Les femmes consacrées en Chine

Rédigé par M. Siyuan, religieuse chinoise, le 27/06/2025
Une force douce et puissante à déployer pour le bien de l’Église et de la société chinoise.
La situation des femmes consacrées en Chine est complexe et multiforme, influencée par des facteurs historiques, politiques et culturels. Ces femmes, par ce qu’elles sont et ce qu’elles font, sont un pivot pour le bien de l’Église et de la société ; elles sont cependant souvent méconnues et sous-estimées. Cet article, sans prétendre être exhaustif, veut simplement présenter d’abord la diversité des vocations et des contributions des femmes complètement consacrées à Dieu pour le bien de l’Église et du monde, puis donner un bref témoignage personnel d’apostolat et enfin regarder avec confiance les défis et les perspectives.
Diversité des vocations et des contributions
Nous pouvons distinguer trois grands groupes de femmes consacrées en Chine : – les contemplatives ; – les religieuses apostoliques et les vierges consacrées ; – les membres des Instituts séculiers, des associations de fidèles ou des communautés nouvelles, etc. Cette diversité de vocations montre la richesse de la vie consacrée féminine en Chine, qui s’adapte aux besoins spirituels et sociaux du pays.
Les contemplatives : vivant dans des monastères, elles consacrent totalement leur vie à la recherche de Dieu par la prière pour irriguer l’Église et le monde dans le silence et l’intimité avec le Seigneur. Bien que cachée et discrète, leur vie est aussi fondamentale que l’oxygène et présente une oasis spirituelle en plein milieu du désert du monde. Dans notre société marquée par le bruit et la fragmentation, ce style de vie contemplative attire de nombreuses jeunes qui ont faim et soif de Dieu. Malheureusement, en raison de circonstances complexes, il est très difficile de vivre pleinement cette vocation purement contemplative. Actuellement, elles ne sont donc qu’un petit nombre, ce qui limite leur impact visible dans la société. Néanmoins, leur vocation reste un témoignage puissant dans la société actuelle où le matérialisme relègue souvent la spiritualité au second plan.
Les religieuses apostoliques et les vierges consacrées : Ces deux styles de vocations féminines malgré d’importantes différences – les unes vivant en communauté, les autres vivant seules ou en groupes – s’engagent dans des activités et des œuvres apostoliques semblables.
En effet, la plupart d’entre elles travaillent dans la pastorale et les œuvres caritatives. Elles sont indispensables dans la dynamique de la vie ecclésiale : catéchèse, parcours catéchuménal, formation de la vie chrétienne des jeunes et des adultes, préparation au mariage, visite des malades et des souffrants, etc. En complément du rôle primordial du curé, image paternelle de Dieu et représentant de Jésus Christ, le pasteur des troupeaux, les femmes consacrées incarnent un autre visage de l’Église comme sœur et mère à l’image de la Vierge Marie. Les chrétiens aiment leur confier leurs joies, leurs peines, leurs soucis et toutes sortes d’intentions de prière ; ils trouvent chez ces femmes consacrées la douce présence consolante et encourageante de l’Église mère. D’une certaine manière celles-ci sont aussi l’âme d’une paroisse.
Certaines communautés religieuses possèdent aussi des œuvres : par exemple, des écoles, des cliniques, des pensionnats, des orphelinats, des centres de formation professionnelle, des centres de formation catéchétique, théologique ou spirituelle, des maisons de retraite pour personnes âgées, etc. Certaines travaillent aussi dans la société en tant que professionnelles, mais ce sont des cas isolés.
Ces femmes consacrées apostoliques qui ont eu un rôle essentiel dans la mission évangélisatrice de l’Église depuis les années 1980 et qui représentent la majorité des femmes consacrées en Chine connaissent actuellement beaucoup de difficultés. Leur travail pastoral dans les paroisses est souvent entravé par certaines restrictions, surveillances ou interdictions lorsqu’il est perçu comme contraire aux intérêts publics. Elles ont aussi du mal à tenir certaines œuvres caritatives en raison de contrôles de toutes sortes. Enfin, elles subissent aussi les soucis de vieillissement des membres et la baisse considérable de vocations depuis ces vingt dernières années.
Les membres des Instituts séculiers, des associations des fidèles ou de communautés nouvelles : ces femmes vivent pleinement une consécration totale à Dieu dans le monde. Elles partagent la condition ordinaire de la vie humaine. La grande différence entre ce troisième groupe et la vie religieuse traditionnelle qui vit en communauté réside dans le fait qu’elles peuvent être envoyées, isolées ou en groupe. Elles peuvent s’engager dans des apostolats directs, dans des œuvres propres à leurs Instituts, mais, en général, la plupart ont un métier dans la société. Le travail professionnel est le champ ordinaire de leur apostolat. Elles peuvent s’engager dans tous les domaines de la société : éducatif, comme professeures des écoles ou des universités ; médical, comme médecins ou infirmières dans les hôpitaux ou cliniques ; social, comme assistantes sociales ou conseillères ; ingénieures ou architectes ; salariées en entreprises ou directrices d’établissements, etc. Elles peuvent travailler là où le Seigneur les appelle selon leur propre vocation et là où sont les besoins des hommes et des femmes d’aujourd’hui. Par leur consécration totale à Dieu au service des autres, elles s’engagent pleinement dans le monde, comme « le levain » dans la pâte (Mt 13,33) pour le transformer selon le cœur de Dieu, comme « le sel de la terre » (Mt 5,13) pour lui donner le goût de l’Évangile, comme le sang dans le corps pour infuser la vie divine, et pour témoigner de la proximité de Dieu auprès de ceux qui ne connaissent pas encore son amour.
Ce troisième groupe de femmes consacrées n’est pas encore bien connu en Chine. Leur nombre est encore relativement restreint ; en revanche, depuis ces dernières dizaines d’années, de plus en plus de jeunes s’intéressent à ces nouvelles formes de vie consacrée. Certains observateurs extérieurs remarquent que ces nouveaux styles de vie consacrée, plus souples et flexibles dans la modalité de vie, sont adaptés au contexte chinois actuel et rejoignent davantage les jeunes qui veulent se donner complètement à Dieu tout en restant proches des gens dans le monde que Dieu a tant aimé. Ces formes de vie semblent répondre aux besoins de nos contemporains qui ne connaissent pas encore Dieu et qui ont besoin de témoins crédibles du Dieu vivant, non seulement en paroles, mais surtout par leurs actes, dans leur milieu de travail ou dans leur vie quotidienne. La discrétion de ces formes nouvelles leur permet d’entrer et de s’intégrer profondément et facilement dans la société. Or, cette même discrétion dans l’Église et dans la société pourrait aussi avoir un impact sur le nombre limité de vocations.
Témoignage personnel d’apostolat
Quant à moi, par ma vocation, je suis pleinement consacrée à Dieu et pleinement immergée et engagée dans le monde. Notre apostolat est d’abord celui de longs moments de prière silencieuse quotidienne qui nous plonge dans la profondeur de l’intimité avec Dieu, et nous transforme au jour le jour en apôtres contemplatifs. Enracinées en Christ et conduites par l’Esprit saint, notre désir est de témoigner, en plein monde, du Dieu vivant, à l’école des saints. « Le monde est en feu, ce n’est pas le moment de traiter avec Dieu d’affaires de peu d’importance ! »[1], disait Sainte Thérèse d’Avila à ses sœurs carmélites. L’auteur du livre Je veux voir Dieu, dit aussi : « Des gens qui cherchent Dieu, il y en a partout, comment les atteindre !!! »[2]. Nos champs d’apostolat sont les rues, les faubourgs, les bureaux, les écoles, les hôpitaux, partout où nos contemporains sont présents. Nous voudrions apporter l’amour, la compassion et la sollicitude de Dieu à nos compatriotes chinois, surtout à ceux qui sont pauvres et petits, souffrants et marginalisés, affamés et assoiffés de justice et de paix, etc. Nous voulons qu’ils aient une vraie vie digne et heureuse, déjà en ce monde et au-delà de cette vie terrestre.
J’ai été professeure de français. À ce titre, j’ai pu former de nombreux jeunes qui voulaient étudier en France et faciliter leur intégration dans la culture et la société françaises. Alors, le métier d’enseignante m’a permis d’accompagner les jeunes, de leur ouvrir de petites portes ou des fenêtres pour leur avenir et pour servir la Chine dès lors qu’ils auront été bien formés. Ainsi, nous contribuons à établir des ponts entre les Chinois et les jeunes d’autres pays et d’autres cultures pour qu’ils puissent à leur tour devenir hommes et femmes de pont et de dialogue. En conséquence, par eux et avec eux, nous participons à notre humble mesure à la construction de notre pays et du monde.
Défis et perspectives
En plus des difficultés traversées courageusement par les femmes consacrées mentionnées précédemment, il existe d’autres défis auxquels elles ont à faire face. En effet, la Chine, pays profondément imprégné par le confucianisme, tend à sous-estimer et marginaliser les femmes, y compris dans l’Église. La prédominance des hommes dans la société en général et des ministres ordonnés dans l’Église chinoise est une réalité indéniable. Le rôle des femmes consacrées est souvent sous-valorisé. Cela nécessite un changement de mentalité, tant dans l’Église que dans la société. Les différentes sortes de contraintes limitent aussi leur engagement dans l’Église et dans la société, par conséquent, elles freinent l’épanouissement de leur personnalité et de leurs vocations.
Malgré toutes les difficultés, les femmes consacrées en Chine représentent une force douce et puissante. Il y a tant de belles histoires à raconter à leur propos. Depuis une vingtaine d’années, le rôle des femmes consacrées chinoises est mieux considéré. Il leur a été donné plus de chances d’être formées tant sur les plans théologique et spirituel que sur les plans des sciences humaines, techniques ou professionnels. Certaines ont pu obtenir des diplômes de haut niveau. Par conséquent, elles peuvent investir davantage dans des formations chrétiennes plus poussées qu’exige notre société moderne. Toutefois, la formation théologique, spirituelle et professionnelle des femmes consacrées nécessite encore d’être soutenue et encouragée face aux défis modernes sociétaux.
À l’avenir, pour la mission de l’Église en Chine, même si nous avons fait beaucoup de progrès, il reste encore très important de cultiver le dialogue et l’estime mutuelle entre les ministres ordonnés et les femmes consacrées, tout en respectant chacun dans sa vocation propre ; il est indispensable de renforcer entre eux les liens fraternels et la collaboration et de marcher ensemble dans la dynamique de la synodalité ecclésiale pour rendre témoignage de l’amour de Dieu, d’une manière crédible aux yeux de nos contemporains.
Conclusion
Les femmes consacrées en Chine, qu’elles soient contemplatives, apostoliques ou membres d’Instituts séculiers, des associations des fidèles ou de communautés nouvelles, incarnent une présence capitale, à la fois discrète et transformante. Leur contribution, bien que souvent méconnue, est un levier pour l’évangélisation et le développement humain et spirituel dans le contexte complexe et délicat de la Chine. Nous avons encore un long et beau chemin à parcourir pour la reconnaissance et la promotion du développement des femmes consacrées. La force latente des femmes consacrées chinoises est encore appelée à être libérée et déployée à l’avenir pour le bien de l’Église et de la société. Pour cela, il faudra du temps, du soutien, un changement de regard tant dans l’Église que dans la société chinoise, mais « l’espérance ne déçoit jamais » (Rm 5,5).
M. Siyuan, religieuse chinoise
[1] Cf. Le Chemin de perfection, c.1.
[2] Revue Carmel 1968, p. 107.