Chine

Hong Kong : Jimmy Lai, un héraut de la démocratie face au couperet de la justice

Jimmy Lai Chee-ying, fondateur de l’Apple Daily, a été condamné ce lundi 15 décembre par la justice de Hong Kong, où il est détenu depuis 2020. Jimmy Lai Chee-ying, fondateur de l’Apple Daily, a été condamné ce lundi 15 décembre par la justice de Hong Kong, où il est détenu depuis 2020. © Bradley Foundation / CNA
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À Hong Kong, la condamnation de Jimmy Lai marque une nouvelle étape dans l’étranglement des libertés politiques et de la presse. Figure emblématique du camp prodémocratie, entrepreneur et catholique assumé, l’ancien magnat des médias a été reconnu coupable en vertu de la loi sur la sécurité nationale, peu après l’annonce de la dissolution du Parti démocrate. Une séquence lourde de sens pour l’ancienne colonie britannique, où le rétrécissement de l’espace démocratique et des voix dissidentes semble désormais acté. Par le géopolitologue Olivier Guillard.

Ce lundi 15 décembre, une dizaine de jours avant Noël, la justice hongkongaise a condamné l’ancien magnat des médias (prodémocratie) Jimmy Lai, 78 ans, emprisonné depuis cinq ans. Un tribunal de Hong Kong l’a reconnu coupable des trois chefs d’accusations qui étaient retenus contre lui, en vertu de la très draconienne loi sur la sécurité nationale : en particulier des « crimes » de complot en vue de collusion avec des forces étrangères et de sédition.

La veille de sa condamnation, le Parti démocrate, ce dernier bastion politique qui était maintenu à bout de bras et de résilience par l’opposition prodémocratie, annonçait sa dissolution, sous la pression devenue insoutenable de Pékin. Une séquence douloureuse pour la population de l’ancienne colonie britannique, alors que le frêle périmètre démocratique s’est déjà comprimé dangereusement ces dernières années.

Jimmy Lai face à la « justice »

Le procès sans fin (156 jours d’audience !) et éreintant de Jimmy Lai, ce natif du Guangdong arrivé à Hong Kong au crépuscule des années 50, était un des derniers du genre (relevant de la sécurité nationale selon les autorités hongkongaises et chinoises) encore en cours. Une série de procès a en effet ciblé expressément les citoyens hongkongais de premier plan qui ont été associés de près ou de loin aux manifestations prodémocratie de 2019. Son procès était suivi près dans l’ex-empire du Milieu et dans nombre de capitales occidentales, où l’ancien patron de presse compte toujours foule de soutien parmi les milieux d’affaires et les défenseurs de la démocratie.

Avant que le couperet de la « justice » de Hong Kong ne s’abatte sur cet intrépide catholique pratiquant septuagénaire, plusieurs centaines d’activistes, d’avocats, d’hommes et de femmes politiques en avaient fait les frais ces dernières années, poursuivis, embastillés, ou contraints à l’exil. Le verdict n’a pris personne de court. Toutefois, de Londres à Washington en passant par Berlin ou Paris, l’émotion est vive et l’appel à la raison et à la clémence est général.

Du côté des autorités chinoises présentes à Hong Kong, au lendemain de la condamnation, le son de cloche est là encore sans surprise et quelque peu dissonant. Le ministère chinois des Affaires étrangères se borne à critiquer divers grands médias d’outre-Atlantique pour leurs éditoriaux soutenant Jimmy Lai (le Washington Post et le Wall Street Journal dans leur édition du 15 décembre notamment), évoquant sans mesure une « déformation délibérée » atteignant « de nouveaux sommets d’absurdité », assénant sans retenue : « Malgré un procès qui a duré plus de 150 jours et un verdict de 855 pages, vous continuez d’affirmer qu’il n’y a ‘aucune preuve sérieuse’ Un tel éditorial est en soi ’de façade »

Passons. Du côté du gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong, sans surprise, le propos n’est pas moins virulent, à l’unisson de la rhétorique pékinoise : celui-ci fait part de sa « vive opposition aux attaques malveillantes, aux fausses déclarations et aux calomnies provenant de forces extérieures concernant l’affaire de sécurité nationale impliquant Jimmy Lai », tonnant qu’il « ne tolérera jamais aucun acte mettant en danger la sécurité nationale en incitant le public à trahir les intérêts du pays et du peuple ».

Jimmy Lai et la colère de Pékin

Entrepreneur inspiré et abouti (chaîne de vêtement Giordano), mentor de médias engagés (dont le journal populaire prodémocratie honni de Pékin Apple Daily, fermé désormais), de nationalité britannique et taïwanaise, Jimmy Lai suscite de longue date la colère de Pékin. La Chine lui reproche son libre parler, sa lecture hongkongaise sino-sceptique, son implication assumée au chevet du camp prodémocratie de Hong Kong (Parti démocratique en particulier) et ses contributions financières à ces thuriféraires d’une Hong Kong ouverte et démocratique. Cet ancien lauréat du prix RSF pour la liberté de la presse a été arrêté à l’été 2020. Sa libération sous caution a ensuite été refusée, puis il a été placé en détention en décembre 2020.

Dans le viseur des autorités centrales pékinoises et de leurs relais hongkongais depuis de longues années, le résilient et hardi Jimmy Lai a appris à compter les coups de ses adversaires, pour mieux se relever par la suite. On compte notamment une tentative d’assassinat en 2008, plusieurs attentats à la bombe visant son domicile et ses investissements commerciaux, le harcèlement permanent d’une presse ayant à l’esprit d’autres fondamentaux que la liberté d’expression, et plusieurs agressions physiques à son encontre. Mais rien n’altère pour autant sa détermination, bien au contraire.

Le glas de la liberté de la presse (entre autres victimes collatérales) ?

Rendu après plus de 150 jours d’audiences (!), le jugement de 855 pages (!) a notamment conclu que Jimmy Lai était le cerveau derrière trois complots visant à inciter à des sanctions internationales et à des activités hostiles contre Hong Kong et la Chine continentale, publiant pour cela des articles « séditieux » dans son journal Apple Daily[1]. Il encourt une peine minimale de dix ans de prison et jusqu’à la prison à vie si le tribunal juge que sa culpabilité correspond à celle d’un « auteur principal ». Le tribunal entendra les plaidoiries de Lai et des huit autres coaccusés (anciens dirigeants d’Apple Daily) à partir du 12 janvier.

Pour Amnesty International,« la condamnation de J. Lai sonne le glas de la liberté de la presse à Hong Kong, où le travail essentiel du journalisme a été qualifié de crime ». Pour Reporter sans frontières,  « Le fondateur de l’Apple Daily incarne le courage des journalistes indépendants à Hong Kong, et ce verdict anéantit le peu d’espace qui leur restait. Les démocraties doivent enfin agir, et agir vite : si elles ne le font pas, Jimmy Lai mourra en prison ».

Avant son retour à la Maison Blanche, le président Donald Trump promettait bien hardiment, au sujet du magnat de la presse hongkongais embastillé : « Je vais le faire sortir, c’est sûr à 100 %. Il sera facile à faire sortir.[2] » De toute évidence, hélas, cela ne semble guère être le cas.

Un « fauteur de troubles avec une bonne conscience »

Arrivé à Hong Kong à la fin des années cinquante (à l’âge de douze ans), ce fervent catholique pratiquant s’exprimait jusqu’à son incarcération fin 2020 principalement en cantonais (en lieu et place du mandarin). Il n’a jamais ouvertement appelé à l’indépendance de l’ancienne colonie britannique ni rechigné à participer, une fois l’an, à la veillée du souvenir en mémoire des disparus de la place Tiananmen (de 1989). Il assume volontiers, le regard fier, son statut d’indispensable « poil à gratter » dans le dos du régime chinois, déclarant à ce propos à la presse américaine il y a quelques années : « Les institutions (chinoises) me détestent. Elles pensent que je suis un fauteur de troubles. Je suis un fauteur de troubles, mais un fauteur de troubles avec une bonne conscience. »[3]

À l’été 2019, alors que couvait une colère sourde dans les rangs non-résignés des défenseurs hongkongais d’une démocratie déjà en état de siège, Jimmy Lai tonnait à l’adresse de Pékin, des Hongkongais et du concert des nations : « Je me sens toujours chinois parce que j’appartiens à l’ancienne génération. J’ai toujours espéré que la Chine changerait et deviendrait une démocratie. J’avais tort. C’était un vœu pieux[4] ». Six ans et une ribambelle de déceptions plus tard, on ne saurait le contredire.

(Ad Extra, Olivier Guillard)


[1] Créé peu avant la rétrocession de Hong Kong par le Royaume-Uni à la Chine en 1997.

[2] The Washington Post, 15 décembre 2025.

[3] The New York Times, 23 août 2019.

[4] The New York Times, 24 août 2019.

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