Le pape François, apôtre du dialogue avec l’islam
Visite pastorale du Pape en Corée, 2014 © Korea.netRédigé par Père Joseph Sené, le 30/08/2024
Du 3 au 5 septembre, le pape François se rend en Indonésie, pays qui compte le plus grand nombre de musulmans au monde. Le dialogue avec l’islam est au cœur de ses préoccupations.
Le Père Joseph Sené revient sur l’importance de ce voyage.
Entretien avec le père Joseph Sené de la Congrégation des Missionnaires Oblats de Marie Immaculée (OMI), délégué diocésain pour les relations islamo chrétiennes dans le diocèse de Marseille et responsable du Pôle d’Études et de Recherches Islamo Chrétiennes (PERIC) à l’ISTR (Institut des Sciences et Théologie des Religions) de Marseille.
Quelle est la pensée du pape sur le dialogue islamo-chrétien ?
Le Saint-Père a clairement fait du dialogue islamo-chrétien l’une des pierres angulaires de son pontificat, cherchant à construire des ponts entre les communautés et à lutter contre le fanatisme et l’intolérance religieuse. Ses efforts en ce sens s’inscrivent dans la continuité de l’engagement de ses prédécesseurs, tout en apportant sa touche personnelle de simplicité et de proximité avec les gens de toutes confessions.
Résumer la pensée du pape François sur le dialogue islamo-chrétien, n’est pas chose facile. Toutefois, nous tenterons de la synthétiser à travers l’analyse de trois allocutions marquantes qu’il a tenues lors de ses visites en Azerbaïdjan en 2016, en Égypte en 2017, et en Irak en 2021, précisément à Ur des Chaldéens. Ces discours ont mis en lumière et de manière significative, des éléments clés qui, selon nous, contiennent l’essentiel de la vision du pape sur le dialogue interreligieux, et plus spécifiquement avec l’islam.
Un premier aspect important qui découle de son discours, lors de la rencontre interreligieuse avec le cheikh des musulmans du Caucase et avec les représentants des autres communautés religieuses, à Bakou est la « grande tâche » des religions dans la société. Il disait : « Les religions ont une grande tâche : accompagner les hommes en recherche du sens de la vie, en les aidant à comprendre que les capacités limitées de l’être humain et les biens de ce monde ne doivent jamais devenir des absolus ». Autrement dit, le rôle des religions est d’aider les hommes à naviguer dans la complexité de l’existence humaine en leur rappelant l’importance des valeurs non matérielles et de la nécessité d’accepter nos limites humaines. Les religions devraient conduire également l’être humain à une compréhension plus profonde et plus équilibrée de la vie, où la recherche de sens transcende les désirs et les succès matériels.
Un second aspect concerne les actions concrètes visant à promouvoir la fraternité et à construire la paix dans le monde. Lors de son discours au Caire, le Saint-Père soulignait l’importance de lutter contre les conditions de pauvreté et d’exploitation qui fournissent un terreau fertile aux extrémismes, en tant que démarche fondamentale pour prévenir les conflits et bâtir la paix. Ainsi, disait-il que « pour prévenir les conflits et édifier la paix, il est fondamental d’œuvrer pour résorber les situations de pauvreté et d’exploitation, là où les extrémismes s’enracinent plus facilement ». Cela implique non seulement des rencontres et dialogues entre leaders religieux, mais aussi des projets communs qui bénéficient aux communautés à la base, indépendamment de leur appartenance religieuse. Par exemple, des initiatives interreligieuses pour aider les pauvres, les réfugiés et les personnes déplacées montrent comment la foi peut être un vecteur de solidarité et non de division.
Un troisième et dernier aspect, évoqué lors de son discours à l’occasion de la rencontre interreligieuse à Ur des Chaldéens, concerne ce qu’il désigne comme « la vraie religiosité ». Celle-ci se définit par l’adoration de Dieu et l’amour du prochain. La « vraie religiosité » est celle qui ouvre les cœurs et les esprits à l’autre, indépendamment des différences car elle est fondée sur l’Amour. Elle se caractérise par l’amour, la compassion, et le respect mutuel. Le pape évoque souvent l’idée que la foi authentique ne peut être source de violence ou de haine, mais doit au contraire motiver à l’action pour le bien de tous. Ainsi, la « vraie religiosité » facilite le dialogue et la collaboration, devenant une force motrice pour la paix et la justice.
Donc, le pape François visualise le dialogue islamo-chrétien, dont le rôle est crucial, comme un moyen de cultiver la paix, la fraternité, et une religiosité authentique, qui ensemble peuvent contribuer de façon significative à résoudre les problèmes mondiaux. Ces engagements ne sont pas seulement théologiques ou spirituels ; ils exigent aussi des actions concrètes qui manifestent ces valeurs dans le monde.
Où en est le dialogue islamo-chrétien ? Notamment en Asie ?
Le dialogue islamo-chrétien, même s’il est un processus complexe qui se développe à différents rythmes et de différentes manières selon les régions et les pays, est devenu un élément crucial de la dynamique sociale, politique et religieuse, surtout dans des sociétés où ces deux grandes religions coexistent. En Asie, où les deux religions sont présentes et cherchent à coexister pacifiquement, il peut exister une variété d’approches et de projets en matière de dialogue qui influent significativement sur l’état et la progression de ce dialogue.
Dans certains pays musulmans d’Asie, le dialogue islamo-chrétien est plutôt limité, souvent en raison de politiques gouvernementales restrictives ou de tensions socio-politiques entre les communautés. Par exemple, en Afghanistan, où l’insécurité est très présente, les rencontres interreligieuses, à notre connaissance, n’existent pas.
Cependant, dans des pays comme l’Indonésie, la Malaisie où l’islam est la religion majoritaire mais où existe une diversité religieuse notable, le dialogue est encouragé mais fait face à des défis. Ces défis incluent la montée de l’extrémisme religieux et les tensions interconfessionnelles. Néanmoins, des associations ou des groupes interreligieux ainsi que des organisations non gouvernementales, continuent de proposer des initiatives au niveau local et national, afin de promouvoir le dialogue, le respect mutuel, la compréhension et la coopération, en organisant des projets communautaires.
Au Moyen-Orient, les relations islamo-chrétiennes sont complexifiées par les conflits politiques et sectaires, bien que la région abrite des sites sacrés du christianisme et de l’islam. Cependant, il existe des exemples de coexistence et de dialogue, comme en Jordanie et au Liban, où des initiatives interreligieuses visent à promouvoir la paix et la compréhension mutuelle.
En Asie du Sud, par exemple au Pakistan et en Inde, le dialogue islamo-chrétien est également influencé par les tensions interconfessionnelles et les incidents de violence. Les initiatives de dialogue sont souvent axées sur la réduction de ces tensions et la promotion de la tolérance.
Les défis majeurs au dialogue islamo-chrétien en Asie et ailleurs incluent les différences doctrinales, les tensions politiques, la discrimination et le sectarisme. Cependant, certaines communautés ont réussi à transcender les différences religieuses pour trouver un terrain d’entente, souvent autour de questions sociales, éducatives et d’actions caritatives.
Il est important de noter que les conditions et les efforts concernant le dialogue islamo-chrétien évoluent constamment, et notre analyse ici peut ne pas capturer tous les développements qui s’y trouvent. La situation est dynamique et peut varier grandement d’une région à l’autre dans le vaste et divers continent asiatique.
Que va-t-il dire sur le sujet lors de son voyage, notamment en Indonésie (le plus grand pays musulman du monde) ?
Il est difficile de prédire le contenu exact du discours du pape François avant qu’il ne l’ait prononcé. Mais en tant que fervent défenseur du dialogue interreligieux, il est probable qu’il commencera par encourager les initiatives antérieures et les efforts précédemment accomplis par les deux communautés religieuses pour renforcer la compréhension mutuelle et favoriser la paix et la coexistence pacifique entre elles.
En outre, le pape François pourrait aborder les enjeux liés à la coexistence pacifique des communautés musulmanes et chrétiennes, en mettant en avant l’importance de la découverte, de la connaissance, de la reconnaissance et de la compréhension mutuelles. Il pourrait aussi aborder les thèmes connexes, tels que le respect des droits des minorités religieuses et de chaque communauté dans un esprit de fraternité pour promouvoir la paix.
Il pourrait encourager également un effort conjoint islamo-chrétien pour lutter contre la pauvreté et l’injustice sociale.
L’Indonésie étant un pays avec une richesse environnementale significative mais aussi confrontée à de graves défis environnementaux, le pape pourrait appeler à une collaboration interreligieuse pour la sauvegarde de la création.
Qu’est-ce que les chrétiens et les musulmans attendent du voyage du pape ?
Les attentes des chrétiens et des musulmans concernant le prochain voyage du pape en Indonésie peuvent varier en fonction des contextes.
Les chrétiens en Indonésie, constituant une minorité, peuvent espérer que la visite du pape puisse les réconforter dans leur foi et leur donner un sentiment d’appartenance plus profond à la communauté catholique. La présence du pape pourrait être vue comme un soutien moral et spirituel face aux défis, notamment ceux liés à la liberté religieuse.
Le pape François, en particulier, a souvent mis l’accent sur l’importance de l’engagement social et de l’aide aux plus démunis. Sa visite pourrait encourager les initiatives caritatives et sociales parmi la communauté chrétienne.
Pour les musulmans, le pape pourrait être perçu comme un partenaire dans la promotion de la paix et de la tolérance dans une région qui a connu des tensions et des conflits interreligieux.
Compte tenu de l’accent mis par le pape François sur les questions d’environnement et de justice sociale, les musulmans, tout comme les autres communautés, pourraient espérer que sa visite mette en lumière ces préoccupations partagées et encourage une action commune. La visite attirera sans doute une attention internationale sur l’Indonésie, non seulement en termes de sa diversité religieuse et culturelle mais aussi concernant ses défis socio-économiques et environnementaux.
Est-ce que le voyage du pape peut avoir un impact sur les relations islamo-chrétiennes ? Va-t-il les renforcer ?
Certainement, l’objectif de tout voyage du pape est d’avoir un impact positif sur les relations entre les personnes en général et d’une manière particulière, sur les relations interreligieuses. Il ne s’agit pas d’abord de chrétiens et musulmans mais des humains qui ont besoin de vivre dans une dynamique de cohésion en tant que frères et sœurs partageant la même humanité, comme l’indique le document sur la fraternité humaine. Notre souhait, est que cette visite contribue, d’une manière positive, au rapprochement et à une meilleure compréhension entre les communautés islamo-chrétiennes et au renforcement des liens qui existent entre les personnes. Cependant, il est important de noter que des résultats positifs ne sont pas garantis. La réussite d’une telle visite dépend de la sincérité, des actions suivies, et de la réception par les diverses communautés concernées. Il existe des défis, notamment le risque que les gestes symboliques soient entachés de politique ou perçus comme insuffisants par les critiques.
Quel avenir pour le dialogue islamo-chrétien ?
Un avenir d’espérance qui se construit en Dieu, parce qu’en Dieu nous avons l’origine de toute relation puisqu’il est relation en soi. Un avenir d’espérance qui se construit également par la volonté des individus et des institutions à s’engager dans la voie du dialogue.
Propos recueillis par Ad Extra