Léon XIV, la Chine et l’attention aux communautés opprimées à cause de leur foi

Le 22/09/2025
Ce dimanche 21 septembre, le P. Gianni Criveller, sinologue, de l’Institut pontifical des Missions étrangères, a publié un commentaire sur les dernières paroles du pape Léon XIV à propos de la Chine, dévoilées ces derniers jours dans le nouveau livre-entretien « Léon XIV, citoyen du monde, missionnaire du XXIe siècle » : « Il garantit la continuité des choix précédents, conscient qu’il y a du temps d’ici la prochaine échéance de l’accord en 2028. Mais il dit aussi qu’il écoute les communautés ‘souterraines’ qui (à tort ou à raison) se sont senties sacrifiées. Pour que la version du gouvernement ne soit pas la seule dans cette affaire ecclésiastique complexe et douloureuse. »
L’entretien de Léon XIV avec la journaliste américaine Elise Ann Allen a été publié ce jeudi 18 septembre dans le nouveau livre « Léon XIV, citoyen du monde, missionnaire du XXIe siècle ». Pour le père Gianni Criveller, sinologue, prêtre de l’institut missionnaire Pime et directeur éditorial de l’agence Asianews, cette interview est importante parce qu’elle nous permet de plonger dans la pensée et le programme d’un pape qui est encore peu connu. Parmi les nombreux sujets abordés dans cet entretien, le missionnaire italien s’est concentré sur la question concernant la Chine.
Pour le missionnaire, le fait même que cette question soit incluse parmi les premières questions posées au Saint-Père confirme l’importance énorme de cette nation pour le Saint-Siège, pour la vie de l’Église et pour le monde. « C’est la première déclaration du pape sur cette question difficile », rappelle-t-il, en ajoutant que ses réponses « dépassent les réponses habituelles et méritent donc un commentaire » de la part de quelqu’un qui suit les événements de l’Église en Asie, et en Chine en particulier, depuis des décennies.
Elise Ann Allen demande d’abord au pape s’il sait déjà ce que sera son approche à l’égard de la Chine. La réponse est clairement « non ». Le fait que le pape n’ait pas encore établi sa politique à l’égard de la Chine me semble être un signal important.
Toutefois, ceci est suivi par une phrase qui semble modérer la portée de ce qui vient d’être dit : en attendant, Léon poursuit sur la voie tracée par ses prédécesseurs. Une ligne que l’intervieweuse a qualifiée d’« Ostpolitik » (ndr : ce terme allemand signifiant « politique envers l’Est » a longtemps symbolisé l’approche réaliste du Saint-Siège à l’égard du bloc de l’Est). Je pense que le fait de définir la politique des papes envers la Chine par le terme « Ostpolitik » est un choix de mots plutôt hâtif.
S’il est vrai que depuis Paul VI, tous les papes ont activement recherché le dialogue avec les autorités de la République populaire de Chine, il est également vrai que le mot « Ostpolitik » n’est pas celui qui représente au mieux la pensée de Jean-Paul II (qui ne l’approuvait pas) et de Benoît XVI (qui s’est retiré de la signature d’un accord avec la Chine qui semblait avoir été conclu).
Quoi qu’il en soit, Léon XIV affirme ne pas se considérer plus sage que ses prédécesseurs et que, pour l’instant, il suivra la même ligne. L’Ostpolitik, selon Léon XIV, c’est du réalisme : « Ce que nous pouvons faire maintenant, en regardant vers l’avenir. »
Il est intéressant de lire ce que le pape ajoute ensuite : « Je suis aussi en dialogue constant avec plusieurs Chinois des deux côtés sur certaines des questions en jeu. »
Le pape fait clairement référence aux communautés dites souterraines
Léon XIV est donc à l’écoute de différentes personnes qui pensent différemment, afin de « mieux comprendre comment l’Église peut continuer sa mission, en respectant à la fois la culture et les enjeux politiques qui sont bien évidemment d’une grande importance, mais aussi en respectant un groupe significatif de catholiques chinois qui, depuis de nombreuses années, connaissent une forme d’oppression ou de difficulté à vivre leur foi librement, et sans prendre parti ».
La référence aux catholiques des communautés dites souterraines est claire. Près de vingt évêques en Chine (sur un total d’environ une centaine) ne sont pas reconnus par les autorités gouvernementales.
De nombreux prêtres refusent de signer des déclarations de soutien à la politique religieuse des autorités, qui stipulent noir sur blanc que l’Église en Chine est indépendante (pas autonome, indépendante !).
La sinisation du catholicisme, comme tant d’autres réalités religieuses et culturelles, s’impose par des discours et des mesures de plus en plus invasives. De nombreuses communautés catholiques se rencontrent dans des lieux privés pour échapper au contrôle des autorités gouvernementales.
Il faut aussi reconnaître que même les communautés ouvertes, dirigées par des évêques reconnus par le gouvernement, sont contrôlées dans la pratique de leur foi et souffrent des limites imposées à leur identité catholique.
Il est important d’entendre le pape lui-même dire qu’il connaît bien la situation en Chine. Léon XIV souligne qu’il tiendra compte des « expériences que j’ai acquises par le passé auprès du peuple chinois, tant auprès du gouvernement qu’avec les responsables religieux et laïcs ». Il évoque ici des expériences précédentes, sur lesquelles nous savons peu de chose, dont des voyages en Chine en tant que prieur général des Augustins.
« Le pape n’annonce pas de tournant, mais il montre qu’il est prêt à écouter »
S’il poursuivra la voie qu’il a tracée à court terme, le pape se réserve le droit, à long terme, de « ne pas dire ce qu’il fera ou ne fera pas ». Il affirme également qu’il a « déjà entamé des discussions à différents niveaux sur ce sujet ». En bref, la situation en Chine est « très difficile ».
Que dire ? Le pape Léon XIV est assurément prudent : il garantit la continuité des choix antérieurs qui ont conduit en 2018 à l’accord pastoral entre le Saint-Siège et les autorités de Pékin sur la nomination des évêques.
Cet accord, qui a été renouvelé à plusieurs reprises, expire en 2028. Il reste donc du temps. En attendant, Léon XIV poursuivra un dialogue qui n’exclut personne, en particulier ce groupe important de catholiques qui, depuis des années, subissent l’oppression ou des difficultés à vivre leur foi. Et qui ces dernières années – à tort ou à raison – ne se sont pas sentis écoutés.
Les propos de Léon XIV ne sont donc ni faciles ni évidents. Bien sûr, ils n’annoncent pas de tournant : les accords conclus doivent être respectés. Mais le pape montre qu’il est prêt à écouter davantage de parties et qu’il n’a aucun préjugé.
« Le pape sait que la situation des catholiques en Chine n’est pas uniforme »
Je pense que c’est un signe important. Le pape sait que la situation des catholiques en Chine n’est pas normalisée ni uniforme. Le 10 septembre a eu lieu l’ordination de l’évêque officiel du nouveau diocèse de Zhangjiakou (au Hebei), Mgr Joseph Wang Zhengui.
L’unification d’anciens diocèses autrefois dirigés par des évêques non officiels, en diocèses plus vastes avec un évêque officiel, est une forme imposée par la politique religieuse afin de promouvoir le contrôle de l’État sur l’Église. Les anciens diocèses de Xiwanzi et Xuanhua, auparavant dirigés par les évêques souterrains Mgr Joseph Ma Yanen et Mgr Augustin Cui Tai, ont été supprimés.
Les deux évêques ont finalement été reconnus par le gouvernement : le premier est devenu évêque auxiliaire du nouveau diocèse, tandis que le dernier a pris sa retraite et son sort est mal connu. Tous deux ont été présentés comme très peu susceptibles d’adhérer à la politique religieuse du gouvernement. Des sources ont qualifié une telle information comme invraisemblable, en particulier concernant Mgr Augustin Cui Tai.
Les communautés catholiques qui les admiraient ont été prises par surprise et se sont senties attristées. Les deux évêques, qui étaient déjà clandestins, ont obéi à la volonté du Saint-Siège, mais l’histoire de leur fidélité, ainsi que celle de leurs communautés, émerge avec reconnaissance, voire avec humiliation.
Le pape Léon semble conscient que l’avenir de la communauté catholique chinoise ne doit pas être celui de la normalisation vue par les autorités gouvernementales. Ce récit n’est pas le seul qui existe sur cette affaire ecclésiastique complexe et douloureuse.
(Avec Asianews/Gianni Criveller)