L’action d’Audrey Donnithorne en faveur des familles en Chine

Audrey Donnithorne Audrey Donnithorne © IRFA
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Audrey Donnithorne, économiste sino-britannique et missionnaire catholique a œuvré en faveur de l’Eglise de Chine et de ses relations avec le Vatican. On connaît moins son travail important en faveur des familles chinoises et de la planification naturelle des naissances dès les années 80, dans un contexte de politique de l’enfant unique très dure.

Audrey Gladys Donnithorne (1922-2020) est née au Sichuan en 1922 de parents britanniques missionnaires anglicans. Elle est reçue dans l’Église catholique au cours de sa vingt-deuxième année[1]. Après des études supérieures d’abord au Sichuan puis à Oxford -interrompues par la guerre durant laquelle elle est recrutée par la section n°MI2b du renseignement militaire du Bureau de la Guerre britannique[2]-, elle occupe des postes universitaires en Économie politique du Sud-Est Asiatique et de la Chine, principalement au University College de Londres puis à la faculté d’Économie de la Research School of Pacific Studies de la Australian National University (ANU) de Canberra. Après avoir fait valoir ses droits à la retraite en 1985, Audrey est chercheur honoraire du Centre d’études asiatiques de la University of Hong Kong, et, du quartier de Pok Fu Lam où elle s’établit alors, elle consacre l’essentiel de sa vie à pourvoir aux besoins des diocèses catholiques du Sud-Ouest de la Chine dans les provinces du Sichuan, du Guizhou et du Yunnan, assurant une liaison officieuse tant avec le Saint-Siège qu’avec les agences missionnaires internationales catholiques. Audrey est nommée membre honoraire de la Société des Missions étrangères de Paris (MEP) en 1995 « pour sa collaboration au service de l’Église de Chine », peu après avoir reçu, en 1993, la Croix Pro Ecclesia et Pontifice, une distinction du Saint-Siège qui reconnait les actes de dévouement envers l’Église et la papauté. Quelques mois avant son décès, Audrey Donnithorne lègue à la Société des missions étrangères de Paris ses archives, lesquelles sont conservées à l’IRFA[3].

Une vie de recherche

Avant de consacrer ses travaux de recherche, en tant qu’économiste, à la Chine[4], Audrey Donnithorne s’intéresse à la question de la population du monde et des ressources de la planète, ainsi qu’à la sociologie des religions. En 1953, elle publie « Is the world heading for starvation ?[5] » En 1954, elle assiste au Congrès mondial de la population des Nations unies à Rome puis elle participe à des colloques du Secrétariat de liaison pour les études de population (SELIPO) à l’Université catholique de Louvain jusqu’à son départ pour Canberra en 1969, l’année qui suit la publication de l’encyclique Humanae vitae « sur le mariage et la régulation des naissances » (1968) promulguée par le pape Paul VI, laquelle divise la direction du SELIPO[6]. Sa vie durant, Audrey Donnithorne conserve un intérêt documentaire et personnel pour les questions de la démographie, du taux de reproduction de la population, des politiques et méthodes de planification de la fécondité -permettant aux couples de procréer selon leur projet-, qu’elle distingue des politiques antinatalistes -visant la réduction de la natalité d’une population donnée-. En 1981, elle s’exprime dans l’hebdomadaire catholique britannique The Tablet sur « Birth Control in China ». En janvier 1984, elle publie « Restraint without Coercion: New Ideas for China’s Population Policy ». 

La démographie en question

En 1980, profitant d’une invitation personnelle de l’Académie chinoise des Sciences sociales qui l’amène à Shanghai, Chengdu puis Pékin, Audrey Donnithorne rend visite, entre autres, au Bureau de la planification familiale de Chengdu[7] et l’interroge à propos de la « coutume » ordonnée de l‘enfant unique : pensent-ils, leur demande-t-elle, qu’il sera possible de changer ladite « coutume » au cas où il s’avèrerait nécessaire d’augmenter le taux de natalité ? Question pertinente qui inquiète désormais les autorités chinoises du XXIe siècle. En 1982, au retour d’un nouveau voyage au Sichuan, A. Donnithorne donne une conférence sur le recensement en Chine au département de Démographie de la ANU.

En 1984, Audrey rend visite au Sichuan à l’évêque de Wanxian[8], lequel mentionne à la fois combien l’économie régionale bénéficie du retour à l’agriculture familiale depuis le début des années 1980, et la dureté avec laquelle la politique de l’enfant unique y est implémentée, apportant son lot d’avortements obligatoires, de stérilisations forcées. L’évêque Duan ajoute avoir évoqué l’intérêt de la planification familiale naturelle (PFN) auprès des autorités locales et rapporte que celles-ci se sont montrées interrogatives quant à la capacité de personnes sans instruction à la mettre en pratique, mais par la suite s’étaient enquises de la possibilité de la construction d’un hôpital catholique à Wanxian. Mission est donnée à Audrey Donnithorne de trouver des donateurs, mais ce projet n’aboutit pas quand il est constaté que les hôpitaux religieux, une fois terminés, sont généralement rapidement repris par le gouvernement. Cet hôpital aurait pu devenir un centre de formation pour la PFN[9].

Dès son retour en Australie, Audrey Donnithorne reprend contact avec les Drs John et Evelyn Billings à Melbourne, avec qui elle se lie plus avant, et dont elle sait que la méthode pionnière Billings Ovulation Method® (BOM®) a fait l’objet d’essais cliniques concluants en Inde et ailleurs mais pas encore en Chine. Ce sera le cas durant les années 1990[10]. Audrey avait la conviction que la planification familiale naturelle devait rencontrer intérêt et forte motivation pour une bonne observance parmi la population même peu instruite de la Chine où tout échec se soldait par un avortement forcé[11].

Promouvoir la méthode Billings®

En 1981, alors que la National Association of Ovulation Method Instructors (NAOMI) se forme au Royaume-Uni pour faire connaitre la BOM®, Audrey Donnithorne écrit à son responsable Ken P. Platt[12]pour lui suggérer, d’une part, de faire parvenir des plaquettes « Natural Family Planning NFP – Billings Ovulation Method® » au Bureau central des naissances planifiées (Office for Planned Birth of the State Council) à Beijing ainsi qu’à ses bureaux affiliés dans les provinces de Chine et les régions autonomes, sans oublier les bureaux des municipalités directement subordonnées au gouvernement central, Beijing, Shanghai et Tianjin. Dans son courrier, Audrey invite, d’autre part, Ken Platt à faire connaître les plaquettes NAOMI des chinois qui travaillent dans le secteur médical en visite au Royaume-Uni, ainsi que des chinois résidant au Royaume-Uni partant rendre visite à des parents en Chine. Il est à noter que ce courrier fait suite au symposium qui s’est tenu sous l’égide de l’Office for Planned Birth of the State Council « Giving priority to disseminating the idea of planned birth » à Beijing les 10-14 janvier 1981[13].

Concomitamment, Audrey Donnithorne sollicite par courrier l’aide pour la diffusion de la PFN en Chine du prélat américain James Thomas McHugh (1932-2000) [14], lui envoyant une copie de la lettre à Ken Platt et une plaquette de la NAOMI. Mgr McHugh préside de 1965 à 1975 la Commission de la Vie Familiale de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis (NCCBUS), dirige l’action « Pro Vie » de la NCCBUS de 1972 à 1978, dirige l’action diocésaine en faveur de la Planification Familiale Naturelle à partir de 1978, participe en tant qu’assistant spécial au Synode “Les fonctions de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui” de 1980, et il est nommé membre de la délégation de la Mission permanente d’observation du Saint-Siège auprès des Nations Unies en 1983. 

Une méthode naturelle

Lorsqu’elle apprend en 1982 qu’un programme de coopération se noue entre l’Australie et la Chine, Audrey Donnithorne écrit officiellement – de son poste de professeur titulaire du Département des Sciences économiques de la ANU- au ministre de la Science et de la Technologie[15],pour souligner tout l’intérêt qu’il y aurait à ajouter la planification familiale naturelle au programme interinstitutionnel d’échanges dans le domaine des sciences médicales et de la santé. Face à la réponse sceptique à l’égard de la PFN du ministère de la Science et de la Technologie et de celui de la Santé[16] reçue par Audrey, Dr John Billings écrit à son tour au ministre de la Santé australien soulignant l’efficacité de la Méthode de l’Ovulation Billings®[17].

Audrey Donnithorne correspond aussi[18] avec Dr Stefania Siedlecky (1921-2016), médecin gynécologue hospitalier australienne, diplômée par ailleurs du mastère « Démographie et Santé » de l’université de Londres financé par une bourse de l’OMS, fondatrice du Mouvement pour la santé des femmes en Australie, présidente du Conseil pour la planification familiale de l’état de Nouvelle-Galles du Sud en Australie, première conseillère pour la Santé des femmes dans le gouvernement travailliste Gough Whitlam (1972-1975), nommée en 1986 membre du comité consultatif spécial de l’UNPFA pour les Femmes, la population et le développement. Audrey Donnithorne est aussi en contact téléphonique avec le Australian Development Assistance Bureau (ADAB)[19].

Jusqu’aux années 2000

Audrey Donnithorne suivra de près le projet (2000-2002) à but non lucratif d’apostolat « famille et couple », mené par le Hong Kong Catholic Marriage Advisory Council (HKCMAC)[20] pour la création et la direction d’un centre de formation pour l’instruction de la PFN dans le diocèse de Guangzhou, co-financé par les agences missionnaires Missio et Misereor d’Allemagne[21].

Audrey Donnithorne conserve dans ses archives nombre de dossiers de coupures de presse, lesquels continueront d’être nourris jusqu’aux dernières années de sa longue vie. Au sein de ceux-ci figurent les thèmes suivants qui intéressent cet article : Population Chine – Billings ; Population Chine: éducation sexuelle et politique du 2e enfant, politique du 3e enfant ; Essais cliniques BOM® (site WOOMB®) ; Méthode de contraception sympto-thermique ; Diffusion de la PFN en Chine face à la contraception par dispositif intra-utérin (DIU) ou par contraceptifs oraux ; Efficacité de la PFN ; Méthodes naturelles de régulation des naissances ; Méthodes contraceptives et avortements forcés au troisième trimestre ; Australian Capital Territory (ACT) questions pro-vie ; Politique sur l’avortement à l’Assemblée législative de l’ACT ; Campagnes anti-IVG ; Politique de réduction du taux de natalité en République de Chine (Taïwan) ; Projets financés par le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) en RPC : programme d’assistance technique sur 4 ans pour le recensement de la population, la planification familiale et l’éducation en matière de population ; ONG China Family Planning Association (créée en mai 1980 sous l’égide du Parti Communiste chinois) ; Revues Population Studies de la RPC ; Transcriptions des programmes de la BBC : « Female infanticide in China »[22] et « Zhejiang Province (China) programme (10 million yuan) to support the development of scientific, educational, cultural and health work, including a family planning research center »[23] .

La protection de la famille

Si le cœur de la mission d’Audrey Donnithorne en Chine du Sud-Ouest fut d’œuvrer à la (re-)construction de cathédrales, d’églises, de séminaires, de noviciats, de dispensaires, de jardins d’enfants et à leur équipement, à la formation de séminaristes, de novices, de laïcs en mission, à la publication en chinois simplifié de bréviaires, de missels, de catéchismes, d’encycliques, de la doctrine sociale de l’Église, d’ouvrages de théologie, de sciences, de philosophie, de spiritualité, de vies de saints, à l’organisation d’échanges de professeurs de langue vivante étrangère en Chine, le souci de la protection de la vie familiale en Chine ne quitta jamais son cœur de « fillette du Sichuan » – ainsi qu’Audrey aimait à se présenter – : le sort des couples, des femmes, des petites filles, des personnes malades et handicapées, des personnes sans-voix.

Isabelle Verellen, 
Oxford PPE, HEC Paris
Infirmière Diplômée d’Etat et trustee pour les archives léguées par Audrey Donnithorne à l’IRFA


[1] Audrey Donnithorne est reçue dans l’Église catholique le 7 mars 1944 par le P. Daniel Woolgar OP, au prieuré dominicain du district de Haverstock Hill dans le nord de Londres, puis elle est confirmée quelques semaines plus tard en la cathédrale de Westminster par le Très Révérend Edward Myers, évêque auxiliaire de Westminster.

[2] La section n°MI2b du renseignement militaire (Military Intelligence MI) du bureau de la Guerre britannique gère durant la Seconde Guerre mondiale l’information géographique, dont les affaires concernant l’allié chinois et les cartes de l’Asie de l’Est, durant la guerre contre le Japon.

[3] Isabelle Verellen est trustee pour les archives léguées en 2020 par Audrey Donnithorne à la Société des MEP et travaille comme bénévole à l’IRFA au catalogage de celles-ci.

[4] China’s Economic System (Allen & Unwin, London, Praeger, New York, 1967, 592 p) est l’œuvre maîtresse d’Audrey Donnithorne.

[5] In Catholic Social Guild Yearbook 1953.

[6] Audrey Donnithorne China: In Life’s Foreground, p. 236-7.

[7] Audrey Donnithorne China: In Life’s Foreground, p. 330.

[8] L’évêque Matthias Duan Yinming 段蔭明 (1908-2001).

[9] Audrey Donnithorne China: In Life’s Foreground, p.381-2.

[10] Les Dr John Billings (1918-2007) et son épouse Dr Evelyn Livingstone Billings (1918-2013), pionniers depuis les années 1950 de la Méthode de l’Ovulation Billings®   https://woombinternational.org/science-of-fertility/evaluation-of-effectiveness-of-natural-fertility-regulation-programme-in-china/.

[11] Audrey Donnithorne China: In Life’s Foreground, p.212.

[12] Lettre en date du 2 juin 1981.

[13] Sommaire du symposium cf. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12311030/ .

[14] Lettre en date du 7 juin 1981.

[15] Lettre en date du 23 mai 1982 adressée à David Scott Thomson (1924-2013), ministre de la Science et de la Technologie (entre les 3 novembre 1980 et 11 mars 1983) du troisième gouvernement Malcolm Fraser.

[16] Lettres signées (par délégation de pouvoir du ministre de la Science et de la Technologie) par respectivement D.T.McVeigh en date du 21 juin 1982, et par W.J.McG.Tegart en date du 6 août 1982, ce dernier envoyant en pièce jointe une lettre en date du 26 juillet 1982 du ministre de la Santé Joseph Carlton (1935-2015), en poste dans le troisième gouvernement Fraser entre les 7 mai 1982 et 11 mars 1983.

[17] Lettre en date du 8 septembre 1982.

[18] Lettre datant d’octobre 1982.

[19] Appelé à l’heure actuelle Australian Agency for International Development (AusAID) du ministère des Affaires étrangères et du Commerce australien.

[20] Le HKCMAC est une organisation bénévole créée en 1965 par le P. Edward Collins, S.J. (à la demande de Mgr Lawrence Bianchi (1899-1983), évêque de Hongkong de 1951 à 1968) et le médecin pneumologue hongkongais Ramon Chu Ruiz (1924-2020), vice-président de la Fédération internationale d’action familiale (FIDAF ou IFFLP), pionnier de l’enseignement de la PFN à Hongkong. Dr Ramon Chu Ruiz et son épouse Dr Irene Osmond Ruiz ont introduit, grâce au financement des agences catholiques Missio et Misereor, la méthode sympto-thermique à Guangzhou. 

[21] Cf le document de 12 pages en date du 9 novembre 2000 intitulé « Family Apostolate Project in the Diocese of Guangzhou by Missio », correspondant au projet N° M313.041-00/002 en date du 5 juin 2000 « Co-financing of Apostolic Project Natural Family Planning in Guangzhou Diocese » couvrant la période de trois ans entre le premier janvier 2000 et le 31 décembre 2002 et financé par les agences Missio Aachen (sous la responsabilité des P. Hermann Schalück OFM (1939-2024) et P. Heinz Steegmann O.M.I., alors respectivement, président de Missio Aachen et directeur des projets internationaux de Missio Aachen), et Misereor, ainsi que par les Bureaux de la planification familiale de Guangzhou et de Beijing.

[22] Transcript BBC Survey of World Broadcasts en date du 9 novembre 1982.

[23] Transcript BBC Survey of World Broadcasts en date du 15 octobre 1980.

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