Afghanistan : la peur d’être coupé du monde après un black-out d’Internet

Le 10/10/2025
La semaine dernière, une coupure d’Internet de 48h imposée par les talibans a provoqué la crainte et l’indignation. Des millions d’Afghans ont été brusquement privés de leur dernier accès à l’éducation et à l’information. La coupure a d’abord été justifiée comme « lutte contre l’immoralité », avant d’être attribuée à des câbles à fibre optique défaillants. Cet épisode incarne néanmoins une nouvelle menace, en particulier dans le processus d’exclusion sociale des femmes afghanes, déjà isolées et privées de nombreux droits.
Pendant quarante-huit heures, la vie s’est arrêtée. Le 29 septembre, un black-out d’Internet s’est abattu sur l’Afghanistan et ses 42 millions d’habitants, alors que, depuis deux mois, l’accès au haut débit avait été progressivement restreint dans certaines provinces, au nom de la lutte contre le « vice » menée par le régime taliban. NetBlocks, une organisation basée à Londres spécialisée dans la surveillance de la cybersécurité et de la gouvernance d’Internet, a signalé une « coupure totale d’Internet », « semblant correspondre à une interruption intentionnelle du service ». L’internet mobile et la télévision par satellite ont également été gravement perturbés sur l’ensemble du territoire.
Sur le terrain, cette mesure a pris de court l’ensemble de la population, semant le chaos et la confusion. Privés d’Internet, 42 millions d’Afghans ont été coupés du monde durant deux jours. La vie du pays s’est retrouvée à l’arrêt, sans moyens de communication. Les vols domestiques et internationaux ont été annulés au départ de Kaboul. Administrations, systèmes bancaires, hôpitaux, commerces ou bureaux de poste ont été totalement paralysés ou fortement perturbés, faute d’accès aux données en ligne. Au sein d’une population déjà en lutte pour ne pas sombrer dans le silence, la coupure géante a renforcé le sentiment d’isolement et de psychose.
Au deuxième jour de cette mesure inédite, les Nations Unies ont appelé les autorités talibanes à rétablir immédiatement la connexion. « La coupure de l’accès a presque complètement isolé l’Afghanistan du reste du monde et risque de causer un préjudice considérable au peuple afghan, notamment en menaçant la stabilité économique et en exacerbant l’une des pires crises humanitaires au monde », a déclaré, dans un communiqué, la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA).
Une stratégie délibérée menée par le régime taliban ?
Dans la soirée du mercredi 1er octobre, les réseaux téléphonique et Internet ont repris du service progressivement. Selon les témoins et les correspondants locaux, les rues et les quartiers de Kaboul se sont réanimés. Plusieurs opérateurs mobiles étaient de nouveau opérationnels dans la capitale, ainsi que dans les provinces de Khost (est), Kandahar (sud), Ghazni (centre-est) et Herat (ouest), selon les journalistes de l’AFP.
L’incident s’inscrit-il dans une stratégie délibérée de fermeture d’Internet menée par le régime taliban ? Depuis le début du mois de septembre, et sur décret du chef suprême des talibans, Hibatullah Akhundzada, le gouvernement avait commencé à limiter les connexions Internet par fibre optique dans huit provinces. « Une interdiction totale a été imposée sur les câbles à fibre optique. Cette mesure a été prise afin de prévenir les activités immorales », a pour sa part commenté le gouverneur de la province de Balkh, Attaullah Zaid.
Des responsables ont ainsi ouvertement accusé l’accès à Internet de « corrompre » le peuple afghan et de participer à la « diffusion du vice ». Mais le geste est inédit : c’est la première fois, depuis la prise de pouvoir des talibans en 2021, que les communications sont ainsi coupées à l’échelle du pays.
Les talibans, de leur côté, nient avoir imposé un black-out national. « Il n’y a rien de vrai dans les rumeurs qui circulent selon lesquelles nous aurions imposé une interdiction d’Internet », ont déclaré des responsables talibans dans un communiqué transmis à des journalistes pakistanais. Leur principal porte-parole, Zabihullah Mujahid, a affirmé que les perturbations étaient dues à une « infrastructure de fibre optique en décomposition », actuellement en cours de remplacement, selon ce même communiqué.
Internet représente pour les Afghanes un dernier espoir
Pourtant, depuis leur retour au pouvoir en 2021, les Talibans ont instauré de nombreuses restrictions, en accord avec leur interprétation stricte de la charia, la loi islamique. Les Afghanes, adultes comme enfants, en sont les principales victimes. Le régime a interdit aux filles de plus de douze ans l’accès à l’éducation et a sévèrement limité les possibilités d’emploi des Afghanes. Aucune femme ne siège actuellement dans les organes de décision nationaux ou locaux. Près de 74 % des femmes sont soumises à des restrictions sévères lors de leurs déplacements, devant souvent être accompagnées d’un tuteur masculin, selon un rapport de l’Onu publié en avril 2024.
Plus tôt ce mois-ci, les autorités ont retiré 140 ouvrages rédigés par des femmes universitaires, dans le cadre d’une nouvelle interdiction visant également l’enseignement des droits humains et la lutte contre le harcèlement sexuel. Le gouvernement taliban affirme quant à lui respecter les droits des femmes dans le cadre de son interprétation de la culture afghane et de la loi islamique.
Lors de la coupure d’Internet, deux millions d’Afghanes ont perdu l’accès aux cours en ligne qui leur permettaient de contourner l’interdiction d’être scolarisées au-delà du primaire, selon l’association Malala Fund. Dans ce pays ravagé par les guerres, les jeux de pouvoir et les répressions, Internet représente pour ces femmes le dernier espoir de poursuivre leurs études et de s’émanciper. Le black-out de la semaine dernière pourrait-il être un avertissement ? La perte de ce lien virtuel constituerait une nouvelle tragédie, renforçant le sentiment d’abandon et de désespoir au sein d’une population déjà durement éprouvée.
(Ad Extra, A. B.)