Les soins palliatifs en Inde, un enjeu de santé publique

Le 14/02/2025
Les soins palliatifs, qui visent à améliorer la qualité de vie des patients atteints de maladies graves ou en phase terminale, sont un secteur en pleine expansion en Inde. De nombreux progrès ont été réalisés au cours de ces dernières années, notamment dans certains États du sud du pays, mais l’accès à ces soins reste limité pour une grande partie de la population. Dans un pays où les défis sanitaires sont immenses, le chemin reste long pour garantir un accès équitable aux soins palliatifs.
Avec une population de plus d’1,4 milliard d’habitants, l’Inde fait face à une demande croissante de soins palliatifs. Elle a récemment dépassé la Chine pour devenir le pays le plus peuplé du monde, selon les estimations des Nations unies, et doit surmonter le défi majeur du vieillissement rapide de sa population en raison de la baisse des taux de fécondité. Des avancées considérables en médecine et en nutrition ont prolongé l’espérance de vie moyenne en Inde, qui est ainsi passée de 32 ans en 1947 à 70 ans en 2023.
Selon les démographes, les services de santé et les maisons de retraite de l’Inde ne sont pas préparés à cette évolution, d’autant plus que le soutien familial traditionnel, pilier de la société indienne, ne cesse de s’éroder avec l’urbanisation et les migrations. De plus en plus de personnes âgées se retrouvent isolées. Au vieillissement de la population indienne s’ajoute l’augmentation des maladies chroniques, comme le cancer ou le diabète. Pour le système de santé public, ces défis sont préoccupants.
D’après une récente étude conduite par des chercheurs de l’Association for Socially Applicable Research (ASAR) à Pune, et publiée dans le journal ecancer, il y aurait chaque année 7 à 10 millions d’Indiens en besoin de soins palliatifs, mais moins de 4 % d’entre eux en bénéficient. L’accès à ces soins est notamment freiné par des politiques restrictives de prescription des médicaments contre la douleur, comme la morphine. Selon cette étude, étant donné le nombre croissant de patients nécessitant des soins palliatifs, il est essentiel que la morphine et les autres analgésiques soient rendus plus accessibles.
Une prise de conscience croissante depuis les années 1980
« L’accès aux soins palliatifs, une branche de la médecine qui traite globalement la souffrance d’une personne, reste encore déplorable en Inde, a estimé dans la presse indienne le Dr Parth Sharma, l’un des auteurs de l’étude. La douleur est l’un des symptômes les plus courants nécessitant des soins palliatifs. Souvent, des médicaments de base comme le paracétamol et le diclofénac ne suffisent pas à soulager la douleur intense chez les personnes atteintes de maladies limitant leur espérance de vie. La morphine devient alors le médicament de choix pour soulager la douleur et la souffrance. »

L’Inde est pourtant le deuxième plus grand producteur mondial d’opioïdes, dont la morphine. Cependant, moins de 3 % de la morphine produite en Inde est consommée dans le pays en raison de la réglementation stricte du gouvernement, mais aussi des freins véhiculés au sein de la communauté médicale, selon le Dr Sharma. Par exemple, la morphine orale est absente de la liste des médicaments essentiels nationaux (EMLs). Citant l’exemple du Kerala, qui dispose des meilleurs soins palliatifs de l’Inde, le Dr Sharma a souligné que la politique de cet État parvient à rectifier le tir. « Le Kerala montre comment la mise en œuvre d’une politique équilibrée peut améliorer l’accès à la morphine orale sans créer de problèmes d’abus d’opioïdes. »
En Inde, des craintes entourent en effet la prise de morphine, en raison du risque de dépendance aux opioïdes, et sa prescription est également freinée par de lourdes procédures bureaucratiques, ainsi qu’un manque de formation en soins palliatifs dans les universités de médecine. La morphine reste donc difficilement accessible pour la population locale.
Il faut souligner que les soins palliatifs sont relativement récents en Inde, avec une prise de conscience croissante depuis les années 1980. Dans de nombreuses familles, parler de la fin de vie reste tabou, ce qui retarde souvent la demande de soins palliatifs. Néanmoins, des avancées législatives et politiques ont marqué des étapes importantes. En 2014, l’Inde a ainsi modifié sa « Loi sur les stupéfiants » pour tenter de faciliter l’accès à la morphine et à d’autres analgésiques essentiels, bien que cet accès reste insuffisant. En 2017, les soins palliatifs ont été inclus dans la « Stratégie nationale de santé », devenant ainsi une priorité de santé publique.
Une mise en œuvre inégale des politiques de soins palliatifs
Cependant, la mise en œuvre de ces politiques reste inégale. En 2020, le gouvernement a lancé des directives pour intégrer les soins palliatifs dans les services de santé, mais les ressources financières et humaines manquent pour les appliquer à grande échelle. Les zones rurales, où vit près de 70 % de la population, sont les plus touchées par ce manque : les infrastructures de santé y sont insuffisantes, et le nombre de médecins et d’infirmières qualifiés reste limité.
Face aux lacunes du système public, les ONG jouent un rôle clé dans la promotion et les services de soins palliatifs en Inde.
L’Indian Association of Palliative Care (IAPC) œuvre également pour sensibiliser le public et former les professionnels de santé. Des centres comme Karunashraya, à Bangalore, offrent un accompagnement spécialisé aux patients atteints de cancer en phase terminale, tandis que des initiatives communautaires se développent pour apporter des soins palliatifs dans les zones rurales. Parallèlement, des campagnes de sensibilisation visent à réduire les tabous culturels et à informer le public sur l’importance des soins palliatifs.
Dans le sud du pays, l’État du Kerala se distingue par son modèle actif, novateur et efficace. Les soins palliatifs y sont développés selon une approche communautaire et peu coûteuse, les services étant fournis gratuitement grâce à des projets dirigés par la communauté, principalement sous forme de soins à domicile. Dans sa plus récente initiative, le chef du gouvernement du Kerala a annoncé que les établissements de soins palliatifs seront désormais coordonnés à l’échelle de l’Etat. Selon le Times of India, l’Himachal Pradesh envisage à son tour de reproduire le modèle du Kerala, en impliquant les communautés locales.
L’euthanasie passive autorisée en Inde depuis 2018
Un autre débat a lieu actuellement en Inde, centré autour du droit à refuser, sous des directives strictes, les traitements médicaux, afin de garantir une fin de vie digne et sans souffrance. Dès mars 2018, la Cour suprême de l’Inde avait rendu une décision historique en reconnaissant ce droit aux patients en phase terminale. Ce dispositif peine à se développer en Inde, et le Kerala est à l’avant-garde de ces discussions, appuyées par des campagnes de sensibilisation auprès de la population.
Les patients concernés peuvent ainsi rédiger un « testament de vie » et opter pour l’euthanasie passive en interrompant le traitement médical afin d’accélérer le décès. Il s’agit d’un document juridique qui permet à une personne majeure de choisir les soins médicaux qu’elle souhaite recevoir si elle développe une maladie terminale et qu’elle est incapable de prendre des décisions par elle-même.
Par exemple, elle peut préciser qu’elle ne veut pas être placée sous assistance respiratoire ou demander à recevoir une médication adéquate contre la douleur. Ce « testament de vie » doit être signé en présence de deux témoins et attesté par un notaire. En revanche, l’euthanasie active, consistant à administrer des substances létales pour mettre fin intentionnellement à la vie d’un patient, reste illégale en Inde.
Aujourd’hui, l’Inde est bien consciente de la nécessité de développer la qualité de ses soins palliatifs et de les rendre plus accessibles à sa population, mais la mise en œuvre de ces objectifs reste un lourd défi.
(AD Extra, A. B.)