Corée du Sud : une crise politique dont le pays émerge « lentement mais sûrement » selon un missionnaire
Une manifestation, le 14 décembre dernier à Séoul, pour la destitution du président Yoon. © Hashflu / CC BY-SA 4.0Le 28/01/2025
Un missionnaire vivant en Corée du Sud depuis presque 50 ans commente la situation politique actuelle dans le pays, ébranlé depuis la tentative de coup d’État du président Yoon en décembre dernier. Le père Donal O’Keeffe, un missionnaire irlandais de la Société de Saint-Colomban, explique la façon dont les divisions actuelles au sein de la société sud-coréenne se sont développées. Il assure que la situation n’est pas totalement bloquée mais qu’elle progresse « lentement mais sûrement ».
Après les élections présidentielles de 2022, malgré sa victoire, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol était convaincu que des « forces contre l’État » avaient saboté le processus électoral, car son parti, le PPP (Parti du pouvoir au peuple), n’avait remporté les élections qu’avec une marge de 0,73 %. « Il était convaincu qu’il gagnerait avec une majorité bien plus large, donc il a immédiatement suspecté une fraude électorale », explique le père Donal O’Keeffe, un missionnaire irlandais de la Société de Saint-Colomban, interrogé cette semaine sur la situation actuelle dans le pays d’Asie de l’Est.
Quand le président Yoon a déclaré (puis révoqué quelques heures plus tard) la loi martiale le 3 décembre dernier, la Corée du Sud a été plongée dans une grave crise politique dont le pays est en train d’émerger « lentement mais sûrement », assure le missionnaire, qui vit en Corée depuis 1976. Alors que Yoon est sous le coup d’une procédure de destitution, ce dimanche 26 janvier, les procureurs chargés de l’enquête lancée après sa tentative de coup d’État l’ont inculpé pour insurrection.
Toute l’affaire tourne autour du personnage controversé qu’est Yoon Suk Yeol, « un ancien procureur qui n’a aucune expérience réelle en politique », rappelle le père O’Keeffe. « Il est passé en quelques années de procureur général à candidat du parti conservateur », explique-t-il. Il ajoute qu’après son arrivée au pouvoir, « durant deux années complètes, il a refusé de rencontrer le chef du parti principal de l’opposition et il a utilisé son droit de véto 25 fois ».
Après les « élections parlementaires d’avril 2024, il a affirmé que le vote avait été truqué ; il a essayé de s’opposer aux résultats en vain, mais la Commission électorale a rejeté ses accusations ». Entre-temps, sa popularité était en chute libre. La proclamation de la loi martiale ressemble donc à une tentative désespérée de rester au pouvoir.
« Le problème, c’est l’avenir et ces graines de méfiance qui ont été plantées »
« Yoon Suk-yeol accuse ses subordonnés, tandis que son équipe juridique se réfère aux fake news qui circulent », explique le missionnaire en évoquant des fausses nouvelles répandues par des militants conservateurs sud-coréens sur les réseaux sociaux. « Une de ces fake-news affirme que les Chinois se seraient alliés à des forces contre l’État en Corée du Sud pour piéger les élections parlementaires. Des images utilisées par ces vidéos Youtube se sont révélées montrer en fait un groupe de Chinois arrêté il y a quatre ans pour pêche illégale. » « Aujourd’hui, le pays est déstabilisé par ces fausses nouvelles, par la perte de confiance et par les divisions. Pour moi, le problème, c’est l’avenir et ces graines de méfiance et de mécontentement qui ont été plantées », regrette le missionnaire.
Le père Donal O’Keeffe, qui a longtemps travaillé auprès du milieu ouvrier, est aujourd’hui impliqué dans la formation des missionnaires sud-coréens. Selon le missionnaire, beaucoup de gens craignent aussi de voir se reproduire quelque chose de semblable à ce qui s’est produit le 6 janvier 2021 après la victoire de Joe Biden aux États-Unis, quand des partisans de Donald Trump ont envahi le Capitole. « S’il y a de nouvelles élections, il y aura probablement des gens qui refuseront d’accepter le résultat », note le père Donal, qui a reçu un prix du gouvernement sud-coréen en 2021 pour son travail avec des communautés vulnérables.
« Mais la situation a été rendue encore plus confuse après des propos de Trump il y a quelques jours sur la Corée du Nord. Il a désigné celle-ci comme une puissance nucléaire, en affirmant qu’il voulait engager le dialogue avec Pyongyang. À ce jour, la Corée du Sud et le Japon ont construit leur alliance contre la Corée du Nord, mais il semble que Trump a tout jeté par la fenêtre. »
La situation progresse « lentement mais sûrement »
Pourtant, même s’il n’y a aucune solution apparente, le père O’Keeffe assure que la situation progresse « lentement mais sûrement ». « Au début, on avait l’impression qu’ils ne parviendraient pas à arrêter Yoon parce qu’il s’était enfermé dans la résidence présidentielle. Le ministre des Finances Choi Sang-mok, qui joue actuellement le double rôle de président et premier ministre par intérim, a nommé deux juges à la Cour constitutionnelle. Trois postes étaient vacants et ils en ont choisi deux. Cela montre que les choses progressent, d’une certaine manière. »
Il assure que les protestations contre la tentative de déclaration de la loi martiale étaient unanimes dans la société sud-coréenne. Toutefois, pour le père Donal, « le meneur principal de l’opposition, Lee Jae-myung, un homme politique très compétent, est actuellement visé par une enquête pour corruption. L’opposition a été accusée d’avoir cherché de manière répétée à destituer des membres du gouvernement ».
« En réalité, les partis conservateurs eux-mêmes n’ont pas de candidat à la présidence. Ils n’ont aucune figure qui s’impose à ce jour. Donc ils essaient d’utiliser la situation actuelle pour affaiblir un leader populaire en l’accusant d’être un criminel. » Pour l’instant, plusieurs noms de personnalités qui pourraient remplacer Yoon circulent, mais aucune décision n’a été prise. « Le processus de rétablissement de la démocratie en Corée du Sud risque encore de prendre un certain temps. »
(Avec Asianews)