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Père Jean L’Hour : « Le Collège Général a été un terrain fertile pour l’implantation de l’Église dans toute l’Asie du Sud-Est »

Le père Jean L’Hour, Mep, le 29 septembre au Collège Général de Penang, Malaisie. Le père Jean L’Hour, Mep, le 29 septembre au Collège Général de Penang, Malaisie.
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À Penang, ce lundi 29 septembre 2025, le père Jean L’Hour, MEP, est intervenu dans la matinée du premier jour des célébrations du 360e anniversaire du Collège Général de Penang, séminaire fondé en 1665 à Ayutthaya (Siam) par les MEP. Le prêtre a rendu grâce durant son intervention, pour ce retour en ce lieu où il a passé les premières années de sa vie missionnaire, en s’adressant aux évêques, cardinaux, prêtres, laïcs, anciens élèves et invités présents, dont le cardinal Francis de Penang et le cardinal Goh de Singapour.

Il y a soixante-cinq ans et deux mois, je posais le pied pour la première fois sur cette île de Penang. Et me voici de retour grâce à votre aimable invitation, cher cardinal Sebastian. Je ne saurais vous remercier assez pour ce cadeau que vous m’offrez dans ma vieillesse. La première chose que je voudrais partager avec vous tous, c’est la joie profonde que je ressens d’être de nouveau ici, en quelque sorte chez moi, dans ce lieu où j’ai passé les premières années de ma vie missionnaire.

Je ne retracerai pas la longue et sinueuse histoire du Collège Général, depuis sa naissance à Ayutthaya jusqu’à son arrivée définitive sur cette île en 1809, après avoir erré à travers le Cambodge et l’Inde. Elle a déjà été racontée et un livre a même été écrit sur ces 360 années de sa longue vie. Alors que nous sommes réunis ici pour célébrer l’histoire grandiose et mouvementée de notre cher Collège, je me sens à la fois incompétent et honoré de m’adresser à vous au début de cette célébration.

2 000 étudiants, 1 000 prêtres, 20 évêques, 3 cardinaux et 47 martyrs

Entre la célébration du troisième centenaire du Collège en janvier 1966 dans l’enceinte de Pulau Tikus et la célébration d’aujourd’hui, soixante ans se sont écoulés et tant de changements ont eu lieu. L’ancien Collège Général est devenu, en 1968, un séminaire régional sous l’autorité de la Conférence épiscopale avant de se disséminer en plusieurs séminaires diocésains en Malaisie orientale et occidentale, à Singapour, en Thaïlande et au Laos. Le père Achillus Chong est devenu le premier recteur malaisien du Collège en 1970 et, en l’espace de trois ans, l’équipe des directeurs français MEP a été entièrement remplacée par des professeurs asiatiques.

Un nouveau monument érigé en l'honneur des 47 martyrs du Collège Général de Penang, à l'occasion des 360 ans-2
Un nouveau monument érigé en l’honneur des 47 martyrs du Collège Général de Penang, à l’occasion des 360 ans.

J’ai eu la chance de vivre cette période passionnante de transition entre, pour ainsi dire, l’« Ancien Testament » et le « Nouveau Testament », entre l’ancien Collège Général des MEP et le nouveau Collège régional de Malaisie et de Singapour. Je ne prétendrai pas parler au nom de tous ceux qui, pendant trois siècles et demi, ont fait de ce Collège une réalisation unique dans l’histoire des Églises d’Asie du Sud-Est.

Ayant été pendant quelques années un petit acteur dans l’histoire du Collège, je tiens seulement à exprimer toute ma gratitude et mon admiration à tous ceux, directeurs et étudiants, qui ont donné leur temps, leur santé et, pour beaucoup d’entre eux, leur vie, pour faire de ce Collège un vivier de communautés chrétiennes dans ces régions du monde. Avec plus de deux mille étudiants, un millier de prêtres ordonnés, une vingtaine d’évêques et trois cardinaux, le Collège s’est en effet révélé être un terrain fertile pour l’implantation de l’Église dans toute l’Asie du Sud-Est.

Cela ne s’est pas fait sans douleur et sans effusion de sang, puisque quelque 47 anciens étudiants et deux directeurs ont donné leur vie pour témoigner de Notre Seigneur Jésus-Christ. En ce lieu, nous nous souvenons et rendons hommage aux « saints » Philippe Minh et ses compagnons, ainsi qu’aux « saints » Imbert et Chastan.

Souvenirs personnels du Collège Général

Permettez-moi maintenant de partager avec vous quelques souvenirs personnels de ma vie au Collège. Le premier remonte au tout premier jour où je suis entré au Collège Pulau Tikus, au début du mois de juillet 1961. À peine avais-je déposé mes affaires dans ma chambre spacieuse donnant sur Gurney Drive, avec vue sur le canal et le continent au-delà, que j’ai été invité à rencontrer toute la communauté dans la salle alors appelée « aula ».

En entrant dans la grande aula, je me suis retrouvé face à une assemblée imposante de plus d’une centaine d’étudiants venus de plusieurs pays : Birmanie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Laos, Sarawak, Sabah, Brunei. Je me trouvais face à un vaste monde représentant une immense diversité d’origines, de cultures, de traditions et d’histoires… Un vaste monde réuni dans une petite communauté ! Le chef des étudiants – alors appelé le caput – s’est levé et a prononcé un discours de bienvenue en latin, qui était alors la lingua franca du collège.

Alors que je faisais de mon mieux pour répondre également en latin, je ne pouvais m’empêcher d’être intrigué par le contraste entre l’extraordinaire diversité des cultures et des langues présentes dans l’aula et la langue latine, fondamentalement étrangère à nous tous, mais aussi commune à nous tous. Dès ce tout premier jour, dès les premières heures de mon séjour dans ce qui allait être mon lieu de travail pour les années à venir, j’étais déstabilisé.

Je me trouvais face à une multitude de cultures avec pour seul outil étranger : le latin ! Mais latin ou pas, j’étais alors simplement heureux et émerveillé à la vue d’un monde si riche et si nouveau pour moi. Pour l’instant, je n’étais rempli que de gratitude en me rappelant les paroles de Jésus : « J’étais un étranger, vous m’avez accueilli chez vous. » Oui, en effet, dès le premier jour, je me suis senti accueilli chez vous.

J’étais venu jusqu’ici pour enseigner et, dès le premier jour, j’ai découvert que c’était moi qui recevais un enseignement. En découvrant un monde nouveau pour moi, j’ai compris que c’était ici ma nouvelle maison. Ce n’était pas un monde que je devais intégrer au mien, mais un monde avec lequel je devais engager un dialogue, un monde que je devais donc d’abord découvrir et aimer.

Le père L'Hour avecc le père Etienne Frécon, vicaire général MEP, et le père Vincent Sénéchal, supérieur général
Le père L’Hour avec le père Etienne Frécon, vicaire général MEP, et le père Vincent Sénéchal, supérieur général.

« J’étais venu pour enseigner, j’ai compris que je devais d’abord apprendre »

Ce monde qui m’était nouveau était en effet le monde de Dieu où l’Esprit de Jésus-Christ était déjà à l’œuvre, et j’étais invité à rencontrer et à saluer les richesses spirituelles et humaines qu’il avait à offrir. La Bible, que j’avais le privilège d’enseigner et de partager avec les étudiants, m’aiderait sans aucun doute dans ce voyage ad extra, comme on dit, et dans les découvertes que j’allais faire.

La Bible, dans son tout premier livre, celui de la Genèse, m’avait appelé à quitter mon pays et ma famille pour une terre que je ne connaissais pas. Elle m’avait également appris que le monde de Dieu est composé d’une multitude de peuples, chacun avec sa propre langue, famille par famille, avec leurs pays et leurs nations. C’est ce que disait le Livre. Le message était clair : j’étais invité à partir en voyage à la découverte de peuples et de cultures que je ne connaissais pas et, à travers eux, à explorer le vaste monde de Dieu.

Me voilà, venant d’un pays étranger, face à ce Collège Général, une communauté polyphonique où se rassemblaient tant de voix d’Asie. Cette première rencontre avec l’Asie était pour le moins impressionnante, intimidante, presque écrasante pour le jeune homme inexpérimenté que j’étais. Le défi était immense et passionnant : comment allais-je rencontrer et découvrir ces cultures très anciennes et profondes ? Que devais-je faire ?

La Bible, l’Évangile, serait notre terrain d’entente pour le dialogue et je me suis souvenu des paroles d’un grand théologien jésuite parlant de la mission de l’Église : « Pour l’Église, être ‘missionnaire’, c’est dire aux autres générations, aux différentes cultures, aux nouvelles ambitions humaines : ‘Tu me manques’, non pas comme le propriétaire parle du champ du voisin, mais comme l’amoureux… Elle répond en se tournant vers d’autres régions culturelles, d’autres histoires, d’autres peuples. » J’étais venu pour enseigner. Ce premier jour, j’ai compris que je devais d’abord apprendre.

Le deuxième souvenir qui me vient à l’esprit est celui de mon dernier jour au Collège, début juillet 1973. C’était un jour où je ressentais des sentiments mitigés. Je quittais le collège, je quittais Penang, la Malaisie et l’Asie. Lorsque mon avion a décollé de l’aéroport de Penang et que la magnifique île, connue comme « la perle de l’Asie », a lentement disparu de ma vue, j’ai compris que c’était la fin d’une longue histoire, mais aussi un tournant dans ma jeune vie de missionnaire.

« Je veux ouvrir grand les portes de l’Église »

Cher Achillus Chong, plusieurs directeurs et étudiants étaient venus à l’aéroport pour me dire au revoir. Allais-je revoir tous ces pères et ces étudiants qui étaient devenus mes amis et m’avaient donné tant d’amour et de confiance, qui m’avaient ouvert les yeux sur le vaste monde de Dieu ? La séparation était difficile à supporter et je ne pouvais retenir mes larmes. Mais comme j’étais le dernier directeur MEP à quitter le Collège, j’éprouvais en même temps une grande joie et une grande fierté dans mon cœur en voyant le vieux et cher Collège trouver enfin sa place entre les mains des Églises de Malaisie, de Singapour, de Thaïlande et d’autres pays asiatiques, sous la direction de leurs évêques. D’une certaine manière, c’était l’aboutissement d’une longue histoire commencée près de quatre siècles plus tôt.

Du 29 septembre au 1er octobre, les anciens élèves du séminaire et l'Église d'Asie du Sud-Est célèbrent 400 ans de vie chrétienne.
Du 29 septembre au 1er octobre, les anciens élèves du séminaire et l’Église d’Asie du Sud-Est célèbrent 400 ans de vie chrétienne.

Permettez-moi de rappeler un autre souvenir marquant que je garde encore aujourd’hui, celui des grands changements qui ont eu lieu au Collège à la suite du Concile Vatican II. Lorsque le pape Jean XXIII a ouvert la première session du concile le 11 octobre 1962, il a déclaré : « Je veux ouvrir grand les portes de l’Église, afin que nous puissions voir ce qui se passe à l’extérieur, et que le monde puisse voir ce qui se passe à l’intérieur de l’Église. »

Ce fut en effet un moment de grande joie et d’espoir pour tous les chrétiens du monde entier. Mais c’était aussi une période de nouveaux défis, de questionnements troublants et d’incertitudes. Tout à coup, nos Églises asiatiques, ainsi que l’Église mondiale, étaient confrontées à un nouvel avenir. C’était également une période de grande effervescence dans notre paisible Collège Général.

Comme tous les séminaires à travers le monde, le Collège a été invité par Rome à s’aligner sur les nouvelles lignes promues par les Pères du Concile. Cela s’appelait l’aggiornamento. L’ensemble du Collège, étudiants et directeurs, a passé des semaines et des mois, parfois tard dans la nuit, à concevoir les nouvelles lignes directrices de la formation du Collège en matière d’études, de formation humaine, de pastorale, de vie spirituelle et de liturgie.

Pendant plusieurs mois, le Collège est devenu une ruche bourdonnante sous la direction encourageante, sobre et parfois anxieuse du cher Père Lobez. Tout ce travail a ensuite été soumis aux évêques de la région. À ce stade, permettez-moi de mentionner trois grands amis qui ont également été très actifs dans cet aggiornamento : les Pères Arro et Blais, tous deux aujourd’hui à la retraite, et le cher Félix-Faure, aujourd’hui disparu.

Aggiornamento

En peu de temps, certains changements ont eu lieu dans la vie du Collège. Cela a commencé au cœur de notre vie spirituelle, c’est-à-dire la célébration de la Sainte Eucharistie. La chapelle a été réaménagée afin que notre Eucharistie quotidienne soit plus conforme au dernier repas de Jésus. Du jour au lendemain, l’anglais a remplacé le latin comme langue officielle du Collège.

Un autre changement, mineur mais significatif à l’époque, a eu lieu : le caput des étudiants n’était plus nommé par le recteur mais élu par les étudiants. Pour la première fois, les séminaristes avaient leur mot à dire sur l’avenir de leur formation. L’ouverture du Collège au monde extérieur par le biais de la formation pastorale est naturellement devenue une préoccupation majeure dans le programme de formation. Tous ces changements n’étaient que le début d’une longue histoire qui, je le sais, ne s’arrêtera jamais.

De cette période d’aggiornamento, je me souviens d’un événement qui a eu un grand impact sur moi et mes collègues pendant le Concile Vatican II. De retour de la première session du Concile, Mgr Vendargon, notre archevêque de Kuala Lumpur, est venu rencontrer le personnel du Collège afin de nous informer des délibérations en cours à Rome. Ceux qui ont eu la chance de connaître Mgr Vendargon – ils sont encore quelques-uns parmi nous ! – avaient une profonde vénération pour ce grand homme et évêque, pour sa gentillesse, sa sagesse et son célèbre sens de l’humour. Je me souviens encore de ses paroles : « De célèbres théologiens occidentaux nous ont dit que de grands changements devaient être apportés dans l’Église. Ils ont ensuite ajouté : voici comment nous allons procéder… »

Le père L'Hour avec le cardinal Francis, 29 septembre 2025 à Penang, Malaisie.
Le père L’Hour avec le cardinal Francis, 29 septembre 2025 à Penang, Malaisie.

Nous avons reçu ces paroles non pas comme une réprimande pour ce qui avait été fait, mais comme un signal clair de ce qui devait désormais être fait. Ce jour-là, nous avons tous compris que le moment était venu d’opérer un changement majeur, à savoir le transfert de la formation des prêtres à de nouvelles mains et à de nouveaux esprits… Pour la Société des MEP et les Églises locales, ce fut un pas décisif en avant et je serai éternellement reconnaissant à mes supérieurs et aux évêques locaux de m’avoir permis de vivre ce moment unique dans l’histoire du Collège.

« Pietas, Labor et Amor »

Malgré tous ces changements dans la vie du Collège et dans la formation, les bases sont bien sûr restées les mêmes, même si elles ont peut-être pris une nouvelle couleur, car la société dans son ensemble et la place du prêtre en son sein changent profondément et rapidement. Pietas, Labor et Amor resteront toujours les fondements de la formation et de la vie sacerdotales.

Pietas, c’est partager la vie et la mission de Jésus à travers une conversation et une communion personnelles constantes avec lui, en se souvenant que lorsque Jésus a choisi les Douze, c’était d’abord, comme le dit l’Évangile, « pour qu’ils soient avec lui ». La compagnie quotidienne de Jésus signifie partager son regard et son attention sur chaque personne rencontrée sur les chemins de notre vie quotidienne. Pietas, bien au-delà de la récitation de nombreuses prières, signifie cultiver une relation intime avec lui dans sa mission, qui nous est désormais confiée, d’annoncer et de construire le Royaume de Dieu dans le monde.

Le Labor, le travail et l’étude, deviennent évidemment plus importants que jamais dans un monde et dans une Église où l’éducation a explosé et où de grands changements sociaux sont en cours. De nos jours, le prêtre n’est plus celui qui détient toutes les réponses et les laïcs ne sont plus ceux qui ont seulement à être enseignés. Cela exige, bien sûr, une théologie solide, enracinée dans les Saintes Écritures et dans la Tradition de l’Église.

Cela exige également d’écouter les voix qui nous parviennent du monde de la science, de la philosophie et des religions. D’après ce que j’ai entendu et vu, le nouveau Collège a fait de grands progrès grâce à d’excellents professeurs, à des bibliothèques enrichies et à des contributeurs extérieurs experts. Il faut toutefois toujours garder à l’esprit que la connaissance seule, qu’elle soit théologique ou biblique, n’est pas ce qui nous sauve.

Ce qui nous sauve, nous et le monde, c’est uniquement l’Amor, l’amour, l’amour de Dieu notre Père pour tous les hommes, pour chaque homme et chaque femme. Cet amour nous a été révélé par Jésus-Christ, son Fils. L’amour n’est pas quelque chose que l’on apprend dans les livres. Il vient de nos rencontres quotidiennes avec nos semblables, lorsque nous les regardons et les voyons comme Jésus les voyait, avec, comme Jésus, une attention toute particulière pour les pauvres, pour tous ceux, et ils sont nombreux, qui n’ont pas leur mot à dire dans le monde et parfois même dans nos églises. Seul cet amour quotidien et ordinaire de nos semblables peut faire de nous des hérauts et des bâtisseurs heureux du Royaume de Dieu, un Royaume qui ne connaît pas de frontières de cultures, de traditions ou même de religions.

Pietas, Labor, Amor seront toujours la marque distinctive de la formation des futurs prêtres. Cependant, comme nous le rappelle saint Paul, le plus grand d’entre eux est l’amour.

Retour aux exhortations d’Alexandre VII en 1659

À ce stade, chers amis, permettez-moi de rappeler l’objectif qui avait été initialement assigné aux fondateurs du Collège, les évêques vicaires apostoliques François Pallu et Pierre Lambert de la Motte. Lorsque ces premiers missionnaires de la MEP ont été envoyés par Rome en Asie, ils ont reçu des instructions claires qui, à ce jour, méritent une attention particulière. Elles ont été données par le pape Alexandre VII en 1659 :

Un des anciens bâtiments anciens du Collège Général.
Un des anciens bâtiments du Collège Général.

« Ne faites preuve d’aucun zèle, ne présentez aucun argument pour convaincre ces peuples de changer leurs rites, leurs coutumes et leurs mœurs, à moins qu’ils ne soient manifestement contraires à la religion et à la morale. Qu’y a-t-il de plus absurde que de transposer la France, l’Espagne, l’Italie ou tout autre pays européen chez les Chinois ? Ne leur imposez pas nos pays, mais la foi, cette foi qui ne rejette ni ne porte atteinte aux rites ou aux coutumes d’aucun peuple, à condition qu’ils ne soient pas odieux, mais qui, au contraire, souhaite qu’ils soient préservés et protégés. Ne comparez jamais les coutumes de ces peuples à celles de l’Europe ; au contraire, hâtez-vous de vous y habituer. »

De telles exhortations datant du XVIIsiècle semblent si nouvelles à nos oreilles, même aujourd’hui, qu’elles auraient pu être prononcées par le Concile Vatican II… Mais autrefois, lorsque les missions chrétiennes ont commencé à se répandre dans le monde entier, l’Église était également très soucieuse d’assurer l’unité de la communauté chrétienne en expansion à travers le monde.

Cela a principalement affecté la formation du clergé. Et, pour le meilleur ou pour le pire, l’accent était mis sur l’uniformité de la formation à travers le monde, en particulier en matière de théologie. Le latin était la lingua sacra et la théologie scolastique romaine était enseignée partout. Telle était la situation lorsque je suis entré au Collège.

« L’Église a besoin de toutes vos couleurs, voix et traditions »

Soyons réalistes, il y avait, il y a et il y aura toujours une réelle tension entre l’Église unique et les nombreuses Églises, entre l’un et l’autre, entre le semblable et le différent, mais aussi entre l’ancien et le nouveau. De telles tensions sont inévitables, elles sont même nécessaires et saines, qu’elles soient porteuses de nouveaux fruits, et non des sujets de discorde et des sources de division et de stagnation.

Dans un monde et une société en constante interaction et évolution, grâce à des technologies nouvelles et de plus en plus puissantes, nous ne pouvons ignorer le fait que le matérialisme, l’individualisme, l’agnosticisme et l’athéisme sont devenus les marques de fabrique de notre époque, parallèlement à une tendance croissante, dans de nombreuses régions à se retrancher derrière leurs propres frontières, qu’elles soient culturelles, raciales ou religieuses.

En conséquence, les religions du monde entier sont traversées, voire influencées, par des courants opposés. Comment peuvent-elles répondre aux besoins actuels de notre monde en matière de paix et de justice ? En ce qui concerne le christianisme, le terrain d’entente intangible reste sans aucun doute Jésus de Nazareth, un homme pour qui tous les êtres humains sont ses frères et sœurs, les enfants égaux du même Père, indépendamment de toutes leurs différences.

L’un des principaux défis auxquels sont confrontées aujourd’hui nos sociétés ainsi que nos Églises est donc de reconnaître et d’accueillir nos différences, de vivre et de dialoguer avec d’autres traditions, d’autres façons de penser, d’autres modes de vie au sein de sociétés multiculturelles et multicolores. Dans cette perspective, nous avons besoin de votre expérience ancienne et quotidienne du partage de la vie dans un monde varié, polychrome et polyphonique.

C’est ce que j’ai appris de mon expérience dans l’Asie du Sud-Est multiculturelle et au Collège Général multiculturel. Oui, chers amis, l’Église a besoin de toutes vos couleurs, de toutes vos voix et de toutes vos traditions pour être fidèle à la mission qui lui a été confiée. L’histoire internationale du Collège Général ainsi que le tissu multiculturel de la Malaisie et des pays voisins constituent sans aucun doute un terrain fertile pour relever ces nouveaux défis.

« Galilée des nations »

Bien que peu nombreux, les chrétiens d’ici, grâce à leur longue et vaste expérience de la vie au sein de plusieurs cultures, religions et traditions, peuvent en effet être un atout majeur pour l’avenir de l’Église dans son ensemble. Je crois fermement qu’ils sont particulièrement aptes à aider l’Église dans son ensemble à atteindre cette Galilée des nations où Jésus a dit qu’il nous attendait et où nous sommes appelés à rencontrer tous nos semblables.

Un monument en l'honneur des saints Philippe Minhe et ses compagnons, anciens séminaristes du Collège Général.
Un monument en l’honneur des saints Philippe Minh et ses compagnons, anciens séminaristes du Collège Général.

En repensant à mes jours au Collège, je me tourne maintenant vers les étudiants que j’ai connus, appréciés et aimés ici. Beaucoup d’entre eux sont présents parmi nous aujourd’hui, beaucoup nous regardent depuis leur lieu de vie, tandis que d’autres ont atteint leur demeure finale. Avec eux, j’ai partagé tant de petites choses qui m’ont aidé dans ma foi en notre Seigneur Jésus-Christ, dans ma compréhension et mon amour de l’Église, dans l’amour de mes frères et sœurs.

Ils m’ont aidé à grandir en tant qu’être humain. La vie au collège était un bon mélange de nombreuses choses qui font des hommes sains et de bons prêtres. Si les études et la vie spirituelle étaient bien sûr au cœur de notre vie communautaire, d’autres activités telles que le sport et le travail manuel étaient également importants. Football, volleyball, basketball, softball, badminton, sepak raga, matchs de rugby intenses lorsque le terrain du collège Pulau Tikus était inondé, ainsi que les tâches ménagères et l’entretien du terrain, la chasse aux abeilles, la pêche, la natation, sans oublier les promenades nocturnes autour de l’île ou les balades à vélo dans l’État de Kedah et même, avec le soutien de notre cher Ah Seng, les croisières en bateau de pêche autour de cette île…

Toutes ces activités ont créé entre nous des liens profonds qui sont encore très vivants aujourd’hui. Mais surtout, vivre ensemble avec nos différences a probablement été la plus grande chance et le plus grand défi qui nous ont tous guidés dans la compréhension de ce qu’est la vie humaine et chrétienne. Je me souviens des émeutes de 1969 en Malaisie et à Singapour, et à quel point elles ont été un défi humain et spirituel pour nous tous… Je me souviens de tant de choses, grandes et petites, qui ont fait du Collège un lieu où grandir dans la vie et dans la foi, un lieu où être heureux, un lieu où je me sentais si heureux.

« Souvenez-vous » : 400 ans de vie chrétienne

Enfin, permettez-moi de m’adresser à vous, mes chers jeunes amis et frères séminaristes, et à travers vous, à tous les futurs prêtres qui, d’une manière ou d’une autre, ont également leur ministère enraciné dans ce Collège Général. Aux trois mots de notre devise – pietas, labor, amor – j’ajouterais un quatrième : Souvenez-vous ! Pas seulement en rappelant la longue histoire du Collège, ni en répétant et en imitant ce que nous avons appris et ce qui a déjà été fait.

Souvenez-vous ! Plus vos racines sont profondes, plus votre équilibre sera solide lorsque vous serez appelés à prendre des initiatives courageuses et parfois audacieuses pour témoigner de l’amour de Dieu pour chaque personne que vous rencontrerez. En tant que disciples de Jésus, nous n’avons qu’à suivre ce qu’il a fait. Simple, mais difficile… Souvenez-vous de nos martyrs !… Souvenez-vous de Jésus qui a été mis à mort parce qu’il nous a aimés jusqu’au bout, parce qu’il nous aimait trop aux yeux de certains. Et chaque jour résonne son commandement : Faites ceci en mémoire de moi.

Mon cher frère Sébastien, pardonne-moi d’avoir laissé de côté tous tes titres sauf celui-ci, mais je suis sûr que tu es d’accord. Je ne sais pas comment tu en es venu à prendre cette initiative de rassembler en trois jours le fruit de près de 400 ans de vie chrétienne dans ces régions du monde. Il ne fait aucun doute que nous en avions tous besoin en ces temps très difficiles, et il ne fait aucun doute que l’Esprit de Jésus t’a inspiré pour répondre à nos besoins. Alors que nous allons tous retourner dans nos différents lieux de vie, nous serons renouvelés, renaissants, rebaptisés. Que le Seigneur vous bénisse, notre cher frère Sébastien, pour cette belle initiative que vous avez prise.

Nous célébrons aujourd’hui une histoire glorieuse de réalisations humaines et chrétiennes, la mémoire de tant de porteurs de la Bonne Nouvelle, de tant de témoins du Christ qui ont donné leur vie pour leur foi. En les célébrant et en rendant grâce au Seigneur pour eux, nous ne rendons pas seulement hommage au passé, mais, marchant sur les traces de nos pères, nous nous tournons avec confiance et espoir vers un avenir riche en défis immenses où le Seigneur nous appelle et nous attend, où son Esprit nous guide.

Cher Collège Général d’autrefois, aujourd’hui vivant dans plusieurs séminaires, chers amis, chers habitants de Malaisie, d’Orient et d’Occident, de Singapour, de Thaïlande, du Laos, du Cambodge, de Birmanie et d’ailleurs, ad multos annos, longue vie à l’Esprit du Collège Général ! Que la lumière de l’Esprit de Jésus-Christ nous guide tous.

Père Jean L’Hour, MEP, Penang, Malaisie, 29 septembre 2025

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