Hommage à Jean Charbonnier

Jean Charbonnier © IRFA
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Le père Jean Charbonnier, prêtre MEP et sinologue a vécu à Singapour. Son décès, en juin 2023, a profondément ému les fidèles qui l’y ont bien connu. Son confrère, le père Michel Arro, lui rend hommage.

Le vieux Sha nous a quittés. Ainsi nous fut annoncé le décès du père Jean Charbonnier. « Sha » est son nom chinois par lequel il aimait se faire appeler. Sinologue et sinophile, il choisit de se spécialiser sur le Chine, son histoire et sa culture, la place qu’y a l’Église. On le taquinait : « La seule encre dont tu te sers pour écrire, c’est l’encre de Chine ! » Et il riait. Installé depuis des années à la rue du Bac, à Paris, il était davantage au courant de ce qui se passait dans l’Empire du milieu que dans sa propre maison. Tous les jours, dès la fin de la messe du matin, il allait écouter les nouvelles en mandarin. Jean Charbonnier est né à Chatou, le 3 janvier 1932, dans une famille catholique. Après des années au petit et au grand séminaire, il entre à la rue du Bac. Il manifeste son goût pour le voyage et une année, pendant les vacances, nous recevons une carte postale de lui venant du Cercle polaire ! Il va en auto-stop dans bien des pays, y compris Israël. Il est ordonné prêtre le 21 décembre 1957 et part pour l’archidiocèse de Malacca-Singapour en 1959.

Singapour, première période : 1959-1970

Il passe quelques mois à la cathédrale, auprès du père Meissonnier, puis part, en 1961, pour l’école de langue de Kuala Lumpur. Résidant à la paroisse chinoise du Rosaire, il parle bientôt le mandarin avec élégance.
De retour à Singapour, le voilà à la jeune paroisse Saint- Bernadette, où se trouve une communauté très vivante. Outre la pastorale paroissiale, il s’enthousiasme pour l’Action catholique des adultes ; soixante ans après, une quinzaine de groupes se réunissent encore en promouvant la ligne: voir-juger-agir. Sa créativité́ en liturgie lui fait christianiser la tradition de l’échange des oranges pour le Nouvel An chinois : il les bénit à la fin de la messe et en distribue à chaque paroissien. Cela fait, aujourd’hui, tellement partie des célébrations, que peu savent encore que ce don provient de notre vieux Sha !

Jean s’est bien enraciné dans l’Église locale de Singapour qui a grandi. Début 1970, il est rappelé́ à Paris. Il a besoin de voir plus loin et de réfléchir. Il est prêt à devenir sinologue.

Recherche et académie : 1970-1978

Professeur au séminaire MEP puis au Consortium missionnaire de Chevilly, il se spécialise sur l’Église en Chine ainsi que sa culture et sa philosophie. Après quatre ans, il part pour Taïwan et s’immerge dans la littérature. Il recueille ce qui lui permet d’écrire deux thèses de troisième cycle : l’une sur le philosophe Lu Xun, dont il devient un spécialiste ; l’autre sur Singapour. Sa thèse de doctorat porte sur l’interprétation de l’histoire en Chine contemporaine. Docteur Jean Charbonnier : je ne l’ai jamais entendu user de ce titre qu’on lui donnait dans les pays étrangers. Il appréciera davantage le ruban rouge qui, plus tard, ornera discrètement le revers de son veston.

Singapour, deuxième période : 1978-1996

De retour à Singapour, il devient aumônier du collège catholique qui prépare les jeunes à l’université́. En 1980, il est chargé du service Chine. Il écrit, publie et entreprend plus de quarante voyages en Chine. Il prépare un guide de l’Église catholique en Chine, organise le centre de communication Zonglian, coordonne l’apostolat avec les confrères de Hong Kong et Taïwan, écrit trois livres et publie des dizaines d’articles.

Il donne un cours d’histoire de la philosophie au grand séminaire et prend soin de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) de langue chinoise ainsi que de la communauté francophone.

Il y aurait encore beaucoup à dire. C’est alors un sinologue mondialement connu, bon diplomate, au jugement sûr.

Retour en France

On lui demande, en 1996, de rentrer en France pour y établir et diriger le service Chine. Il continue ses voyages, donne des conférences et publie de nombreux articles. Les années passent et le groupe de Hong-Kong prend le relais du service Chine. Jean reste à Paris, reçoit beaucoup de gens et demeure très présent dans le milieu chinois. À 90 ans, il se retire à Lauris, où il se sent bien. Il prépare son grand voyage qui le conduira, non en Chine, mais dans les bras du Sauveur qu’il a si bien servi.

Après son décès, en juin, une messe en mandarin, à ses intentions, a été célébrée à Singapour, dans l’église du Sacré-Cœur.

Une anecdote pour terminer : Jean, tête froide et bien faite, qui analyse et sait conclure, n’était pas l’homme des états d’âme. Au cours d’une session où l’on abordait le sujet de la foi, aux questions personnelles qu’on lui posait, lui répondit simplement : « Je vais peut-être vous décevoir mais, sans faire de jeux de mots, j’ai la foi d’un charbonnier. » Merveilleux ! Une esquive à la chinoise.

Adieu vieux Sha !

Tiré de la Revue MEP n°596 – octobre 2023