La réception de la Bible chez les jeunes chinois

Bible en chinois © Helena Wu
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—— Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! (Lc 12,49)

Une image biblique pourrait démontrer la nécessité actuelle d’améliorer l’annonce de l’Évangile en Chine : « Voici que le semeur sortit pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger. D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché. D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés. D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un » (Mt 13 : 3-8).

Une situation politique hostile aux religions et un contexte économique et social qui poussent à la consommation, au matérialisme et à l’individualisme deviennent des obstacles à la Parole de Dieu : l’interdiction aux mineurs d’aller dans les églises, la vente contrôlée de la Bible1, l’apprentissage obligatoire du Marxisme dans l’éducation, l’attirance de l’argent et du pouvoir, et l’addiction à l’écran… Alors, est-il possible qu’il puisse exister des grains qui tombent dans la bonne terre chez les jeunes chinois ?

Le contexte historique : nos pères ne nous ont jamais raconté (cf. Ps 44,2)

La première Bible catholique intégralement traduite en chinois (《思高圣经》, la Bible de Sigao)2 a été publiée par les exégètes franciscains de Hong Kong en 1968 et a pu être introduite progressivement en Chine à partir de 1979. Par conséquent, la Bible a été introduite tardivement chez les Chinois. Il est nécessaire de noter que les prêtres qui ont été formés vers les années quatre-vingt n’avaient pas eu une Bible complète pour leur formation ; ils ont eu souvent et seulement un Nouveau Testament pour tout le séminaire, de ce fait, ils diffusaient ‘cette demi-Bible’ en la copiant et la mémorisant phrase par phrase. En conséquence, la majorité des prêtres n’ont jamais eu une formation régulière sur la Bible, surtout sur l’Ancien Testament. Il serait étonnant qu’ils puissent s’adresser aux jeunes par des enseignements bibliques puisqu’ils n’y ont jamais été formés.

En outre, la transmission de la foi catholique se fait en général par les familles, c’est-à-dire des grands-parents aux parents puis aux enfants. Le manque de formation biblique chez les prêtres, les religieux et les religieuses, et les responsables des communautés se traduit par un silence sur la Bible. On installe plutôt un système de mémorisation par cœur du livret de catéchèse pour les jeunes. Il reste possible d’avoir la connaissance de certains passages bibliques : notamment la création du monde, le péché originel, le déluge, les patriarches et les Évangiles, mais pour les jeunes, c’est du passé ! Ils se demandent quel profit on pourrait tirer du profit de cette histoire lointaine ?

Par ailleurs, nous avons habitude de « réciter » des prières (nianjing, 念经), ce qui est différent de « prier » (qidao,祈祷), c’est-à-dire qu’on dit oralement des formules, sans y mettre le cœur. Cette tradition de « réciter une soutra » (un florilège) ne correspond pas au besoin des jeunes d’aujourd’hui, surtout la génération formée par les grands-parents qui récitaient la prière dans leur dialecte devenu incompréhensible pour les jeunes.

Le premier défi est évident : l’absence d’éducation biblique infuse une sorte de mutisme chez les jeunes par rapport à la Parole de Dieu.

La Bible, un monde inconnu

Le Concile Vatican II, dans Dei Verbum n°12, souligne l’importance de la compréhension du contexte biblique : « Cependant, puisque Dieu, dans la Sainte Écriture, a parlé par des hommes à la manière des hommes, il faut que l’interprète de la Sainte Écriture, pour voir clairement ce que Dieu lui-même a voulu nous communiquer, cherche avec attention ce que les hagiographes ont vraiment voulu dire et ce qu’il a plu à Dieu de faire passer par leurs paroles…Il faut, en conséquence, que l’interprète cherche le sens que l’hagiographe, en des circonstances déterminées, dans les conditions de son temps et de sa culture, employant les genres littéraires alors en usage, entendait exprimer et a, de fait, exprimé ». Nous devons reconnaître que la culture des Juifs est différente de celle des Chinois : pourquoi « il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour » (Gn 1,5), non pas « il y eut un matin, il y eut un soir » ? Pourquoi après le premier péché de l’humanité, Adam et Ève se couvraient avec « des feuilles de figuier » (cf. Gn 3,7) ? Pourquoi existe-t-il de la pureté et de l’impureté qui sont différentes de la propreté (cf. Lv 17–26) ? Pourquoi Jésus a choisi le pain et le vin dans la dernière Cène (cf. 1Co 11,23-26) ? S’il avait été chinois, Jésus aurait pris sûrement du riz.

Par ailleurs, comme tous les jeunes catholiques dans le monde entier, les jeunes chinois s’interrogent sur la violence dans l’Ancien Testament : comment Dieu permet-il de tuer tous les premiers-nés des Égyptiens, y compris des enfants innocents (cf. Ex 11–12) ? Pourquoi la loi de l’anathème sur les villes conquises (cf. Dt 2,24 ; 3,6-7) ? Comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, le manque de formation biblique pour les consacrés ne permet pas aux jeunes de trouver des réponses à leurs nombreuses questions sur la Bible. De ce fait, ces actes violents, même commandés par le Seigneur, sont-ils vraiment une Révélation Divine ? De plus, les religions sont souvent considérées comme des superstitions en Chine, où nous sommes formés par la science et l’athéisme.

Le deuxième défi pourra être synthétisé par une sorte de tension : d’une part, le fondamentalisme : ce que la Bible raconte est une vérité historique absolue de laquelle on ne doit rien douter ; et d’autre part, le rationalisme : la Bible n’est qu’un mythe et l’Homme est le seul maître de l’Histoire.

La bonne nouvelle : « Voici sur les montagnes les pas du messager qui annonce la paix » (Na 2,1 ; cf. Is 52,7)

Depuis la Réforme économique chinoise (gaigekaifang, 改革开放) en 1978, les missionnaires étrangers ont accès à la Chine ; les prêtres et les religieux et les religieuses chinois ont eu aussi la possibilité d’être formés dans de nombreux pays étrangers. Nous avons de plus en plus de formateurs au service des Églises locales et des camps pour des jeunes catholiques s’organisent progressivement dans tous les diocèses. La rencontre de Philippe et de l’eunuque (cf. Ac 8,26-40) illustre bien cette nouvelle situation en Chine : l’eunuque lisait le prophète Isaïe, et Philippe lui a posé cette question : « Comprends-tu ce que tu lis ? » ; l’autre lui répondit : « Et comment le pourrais-je s’il n’y a personne pour me guider ? »… et à la fin, l’eunuque a pu comprendre l’Ecriture et recevoir l’Esprit Saint, et il poursuivit sa route dans la joie.

En outre, l’accélération économique débouchant sur un excès de consommation et le matérialisme suscitent une soif d’Absolu chez les jeunes chinois. Beaucoup de jeunes catholiques font une démarche et une rencontre personnelle avec Jésus à travers la Bible, comme Jésus avec les deux disciples de Jean-Baptiste : « Jésus vit qu’ils le suivaient, et leur dit : « Que cherchez-vous ? » Ils lui répondirent : «… où demeures-tu ? » il leur dit : « Venez, et vous verrez » (cf. Jn 1,37-39) ». Cette invitation de Jésus, « venez et voyez », illustre son Appel aux jeunes catholiques chinois. Même s’il existe toujours des incompréhensions sur certains passages bibliques, ce « commencement » à lire la Bible ouvre le premier pas vers Dieu, qui accomplira le reste. Quelques exemples sont indispensables pour mieux éclairer ce mouvement chez les jeunes catholiques :

  • Une formation sur l’histoire des Patriarches peut être un bon réflexe pour les jeunes vis-à-vis de leur famille : la foi et les épreuves, la tromperie, la paternité et la filiation, le pardon… Finalement, cette étude permet aux jeunes de relire leur propre histoire avec leur famille ;
  • Un camp d’étudiants dans le Diocèse X, centré sur le thème « Let’s go », amène les jeunes à « marcher » avec Abraham dans la nuit de la foi, avec Moïse au désert, avec Jonas vers Ninive, avec Jésus pour rencontrer la Samaritaine…. Une conversion intérieure et profonde se fait sur ce « chemin » ;
  • Une assemblée de jeunes sur la question « αγαπη » (amour) introduit la discussion sur l’amour et l’amitié en travaillant sur les personnages bibliques : l’amour de Jacob envers Rachel fait rêver les jeunes filles à la rencontre du prince charmant avec la bénédiction de Dieu ; la trahison de Judas et l’amour infini de Jésus envers lui ; l’amitié de David avec Jonathan et celle de Jésus avec Pierre et Jean… Les jeunes aspirent à l’Amour infini de Dieu.

Par ailleurs, l’invention des applications catholiques apporte une proximité de la Bible aux jeunes. « iBreviarium (我灵赞美主) » est une application biblique et de lectures quotidiennes catholiques, publiée le 29/05/2012, téléchargée et installée plus de 100 000 fois. Il existe toutes formes de prières, y compris le commentaire quotidien de l’Évangile et de la vie des Saints. De même, il existe une autre application, « Petite aide catholique (天主教小助手) », téléchargée et installée plus de 130 000 fois entre septembre 2013 et août 2022 puis transformée sous un nouveau nom « La vraie source de toute existence (万有真源) », approuvée par l’autorité chinoise. Elle contient un contenu plus riche qu’iBréviarium avec des actualités sur l’Église, la musique, les livres… Il ne nous reste plus qu’à « avancer au large, et jeter nos filets pour la pêche » (cf. Lc 5,4).

Conclusion

En résumé, la relation entre la Bible et les jeunes chinois est complexe, eu égard aux limites de l’environnement politique et social ; ils continuent d’apprendre et de comprendre la Bible par divers moyens en vue d’approfondir leur connaissance et leur expérience de Dieu. L’espérance, la patience et la foi sont les éléments fondamentaux pour attendre les fruits du Semeur. Le Seigneur prépare cette terre et Il a sa manière de féconder cet immense pays, nous devons croire en « espérant contre toute espérance » (cf. Rm 4,18), comme un « cultivateur (qui) attend les fruits précieux de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il ait fait la récolte précoce et la récolte tardive » (cf. Jc 5,7), puisque la Parole qui sort de la bouche du Seigneur ne reviendra pas sans résultat (cf. Is 55,10).

© Helena Wu
© Helena Wu

  1. La Bible de Sigao dont nous parlerons plus loin n’a plus le droit d’être imprimée en Chine continentale depuis 2022 et la vente de cette version est épuisée. Les catholiques n’ont plus la possibilité de commander une Bible sur Internet. Celle qui est en vente actuellement est approuvée par l’Association patriotique et le Collège officiel des évêques, formant la structure commune « Une Association – un Collège » (yihuiyituan一会一团). Ce Collège épiscopal des évêques en Chine continentale n’a pas été reconnu par le Saint Siège. ↩︎
  2. Elle a été intégralement traduite sous la direction du Bienheureux Gabriel Allegra, 1907-1976, prêtre et bibliste italien, appartenant à l’ordre des Frères mineurs. Le père Jean Basset (appelé Bai Risheng白日昇 en chinois) avec l’aide d’un converti local Xu Ruohan (徐若翰), a voulu traduire le Nouveau Testament, mais il s’est arrêté au premier chapitre de l’épître aux Hébreux à son décès au XVIIIe siècle. ↩︎