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Inde : l’ancien royaume himalayen du Ladakh secoué par la répression

Leh, capitale du Ladakh sur le plateau tibétain, où des émeutes ont été déclenchées le 24 septembre par des manifestants réclamant davantage d’autonomie. Leh, capitale du Ladakh sur le plateau tibétain, où des émeutes ont été déclenchées le 24 septembre par des manifestants réclamant davantage d’autonomie. © Bibhukalyan Acharya / Pexels.com
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La tension demeure vive au Ladakh, dans le nord de l’Inde, où la répression d’une manifestation a fait quatre morts et conduit à l’arrestation de Sonam Wangchuk, figure emblématique et activiste de renom. Dans ce territoire stratégique, à la frontière de la Chine et du Pakistan, un ressentiment grandissant de la population envers le pouvoir s’est traduit par des manifestations réclamant davantage d’autonomie. Ces événements s’inscrivent en réaction à l’érosion politique et culturelle de l’ancien royaume bouddhiste depuis sa réorganisation, en 2019, en un territoire placé sous l’autorité directe de New Delhi.

Dans la petite ville de Leh, capitale du Ladakh nichée sur le plateau tibétain, des émeutes ont été déclenchées le 24 septembre dernier par des manifestants réclamant davantage d’autonomie. Des groupes qui protestaient pacifiquement depuis plusieurs jours ont incendié des bâtiments officiels, dont le siège local du BJP, le parti nationaliste hindou du Premier ministre Narendra Modi, ainsi que des véhicules, provoquant une répression policière. Le bilan est de quatre morts et plus de soixante-dix blessés, parmi lesquels une quarantaine de policiers et agents de sécurité.

La police a tiré à balles réelles, invoquant la légitime défense, tandis qu’un couvre-feu et la coupure des services Internet ont été imposés pour contenir la crise. Le ministère indien de l’Intérieur a imputé la responsabilité des violences aux « discours provocateurs » du militant écologiste Sonam Wangchuk. Depuis le 10 septembre, il menait la contestation en observant une grève de la faim. Alors que les manifestations ont dégénéré, il a interrompu son jeûne et appelé « à la fin des violences et au dialogue ».

New Delhi accusée de vouloir étouffer des revendications légitimes

Malgré cet appel à l’apaisement, l’activiste a été arrêté en vertu de la Loi sur la sécurité nationale (NSA), puis transféré à la prison centrale de Jodhpur, au Rajasthan, pour avoir prétendument incité à la violence, alors que ses soutiens dénoncent une répression politique visant à étouffer les revendications légitimes de la population du Ladakh.

Au Ladakh, Sonam Wangchuk, 59 ans, est reconnu pour son engagement pour l’environnement et l’éducation (ici en 2017 à Goa).
Au Ladakh, Sonam Wangchuk, 59 ans, est reconnu pour son engagement pour l’environnement et l’éducation (ici en 2017 à Goa).
© Sonam Wangchuk/CC BY 2.0

Des organisations de défense des droits humains, telles que People’s Union for Democratic Rights (PUDR), ont condamné un usage excessif de la force et des arrestations arbitraires. Certaines figures politiques ont exprimé leur soutien à Sonam Wangchuk, le qualifiant de victime d’une injustice. Au Maharashtra, le politicien Uddhav Thackeray a accusé le gouvernement d’utiliser son pouvoir pour réprimer les dissidents et emprisonner les opposants.

Sonam Wangchuk a, quant à lui, dénoncé son arrestation comme étant une « tentative de museler une voix pacifique ». Les autorités ont suspendu la licence de son organisation Secmol, accusée de « violations liées à des financements étrangers », un acte qualifié de « chasse aux sorcières » par Sonam Wangchuk.

Dans une déclaration depuis sa cellule, l’activiste a exprimé sa volonté de rester emprisonné comme symbole de résistance pacifique et d’unité pour le Ladakh, dans la tradition de la non-violence gandhienne. Sa femme a déposé une requête devant la Cour suprême, qui a programmé une audience pour le 14 octobre, remettant en question la légalité de sa détention prolongée.

Un profond malaise lié au contrôle politique et culturel du Ladakh

Les récentes agitations traduisent, au sein de la population, un profond malaise lié au contrôle politique et culturel du Ladakh, placé sous la tutelle directe de New Delhi depuis 2019. À cette époque, les autorités indiennes ont brusquement révoqué l’article 370 de la Constitution, instauré en 1949, qui conférait à la région un statut spécial, notamment sa propre constitution et la gestion de ses affaires internes en matière de propriété foncière, d’emploi et de gouvernance locale.

L’ancien royaume bouddhiste s’est ainsi retrouvé séparé de l’État du Jammu-et-Cachemire auquel il appartenait, perdant son autonomie relative pour passer sous contrôle administratif direct de New Delhi. L’annonce avait été accueillie avec enthousiasme dans les rues de Leh, par une population alors soucieuse de se démarquer du Cachemire voisin, en proie à une violente répression. Sonam Wangchuk, personnalité locale et activiste écologique, avait lui aussi salué la révocation de l’article 370.

Mais les perceptions ont ensuite évolué. Le Ladakh s’est donc retrouvé sans gouvernement local élu, tandis que New Delhi a pris le contrôle direct de la petite province, déjà hautement militarisée, tout en lançant un vaste développement industriel et touristique dans cette région pourtant fragile et exposée de plein fouet au réchauffement climatique. La population, qui espérait obtenir un véritable pouvoir législatif ou voir son territoire érigé en État de l’Union indienne, s’est retrouvée déçue et inquiète, avec le sentiment de voir sa culture et ses traditions menacées par le soudain afflux des Indiens des plaines.

« C’est une réaction spontanée de la jeunesse »

Sonam Wangchuk, ancien sympathisant du pouvoir central, a lui aussi pris ses distances avec New Delhi et, fort de sa notoriété, a dénoncé la politique des autorités, dans un mouvement réclamant l’octroi d’un statut protégé garanti par la sixième annexe (Sixth Schedule) de la Constitution indienne.

Le mécontentement et la frustration ont ainsi grandi, jusqu’à ce que les protestations prennent forme à partir du 10 septembre. Sonam Wangchuk avait tout d’abord salué la mobilisation : « C’est une réaction spontanée de la jeunesse, une sorte de révolution de la génération Z, qui l’a poussée à descendre dans la rue », avait-il déclaré dans une vidéo.

L’arrestation du militant reste retentissante. Au Ladakh, l’homme de 59 ans est perçu par beaucoup comme un héros pour son engagement en faveur de l’environnement et de l’éducation. Ingénieur de formation, il est le fondateur de Secmol, une école alternative axée sur l’apprentissage pratique et la préservation culturelle. Il a ainsi contribué à transformer le système éducatif du Ladakh, avant de créer le Himalayan Institute of Alternatives of Ladakh (HIAL), une université de solutions alternatives implantée dans le village de Phyang, à proximité de Leh.

Le Mig La Pass, col routier le plus élevé du monde, inauguré le 2 octobre au Ladakh.
Le Mig La Pass, col routier le plus élevé du monde, inauguré le 2 octobre au Ladakh.
© Adgpi/X

Sonam Wangchuk y expérimente et transmet des idées innovantes, fidèle à sa personnalité créative, qui a inspiré en Inde le personnage d’un film populaire de Bollywood et contribué à sa célébrité. Il est également l’inventeur de l’Ice Stupa, une technique innovante de glaciers artificiels permettant de stocker l’eau en hiver pour irriguer les terres en été, répondant ainsi aux défis liés à la sécheresse. Au-delà de ses contributions techniques, Wangchuk milite activement pour les droits politiques et culturels du peuple ladakhi, appelant à plus d’autonomie et de reconnaissance, incarnant une figure respectée mais aussi contestée.

Une région hautement sensible pour l’Inde

Le Ladakh reste avant tout l’otage de sa situation stratégique, qui en fait une région hautement sensible pour New Delhi. Elle borde des frontières parmi les plus instables au monde. Nichée entre deux puissances nucléaires rivales, la zone est aujourd’hui l’une des plus militarisées de la planète.

À l’Est s’étend l’Aksai Chin, contrôlé par la Chine mais revendiqué par l’Inde, et à l’ouest le Gilgit-Baltistan, dans le Cachemire administré par le Pakistan. Parallèlement aux récents événements, le gouvernement indien a inauguré le 2 octobre le Mig La Pass, le col routier le plus élevé du monde, à 5 913 mètres d’altitude, renforçant encore la connectivité stratégique du Ladakh.

Relativement paisible au cours des dernières décennies, la population du Ladakh a toujours apporté un soutien inconditionnel au pouvoir indien, notamment lors des guerres et des affrontements avec la Chine le long de la ligne de contrôle effectif (LAC). Mais la fermeté du gouvernement de Narendra Modi face aux manifestations et aux revendications locales risque d’aliéner une communauté dont la coopération est essentielle au maintien de la stabilité dans cette zone frontalière.

(Ad Extra, A. B.)

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