Birmanie : au plus fort des hostilités, la junte ou le mirage des élections
Les élections birmanes, sont programmées en deux phases, le 28 décembre et le 11 janvier. Elles ont déjà débuté dans divers pays (Thaïlande, Corée du Sud, Egypte…) pour la communauté expatriée.
© Htoo Tay Zar / CC BY-SA 3.0
Le 09/12/2025
Dans une Birmanie meurtrie par quatre années de guerre civile, où les communautés chrétiennes et l’ensemble des civils vivent sous la menace constante des bombardements, la junte entend organiser des élections présentées comme « démocratiques ». Une consultation déroutante, alors que le pays manque surtout de paix, de justice et de vérité. Par le géopolitologue Olivier Guillard.
Une fois encore, au pays de la « Dame de Rangoun » et des sombres généraux, le paradoxe et l’improbable trônent au coin de la rue. Le régime militaire du senior-général Min Aung Hlaing s’apprête à célébrer (dans moins de deux mois) son quinquennat au pouvoir – à la suite du coup d’état militaire du 1er février 2021[1]. La guerre civile sinistre plus que jamais la nation, de l’Etat Kachin (nord) à la région de Tanintharyi (sud), de l’Arakan (ouest) à l’Etat Karen (est). À grands renforts de bombardements aériens, la tatmadaw (armée birmane) n’épargne guère la population civile. Pourtant, la population birmane sera sous peu appelée aux urnes pour désigner ses représentants dans les enceintes parlementaires.
Un scrutin en deux phases, par avance décrié
Lors d’un scrutin programmé (pour des raisons logistiques et de sécurité) en deux phases distinctes (le 28 décembre pour la première, le 11 janvier pour la seconde), les Birmans inscrits sur les listes électorales (revues récemment par la junte…), domiciliés dans des périmètres où les conditions de sécurité permettent la tenue des élections[2], seront « invités » par la State Security and Peace Commission (le nom officiel de la junte) à prendre part à ce premier rendez-vous électoral depuis l’automne 2020.
Le moins que l’on puisse dire est que la perspective de devoir se rendre dans les bureaux de vote (surveillés par le régime) ne suscite pas un enthousiasme débordant, contrastant avec l’engouement populaire du scrutin précédent. Il est vrai qu’alors, la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi exhortait ses millions de sympathisants à déposer leur bulletin (aux couleurs rouge et blanche de la LND) dans l’urne pour consolider le frêle édifice démocratique national.
Tel n’est pas le cas en cette fin d’année 2025. The Lady est embastillée (à l’isolement total et jamais réapparue en public depuis le 1er février 2021 !), la LND est administrativement écartée de la participation au scrutin, et ce dernier se déroulera sans les principales formations politiques prodémocratie, pour le plus grand plaisir des généraux et de leur formation politique affiliée (USDP).
Avant-même le premier bulletin de vote déposé sans crédibilité, ce rendez-vous électoral est par définition façonné sur mesure par un régime militaire qui pense puiser à son issue, dans le décompte favorable des votes, une once de vernis de légitimité populaire. Sans pour autant, dans le pays et au-delà, duper qui que ce soit sur la nature ou les intentions de gouvernance des généraux.
Du reste, en réalité et sans attendre le 28 décembre, cette élection qui brille davantage par son côté ubuesque (en pleine guerre civile) et décalé que par son opportunité a déjà débuté. Dans divers pays (cf. Thaïlande, Corée du Sud, Egypte, etc.), la communauté birmane expatriée recensée et inscrite sur les listes électorales approuvée par la Commission électorale est déjà fortement priée de se rendre par anticipation dans les ambassades birmanes et de prendre part au scrutin décrié de New-York (ONU) à Bruxelles (UE). Là encore, l’engouement populaire ne semble pas être au rendez-vous.
La junte, sans foi ni loi
Il serait bien illusoire de penser que la férule des généraux birmans se montre moins incisive en ces temps de consultation populaire, que la perspective d’élections à venir les contraints à délaisser temporairement les lignes de front pour se concentrer (fut-ce contre-nature) sur les attentes et desiderata de la population, pourtant éreintée de mille manières par quatre années d’hostilités et de drames quotidiens, de carences diverses, de répression allant croissant.
Il ne s’agit guère de se méprendre sur leurs intentions : ainsi, si fin novembre, la junte a annulé les condamnations de plus de 3 000 Birmans condamnés pour des délits mineurs, officiellement, cette rare mansuétude doit « garantir que tous les électeurs éligibles ne perdent pas leur droit de vote lors des prochaines élections générales démocratiques multipartites[3] ».
Parallèlement, à mesure que le rendez-vous électoral se dessine (la campagne électorale[4] a officiellement débuté le 28 octobre), la répression contre les dissidents s’intensifie. Lors de la première quinzaine de novembre, une trentaine d’individus ont été arrêtés et inculpés en vertu de l’Election Protection Law (EPL), accusés notamment d’avoir dégradé des affiches électorales…
La population civile, les contre-offensives de la junte et le fléau des bombardements
Ces dernières semaines sinon ces derniers mois, afin de se présenter en position de force devant les électeurs et tenter de regagner à tout prix le terrain perdu face aux forces combinées de la résistance prodémocratie, la tatmadaw et ses supplétifs locaux (cf. milices ethniques pro-junte) ont redoublé d’efforts, multipliant les offensives, recourant sans mesure ni scrupule quasi-systématiquement à l’appui aérien (bombardement) dès que ses hommes rencontrent quelque résistance chez ses adversaires.
Et peu importe si c’est la population civile, innocente et généralement prise entre deux feux, qui trop souvent paiera de sa vie le prix de cette démesure militaire et de ces incessants déluges de fer et d’acier. En ces premiers jours de décembre, les régions de Sagaing (Wetlet Township) et de Mandalay (Mogoke et Singu townships), offerts aux bombardements des forces du régime, sont une fois de plus les théâtres meurtriers de ces égarements.
Selon le décompte du gouvernement d’unité nationale (National Unity Government – NUG, prodémocratie), pour le seul mois de novembre, près de 150 civils birmans ont perdu la vie dans ces bombardements aveugles (portant le total des victimes civiles à 4 400 depuis le 1er février 2021)[5].
Quand l’ONU se hérisse, entre incompréhension et impuissance
« Comment peut-on affirmer qu’elles (les élections) seront libres et équitables, et comment peuvent-elles même avoir lieu alors qu’une partie considérable du pays n’est en réalité sous le contrôle de personne, que l’armée est partie prenante au conflit et réprime sa population depuis des années ? » déplorait à bon droit le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme (10 novembre). Quelques jours plus tôt – sans être davantage entendu par les généraux de Naypyidaw –, le secrétaire général de l’ONU suggérait à la junte de se concentrer sur l’aide à sa population plutôt que d’organiser un scrutin ni libre ni équitable.
Dans la galaxie onusienne, toujours : le26 novembre, le Mécanisme d’enquête indépendant des Nations unies pour le Myanmar (Independent Investigative Mechanism for Myanmar ; IIMM) annonçait recevoir de plus en plus de rapports faisant état de crimes graves commis à l’approche des élections : « La détention des détracteurs des élections et les frappes aériennes visant à reprendre du territoire avant le scrutin pourraient constituer des crimes contre l’humanité. »
La visite fin novembre[6] à Naypyidaw de l’autoritaire président biélorusse A. Lukashenko – dont le pays compte parmi les fournisseurs d’armes de la tatmadaw et les (rares) soutiens du régime militaire à l’ONU – peine à rehausser la crédibilité tant du scrutin que de ses promoteurs galonnés.
Le soutien extérieur pour ce rendez-vous politique incongru est maigre, en Occident notamment, même si dernièrement, la position de l’administration américaine à son sujet ne manquera pas d’interpeller l’observateur. Finnovembre, selon le gouvernement américain, les ressortissants birmans vivant aux USA sous le statut de protection temporaire (TPS) peuvent désormais « rentrer chez eux en toute sécurité », du fait de « l’amélioration de la gouvernance et de la stabilité », ainsi que des préparatifs du régime en vue de l’organisation d’élections « libres et équitables ». Passons.
(Ad Extra, Olivier Guillard)
[1] Lui-même intervenu dans la foulée, quelques mois plus tôt (octobre 2020), d’un revers du parti pro-junte USDP aux élections remportées haut la main par la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi.
[2] Une condition excluant la participation au scrutin d’une vingtaine de millions de votants potentiels !
[3] AFP, 27 novembre 2025.
[4] Une soixantaine de partis ont annoncé leur programme électoral sur les réseaux sociaux et les chaînes de télévision contrôlées par la junte. 57 partis se présenteront devant les électeurs (seuls six d’entre eux à l’échelle nationale) dans 102 circonscriptions / communes pour la phase 1 (le 28 décembre).
[5] The Irrawaddy, 3 décembre 2025.
[6] L’unique déplacement officiel en Birmanie d’un chef de l’Etat étranger depuis le coup d’état militaire de février 2021…