La Conférence épiscopale indienne s’oppose à une Inde transformée en « royaume hindou »
Le Premier ministre Narendra Modi, en 2024 lors de la consécration d’un temple hindou à Ayodhya, Uttar Pradesh.
© Bureau du Premier ministre indien / CC BY 2.0 DEED
Le 18/11/2025
La Conférence épiscopale indienne (CBCI) a vivement critiqué des déclarations récentes de Mohan Bhagwat, chef du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh ou « Corps national des volontaires », la matrice idéologique du parti nationaliste hindou au pouvoir). Il avait revendiqué l’Inde comme une « société hindoue » et un « royaume hindou », et affirmé que les musulmans et les chrétiens pouvaient rejoindre son organisation à condition de « mettre de côté leur différence ». Les évêques ont publié un communiqué d’une rare fermeté, en qualifiant ses propos de « trompeurs » et « perfides ».
La réaction de la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI) cible directement le pouvoir nationaliste hindou et son idéologie. Dans un communiqué officiel publié le 10 novembre, la CBCI a exprimé son profond désaccord avec les propos tenus la veille par Mohan Bhagwat, chef du RSS (Corps national des volontaires), organisation proche du BJP (Parti du peuple indien) de Narendra Modi. Une mise au point qui témoigne d’une inquiétude croissante face à la dérive identitaire du discours politique.
Le 9 novembre, le chef de la puissante organisation idéologique, dont le BJP constitue à l’origine la branche politique, a suscité la controverse lors d’une série de conférences tenues à Bangalore, dans le sud de l’Inde. En réponse à une question, Mohan Bhagwat a affirmé que les non-hindous – musulmans et chrétiens – étaient « les bienvenus » au sein de l’organisation, à condition de « mettre de côté leur particularité », et de venir « en tant que fils de ‘Bharat Mata’ (Notre Mère l’Inde), membres de cette société hindoue ». « Bharat (l’Inde) est un ‘Hindu Rashtra’ (royaume hindou) », a déclaré Mohan Bhagwat, tout en assurant que cela « ne contredit pas la Constitution ».
Ces propos ne sont pas surprenants, car ils s’inscrivent dans la vision de longue date du RSS, qui considère l’Inde comme une nation fondamentalement hindoue et cherche à célébrer l’avènement supposé de sa grandeur retrouvée. Toutefois, ils ne sont pas toujours exprimés aussi ouvertement, cette vision entrant en contradiction directe avec les valeurs laïques énoncées par la Constitution indienne. Dans ce pays de 1,4 milliard d’habitants, près de 80 % sont hindous, tandis que les musulmans représentent 14,2 % de la population et les chrétiens environ 2,3 %.
Au cours de son histoire, le RSS a été associé à certains événements tragiques
Depuis l’ascension spectaculaire de Narendra Modi et son arrivée au pouvoir en 2014, le RSS, longtemps maître incontesté des cercles du nationalisme hindou, a vu son influence politique directe décliner, tandis que le Premier ministre exerce les rênes du pouvoir avec une autorité affirmée. Pourtant, l’organisation est bien plus ancienne que le parti du BJP. Fondé en 1925 pour promouvoir la culture et le nationalisme hindous, le RSS compte aujourd’hui environ 4 millions de membres et plus de 80 000 antennes locales, en faisant une immense organisation bénévole.
Au cours de son histoire, le RSS a été associé à certains événements tragiques. C’est un ancien membre de l’organisation, Nathuram Godse, qui a assassiné le Mahatma Gandhi en 1948, s’opposant à sa vision d’une Inde multireligieuse. Le RSS a également joué un rôle central dans la campagne de démolition de la mosquée d’Ayodhya en 1992, suivie de violences intercommunautaires ayant causé près de 2 000 morts, selon certaines estimations.
Aujourd’hui, certains analystes estiment que les propos récents de Mohan Bhagwat reflètent une stratégie visant à restaurer l’influence politique et le rôle central du RSS, et à étendre son emprise au-delà du BJP, notamment à travers des partis régionaux émergents. Plus largement, ces déclarations réaffirment l’idée que l’identité de l’Inde serait intrinsèquement liée à l’hindouisme. « Nous avons nos vues, et nous voulons orienter ce pays dans une certaine direction », a affirmé Mohan Bhagwat.
« Le christianisme en Inde a une histoire de près de 2 000 ans »
Dans un communiqué de presse daté du 10 novembre, la CBCI a dénoncé les déclarations de Mohan Bhagwat, rejetant « l’insinuation perfide selon laquelle les chrétiens indiens seraient aussi des hindous » : « Les chrétiens indiens sont fièrement Indiens, mais ne sont pas hindous. » Le communiqué précise également : « La CBCI réfute l’affirmation selon laquelle l’Inde serait un ‘Hindu Rashtra’ (royaume hindou) et condamne toute tentative visant à établir une telle nation. L’Inde est et demeurera une ‘République souveraine, socialiste, laïque et démocratique’. » La CBCI appelle les citoyens indiens, en particulier les chrétiens, « à prendre toutes les mesures constitutionnelles nécessaires pour protéger le caractère actuel de la Constitution indienne ».
« Le christianisme en Inde a une histoire de près de 2 000 ans. Il n’est pas né de nulle part », a rappelé le père Robinson Rodrigues, porte-parole de la CBCI, à l’agence Ucanews. « Les chrétiens ont beaucoup sacrifié pendant la lutte pour l’indépendance et ont œuvré sans relâche au développement de la nation, notamment dans l’éducation, la santé et d’autres domaines sociaux et caritatifs. »
La CBCI a cité un jugement de la Cour suprême de mars 2016 rejetant la demande d’utiliser des termes comme « Hindustan » ou « Hind » pour désigner l’Inde. L’organisation a également rappelé les violences communautaires contre les chrétiens en Inde. Elle cite le rapport de la Commission Venugopal sur les violences de 1982 à Kanyakumari, qui décrit la méthodologie du RSS : « Raviver les sentiments communautaires de la majorité en disant que les chrétiens ne sont pas loyaux ; accroître la peur en affirmant que les minorités croissent et que les hindous diminuent ; infiltrer l’administration pour promouvoir des attitudes communautaires ; former des jeunes hindous à l’usage d’armes ; répandre des rumeurs pour accentuer les divisions. »
Enfin, la CBCI conclut : « Les chrétiens en Inde ont contribué de manière significative à la lutte pour l’indépendance et à la construction de la nation – et ils continueront à le faire. »
(Ad Extra, A. B.)