam, on peut dire que c’est un événement majeur », assure-t-elle, en se demandant si à l’avenir, il pourra y avoir une visite du pape François au Vietnam, un événement selon elle très attendu par une des plus grandes minorités catholiques en Asie.

Claire Tran Thi Lien enseigne l’histoire de l’Asie du Sud-Est à l’Université Paris Diderot. Maîtresse de conférences et membre du laboratoire de recherches Cessma (Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques), elle a aussi été directrice de l’Irasec (Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine) à Bangkok de 2016 à 2021. Ses travaux de recherche portent particulièrement sur l’histoire du catholicisme au Vietnam et sur les rapports entre politique et religions depuis la fin du XIXe siècle.

Quelle a été votre réaction à la lettre du pape aux catholiques vietnamiens ?

Ce qui me frappe, déjà, c’est la nomination d’un représentant pontifical résident au Vietnam. Le pape François resitue cela dans le contexte plus large des relations depuis ces 25 dernières années. Dans cette lettre, il insiste sur deux choses.

D’abord le rôle social de l’Église, qui est un point très important de l’Église du Vietnam aujourd’hui, alors que cette participation avait été interdite pendant la période communiste dure qui va jusqu’en 1989. Depuis 25 ans, l’Église a pris de plus en plus d’importance dans ce rôle social, et le Vatican et le Parti communiste acceptent cette réalité qui n’était pas du tout évidente il y a plus de 20 ans.

Le deuxième thème abordé, c’est qu’ils agissent en bons chrétiens et en bons citoyens. Là, c’est le point de vue du gouvernement communiste : l’exigence de la loyauté à l’égard de du gouvernement. L’idée, c’est que l’Église catholique agisse dans le cadre de l’État, comme toutes les autres associations religieuses.

Ces deux rôles sont résumés dans la citation d’un discours du pape Benoît XVI en 2009 aux évêques vietnamiens : « S’engager loyalement pour l’édification d’une société juste, solidaire et équitable. » Le pape François reprend cette citation, en affirmant que l’Église « ne prétend nullement se substituer aux responsables gouvernementaux. » C’est vraiment le cœur de ce dialogue entre les deux, la reconnaissance de l’action sociale de l’Église, mais dans le cadre d’un respect de l’État.

J’évoquerai encore dans cette lettre la référence à l’épître à Diognète, qui date du IIe siècle et qui symbolise à l’époque le rapport avec les païens. Cette épître montre bien que les chrétiens ne se distinguent pas du reste des hommes, ni dans leur manière de vivre, ni dans leur langage, et qu’ils font corps avec la société.

Dans sa lettre, enfin, le pape confie aussi l’Église du Vietnam à Notre-Dame de La Vang ; et je voudrais évoquer la dernière actualité qui est la création d’un centre à Fatima, créé par les Vietnamiens, qui va faire le lien avec les catholiques du Vietnam et la diaspora vietnamienne, en lien avec le sanctuaire de La Vang qui est un lieu de pèlerinage très important au centre du Vietnam.

Cette lettre évoque pour vous une réelle avancée dans les relations Vatican-Vietnam ?

Elle montre un apport majeur ; pour avoir suivi ces relations depuis longtemps, il existe un comité de rencontres régulières entre le gouvernement vietnamien et le Vatican, qui se déroulent tantôt au Vatican ou au Vietnam. Depuis toutes ces années, il était question d’une visite du pape et de l’établissement de relations diplomatiques – qui avaient l’air très positives et qui contrastaient avec les difficultés qu’avait le Vatican avec la Chine.

On avait l’impression que les choses n’avanceraient pas tant que la Chine ne bougerait pas, mais la Chine est toujours très dure et on voyait bien une amélioration des relations avec le Vietnam, même s’il y avait toujours des problèmes sur le terrain. C’est vraiment une très grande avancée. Le fait qu’on nomme un représentant du pape au Vietnam, dans la longue histoire des relations entre le Vatican et le Vietnam, on peut dire que c’est un événement majeur.

On se demande si dans le futur, il y aura une visite du pape, parce que c’est quelque chose qui est très important pour les Vietnamiens. C’est une des plus grandes minorités catholiques en Asie ; le pape s’est rendu partout en Asie : en Corée, en Thaïlande, en Mongolie… Les Vietnamiens ont participé à toutes ces visites, il y avait une délégation vietnamienne à Oulan-Bator, et ils attendent que le pape vienne.

Pensez-vous que cet accord va permettre d’ouvrir davantage les relations Vietnam-Vatican dans les prochaines années ?

Ce qui marque la spécificité vietnamienne par rapport aux pays communistes, qu’il s’agisse de la Chine ou de la Corée du Nord, c’est qu’il y a une histoire tout à fait spécifique des relations entre le Vatican et le régime communiste. Le niveau de dialogue est extrêmement élevé, pour arriver à ce stade-là, alors qu’on a toujours pensé que la Chine devait passer avant. C’est tout à fait étonnant.

En septembre 2022, j’ai rencontré l’archevêque de Hanoï, et il était très positif à ce propos. Il disait qu’ils avaient une tradition de dialogue qui n’est certes pas facile mais qui se fait dans le respect ; ils ont l’habitude d’échanger, ils ne sont pas toujours d’accord, mais il est toujours possible de discuter. Il m’a dit que « nous savons faire cela ». C’est là l’importance du rôle de l’Église catholique du Vietnam, d’avoir été capable de mener ce dialogue dans des conditions qui n’ont pas toujours été faciles.

Il y a eu une politique de dialogue durant toutes ces années, qui a permis d’éviter qu’il y ait une Église séparée, à la différence de Chine. Le Parti communiste a déterminé qu’il était important d’avoir ce dialogue, à cause du contexte politique et économique, qui nécessitait une politique d’ouverture car le Vietnam était très appauvri, avec un besoin de se réintégrer dans la communauté internationale. Et une des conditions qu’ont imposé les Américains, c’est la liberté religieuse. Ce n’était pas pour les beaux yeux des catholiques, mais si on s’ouvre aux autres pays, il est difficile de maintenir un régime d’oppression systématique.

Je vais au Vietnam depuis 1989, et j’ai vu depuis d’énormes différences. Tout s’est amélioré : la pratique religieuse, la formation des prêtres, la nomination des évêques et la possibilité d’aller à l’étranger, d’étudier à Rome et ailleurs… Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas toujours des problèmes, notamment sur la question des propriétés religieuses.

Vous avez parlé du rôle social de l’Église au Vietnam qui est très important, c’est quelque chose qui est reconnu dans le pays ?

L’Église du Vietnam a joué un rôle important auprès des plus pauvres durant la pandémie, mais c’est quelque chose qui est déjà ancien car l’Église est particulièrement engagée auprès des orphelins, et aussi des malades du Sida depuis plus de vingt ans. J’ai visité récemment des centres médicaux dans des paroisses, qui soignent les gens anonymement à Saïgon. Ce sont des médecins catholiques qui donnent des consultations gratuites. Ils ont aussi des centres spécifiques pour accueillir les drogués. Le gouvernement l’accepte parce qu’eux-mêmes n’ont pas nécessairement les moyens de s’en occuper, et ils se délestent un peu de ce rôle-là.

Il y a un seul domaine où je pense que le Saint-Siège et les catholiques voudraient avoir une plus grande place, c’est l’éducation. Toutes les écoles catholiques ont été interdites, notamment au sud du Vietnam en 1975, et le monopole de l’État contrôle toutes les écoles. Ces vingt dernières années, les sœurs avaient le droit d’avoir des écoles maternelles, c’était accepté, mais c’est une des grandes revendications catholiques. Je pense que c’est dans le cours des négociations, ce sera un peu le test qui suivra.

Ensuite, il y aura aussi l’enjeu de la visite d’un pape, qui est très attendue par l’Église du Vietnam. Est-ce qu’il y aura une visite du pape avant qu’il aille en Chine ? Les catholiques en Chine, c’est 1 % ; au Vietnam, ils sont 7 %. C’est une des plus grandes communautés après les Philippines. Je pense qu’avec le fait qu’il y ait un représentant à Hanoï, la prochaine étape, c’est une visite du pape, et la deuxième question, c’est celle de l’éducation.

Claire Tran Thi Lien enseigne l’histoire de l’Asie du Sud-Est à l’Université Paris Diderot. Maîtresse de conférences et membre du laboratoire de recherches Cessma (Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques), elle a aussi été directrice de l’Irasec (Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine) à Bangkok de 2016 à 2021. Ses travaux de recherche portent particulièrement sur l’histoire du catholicisme au Vietnam et sur les rapports entre politique et religions depuis la fin du XIXe siècle.

Quelle a été votre réaction à la lettre du pape aux catholiques vietnamiens ?

Ce qui me frappe, déjà, c’est la nomination d’un représentant pontifical résident au Vietnam. Le pape François resitue cela dans le contexte plus large des relations depuis ces 25 dernières années. Dans cette lettre, il insiste sur deux choses.

D’abord le rôle social de l’Église, qui est un point très important de l’Église du Vietnam aujourd’hui, alors que cette participation avait été interdite pendant la période communiste dure qui va jusqu’en 1989. Depuis 25 ans, l’Église a pris de plus en plus d’importance dans ce rôle social, et le Vatican et le Parti communiste acceptent cette réalité qui n’était pas du tout évidente il y a plus de 20 ans.

Le deuxième thème abordé, c’est qu’ils agissent en bons chrétiens et en bons citoyens. Là, c’est le point de vue du gouvernement communiste : l’exigence de la loyauté à l’égard de du gouvernement. L’idée, c’est que l’Église catholique agisse dans le cadre de l’État, comme toutes les autres associations religieuses.

Ces deux rôles sont résumés dans la citation d’un discours du pape Benoît XVI en 2009 aux évêques vietnamiens : « S’engager loyalement pour l’édification d’une société juste, solidaire et équitable. » Le pape François reprend cette citation, en affirmant que l’Église « ne prétend nullement se substituer aux responsables gouvernementaux. » C’est vraiment le cœur de ce dialogue entre les deux, la reconnaissance de l’action sociale de l’Église, mais dans le cadre d’un respect de l’État.

J’évoquerai encore dans cette lettre la référence à l’épître à Diognète, qui date du IIe siècle et qui symbolise à l’époque le rapport avec les païens. Cette épître montre bien que les chrétiens ne se distinguent pas du reste des hommes, ni dans leur manière de vivre, ni dans leur langage, et qu’ils font corps avec la société.

Dans sa lettre, enfin, le pape confie aussi l’Église du Vietnam à Notre-Dame de La Vang ; et je voudrais évoquer la dernière actualité qui est la création d’un centre à Fatima, créé par les Vietnamiens, qui va faire le lien avec les catholiques du Vietnam et la diaspora vietnamienne, en lien avec le sanctuaire de La Vang qui est un lieu de pèlerinage très important au centre du Vietnam.

Cette lettre évoque pour vous une réelle avancée dans les relations Vatican-Vietnam ?

Elle montre un apport majeur ; pour avoir suivi ces relations depuis longtemps, il existe un comité de rencontres régulières entre le gouvernement vietnamien et le Vatican, qui se déroulent tantôt au Vatican ou au Vietnam. Depuis toutes ces années, il était question d’une visite du pape et de l’établissement de relations diplomatiques – qui avaient l’air très positives et qui contrastaient avec les difficultés qu’avait le Vatican avec la Chine.

On avait l’impression que les choses n’avanceraient pas tant que la Chine ne bougerait pas, mais la Chine est toujours très dure et on voyait bien une amélioration des relations avec le Vietnam, même s’il y avait toujours des problèmes sur le terrain. C’est vraiment une très grande avancée. Le fait qu’on nomme un représentant du pape au Vietnam, dans la longue histoire des relations entre le Vatican et le Vietnam, on peut dire que c’est un événement majeur.

On se demande si dans le futur, il y aura une visite du pape, parce que c’est quelque chose qui est très important pour les Vietnamiens. C’est une des plus grandes minorités catholiques en Asie ; le pape s’est rendu partout en Asie : en Corée, en Thaïlande, en Mongolie… Les Vietnamiens ont participé à toutes ces visites, il y avait une délégation vietnamienne à Oulan-Bator, et ils attendent que le pape vienne.

Pensez-vous que cet accord va permettre d’ouvrir davantage les relations Vietnam-Vatican dans les prochaines années ?

Ce qui marque la spécificité vietnamienne par rapport aux pays communistes, qu’il s’agisse de la Chine ou de la Corée du Nord, c’est qu’il y a une histoire tout à fait spécifique des relations entre le Vatican et le régime communiste. Le niveau de dialogue est extrêmement élevé, pour arriver à ce stade-là, alors qu’on a toujours pensé que la Chine devait passer avant. C’est tout à fait étonnant.

En septembre 2022, j’ai rencontré l’archevêque de Hanoï, et il était très positif à ce propos. Il disait qu’ils avaient une tradition de dialogue qui n’est certes pas facile mais qui se fait dans le respect ; ils ont l’habitude d’échanger, ils ne sont pas toujours d’accord, mais il est toujours possible de discuter. Il m’a dit que « nous savons faire cela ». C’est là l’importance du rôle de l’Église catholique du Vietnam, d’avoir été capable de mener ce dialogue dans des conditions qui n’ont pas toujours été faciles.

Il y a eu une politique de dialogue durant toutes ces années, qui a permis d’éviter qu’il y ait une Église séparée, à la différence de Chine. Le Parti communiste a déterminé qu’il était important d’avoir ce dialogue, à cause du contexte politique et économique, qui nécessitait une politique d’ouverture car le Vietnam était très appauvri, avec un besoin de se réintégrer dans la communauté internationale. Et une des conditions qu’ont imposé les Américains, c’est la liberté religieuse. Ce n’était pas pour les beaux yeux des catholiques, mais si on s’ouvre aux autres pays, il est difficile de maintenir un régime d’oppression systématique.

Je vais au Vietnam depuis 1989, et j’ai vu depuis d’énormes différences. Tout s’est amélioré : la pratique religieuse, la formation des prêtres, la nomination des évêques et la possibilité d’aller à l’étranger, d’étudier à Rome et ailleurs… Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas toujours des problèmes, notamment sur la question des propriétés religieuses.

Vous avez parlé du rôle social de l’Église au Vietnam qui est très important, c’est quelque chose qui est reconnu dans le pays ?

L’Église du Vietnam a joué un rôle important auprès des plus pauvres durant la pandémie, mais c’est quelque chose qui est déjà ancien car l’Église est particulièrement engagée auprès des orphelins, et aussi des malades du Sida depuis plus de vingt ans. J’ai visité récemment des centres médicaux dans des paroisses, qui soignent les gens anonymement à Saïgon. Ce sont des médecins catholiques qui donnent des consultations gratuites. Ils ont aussi des centres spécifiques pour accueillir les drogués. Le gouvernement l’accepte parce qu’eux-mêmes n’ont pas nécessairement les moyens de s’en occuper, et ils se délestent un peu de ce rôle-là.

Il y a un seul domaine où je pense que le Saint-Siège et les catholiques voudraient avoir une plus grande place, c’est l’éducation. Toutes les écoles catholiques ont été interdites, notamment au sud du Vietnam en 1975, et le monopole de l’État contrôle toutes les écoles. Ces vingt dernières années, les sœurs avaient le droit d’avoir des écoles maternelles, c’était accepté, mais c’est une des grandes revendications catholiques. Je pense que c’est dans le cours des négociations, ce sera un peu le test qui suivra.

Ensuite, il y aura aussi l’enjeu de la visite d’un pape, qui est très attendue par l’Église du Vietnam. Est-ce qu’il y aura une visite du pape avant qu’il aille en Chine ? Les catholiques en Chine, c’est 1 % ; au Vietnam, ils sont 7 %. C’est une des plus grandes communautés après les Philippines. Je pense qu’avec le fait qu’il y ait un représentant à Hanoï, la prochaine étape, c’est une visite du pape, et la deuxième question, c’est celle de l’éducation.