Mgr Nang : « Nous espérons que ce sera le premier pas vers des relations diplomatiques plus élevées »
Mgr Joseph Nguyen Nang, le 11 décembre 2019 devant la cathédrale Notre-Dame de Hô-Chin-Minh-Ville (Saïgon). © Ucanews ; tgpsaigon.netLe 28/10/2023
[Interview exclusive] Mgr Joseph Nguyen Nang, président de la Conférence épiscopale vietnamienne et archevêque de Saïgon, se confie pour Églises d’Asie sur l’évolution positive des relations entre le Saint-Siège et le Vietnam qui ont fait « un pas en avant ». L’archevêque souhaite que l’Église au Vietnam « témoigne véritablement de l’Évangile de l’amour au milieu du peuple ». Selon lui, « c’est grâce au témoignage du Peuple de Dieu que les relations entre le Vietnam et le Saint-Siège ont obtenu de bons résultats ».
Quelles ont été les réactions des catholiques vietnamiens après la lettre envoyée par le pape en septembre sur l’accord sur le statut du représentant pontifical résident ?
De manière générale, tous les catholiques vietnamiens sont heureux de recevoir une lettre du pape François. Le pape Benoît XVI avait aussi envoyé un message à l’Église vietnamienne à l’occasion de la visite ad limina des évêques vietnamiens en 2009, et aujourd’hui, quatorze ans après, le Saint-Père adresse à nouveau une lettre à la communauté vietnamienne du Peuple de Dieu.
À travers cette lettre, l’Église vietnamienne reçoit les louanges et les encouragements du Saint-Père afin qu’elle témoigne véritablement de l’Évangile de l’amour au milieu du peuple vietnamien. C’est grâce au témoignage du Peuple de Dieu que les relations entre le Vietnam et le Saint-Siège ont obtenu de bons résultats.
Quels changements l’accord va-t-il apporter dans les relations de votre pays avec le Vatican ?
L’accord sur le Représentant permanent du Saint-Siège prouve que les relations entre le Vietnam et le Saint-Siège ont fait un pas en avant et, comme l’a dit le pape, continueront de progresser. Nous espérons en effet que ce sera le premier pas vers des relations diplomatiques plus élevées, au niveau des nonces apostoliques.
Si nous entretenons ces relations diplomatiques à un niveau élevé et stable conformément aux réglementations internationales, les activités de l’Église catholique au Vietnam seront élargies afin de servir la population de manière plus diversifiée et multiforme dans le pays.
Le pape souligne la participation des chrétiens au développement de la société vietnamienne. Ces engagements sont-ils reconnus et appréciés ?
En effet, les catholiques vietnamiens sont très actifs et enthousiastes dans leur participation aux activités sociales visant à développer le pays. Cependant, jusqu’à présent, les organisations ecclésiales, en tant que personnalités juridiques, n’ont pas été autorisées à ouvrir des écoles et des hôpitaux, mais elles ont seulement été autorisées à ouvrir des écoles maternelles et des infirmeries. Les jardins d’enfants des religieuses ont beaucoup contribué à faire face à la pénurie de personnel scolaire, et ils ont été très appréciés en raison de leur organisation et de leur approche pédagogique. De nombreuses cliniques caritatives dans les paroisses et les ordres religieux ont également aidé les pauvres en offrant des soins de santé élémentaires.
Ce qui ressort de tout cela, c’est que la plupart des paroisses et des ordres religieux mènent de nombreuses activités caritatives pour aider les pauvres, notamment lors de catastrophes naturelles ou d’épidémies. Le gouvernement et toute la population ont reconnu et salué les grandes contributions des organisations ecclésiales, en particulier durant la pandémie de Covid-19, comme la distribution régulière de nourriture aux pauvres, notamment à plus de 1 000 personnes. Des prêtres et des moines se sont portés volontaires dans les hôpitaux pour servir les malades du Covid -19.
Quelles ont été vos priorités pastorales en arrivant dans l’archidiocèse de Hô-Chi-Minh-Ville ?
Il s’agit d’un grand archidiocèse situé dans une ville développée, avec une population de 10 millions d’habitants et environ 3 millions d’immigrés, avec environ 700 000 fidèles dont 300 000 immigrés. L’une des grandes préoccupations pastorales est la nécessité d’aider les croyants, en particulier les jeunes, à se développer sur les plans économiques, scientifiques et technologiques, tout en vivant une foi inébranlable.
La mentalité de sécularisation et d’indifférence à l’égard de la vie religieuse a commencé à influencer certains croyants. De nombreuses familles traversent une crise conjugale, et de nouveaux modes de vie occidentaux ont été introduits au Vietnam avec l’influence des réseaux sociaux. Ce sont de grands défis pour les pasteurs et les familles. Mais il y a aussi une bonne chose avec le fait que de nombreux jeunes participent aux activités pastorales dans les paroisses, avec beaucoup d’initiatives et d’enthousiasme.
Par ailleurs, outre les personnes aisées, dans une ville développée, les pauvres et les marginalisés ne manquent pas non plus. Certains travailleurs vivent dans des maisons exiguës et dépourvues d’installations minimales, et de nombreux enfants vont à l’école sans pouvoir manger suffisamment. De nombreux frères et sœurs migrent de la campagne vers la ville pour trouver du travail, avec des emplois et des conditions de vie instables, ce qui rend la pastorale à leur égard confrontée à des difficultés. Les paroisses, les communautés religieuses et les associations de l’action catholique ont mené de nombreuses activités caritatives, et il est nécessaire de les mobiliser afin de continuer de prendre soin de ces frères et sœurs de manière plus concrète.
Vous allez bientôt célébrer le 500e anniversaire de la propagation de l’Evangile dans le pays. Vous avez d’ailleurs inauguré un centre dédié à Notre-Dame de La Vang et aux premiers missionnaires à Fatima, au Portugal…
Selon certains documents historiques, en 1533, les graines de la foi ont été semées sur la terre du Vietnam grâce au missionnaire portugais nommé « I-Ni-Khu », qui est venu à Nim Cuong et Tra Lu, dans la province de Nam Dinh, afin de prêcher et enseigner la religion.
Ainsi, en 2033, l’Église vietnamienne fêtera 500 ans de réception de l’Évangile. En outre, ceux à qui on attribue la création de la langue vietnamienne sont des prêtres missionnaires portugais, François de Pina, Gaspar do Amaral et Antonio Barbosa, ainsi que le père Alexandre de Rhodes, un français qui a contribué à la rédaction du dictionnaire « Dictionarium Annamiticum Lusitanum et Latinum » qui a été publié à Rome en 1651.
Pour commémorer ces événements importants, le père Stéphane Bui Thuong Luu, qui a servi en France et en Allemagne et qui est maintenant à la retraite, a créé un centre consacré à Notre-Dame sous les titres de La Vang et de Fatima, à côté du sanctuaire de Fatima. Le père Luu m’a invité, en tant que président de la Conférence épiscopale du Vietnam, à bénir le centre le 14 octobre dernier, en signe des relations entre l’Église vietnamienne et l’Église portugaise.
Vous êtes dans un des diocèses les plus grands du Vietnam et vous avez beaucoup de vocations. Quelles sont les principales richesses et difficultés de l’Église locale que vous voulez partager ?
Dieu merci, l’Église vietnamienne compte de nombreuses vocations. Selon les statistiques, fin 2022, il y avait 2 700 séminaristes et 1 906 propédeutes dans les diocèses vietnamiens ; 2 880 religieux et 5 203 religieuses dans les congrégations pontificales ; et 1 477 religieux et 19 248 religieuses dans les congrégations diocésaines. Les monastères des Carmélites et des Bénédictines comptent encore de nombreuses jeunes religieuses. De nombreux ordres religieux étrangers sont également venus au Vietnam pour trouver des vocations.
C’est véritablement un don de Dieu à l’Église vietnamienne, grâce aux prières des martyrs vietnamiens et à la piété des familles et des paroisses. C’est un environnement favorable pour semer les graines de vocations futures.
On peut noter que les vocations proviennent souvent de milieux ruraux ou semi-urbains. À l’avenir, à mesure que la société se développera, les gens deviendront plus riches et auront moins d’enfants, et le nombre de vocations diminuera également.
Cependant, il y a aussi la question de la formation des séminaristes et des consacrés qui est très importante. Il faut beaucoup de temps pour les aider à se purifier, à avoir une motivation pure et sincère, à mûrir dans la vie religieuse, à se transformer en véritables disciples de Dieu. La tendance à vouloir être prêtre ou moine en ayant une vie stable, et une certaine manière d’être respecté dans la société, a parfois été une grande tentation pour certaines personnes. De plus, la mentalité de vouloir s’installer dans un milieu de vie doté de nombreux moyens stables constitue un obstacle majeur à l’enthousiasme à s’engager dans le travail missionnaire dans des endroits reculés et pauvres.
(Propos recueillis par Églises d’Asie)