Entre l’Inde et le Pakistan, une trêve sur le fil du rasoir

Rédigé par A. B., le 23/05/2025
Un cessez-le-feu a été décrété le 10 mai entre l’Inde et le Pakistan, après la plus grave escalade de violence depuis des décennies. Ce retour au calme est intervenu après quatre jours d’intenses affrontements militaires, déclenchés après l’attaque terroriste du 22 avril au Cachemire indien, qui a fait 28 victimes civiles. Dans cette région hautement disputée, où plus de 500 000 soldats se font face, la situation reste tendue. Mais les deux pays ont convenu de retirer « d’ici fin mai » les renforts militaires dans une volonté de désescalade.
C’est une attaque sanglante, le 22 avril dernier, qui a ravivé le conflit entre les deux frères ennemis. À Pahalgam, une région touristique du Cachemire indien, des assaillants ont surgi de la forêt himalayenne, séparant les victimes, principalement des vacanciers, selon leur religion, avant d’exécuter 28 civils, hindous pour la plupart. L’attaque, non revendiquée, est la plus meurtrière contre des civils depuis les attentats de Bombay en 2008.
New Delhi, qui accuse régulièrement Islamabad de soutenir un terrorisme transfrontalier dans la vallée du Cachemire, a immédiatement tenu le Pakistan pour responsable de l’attaque du 22 avril, non revendiquée, sans toutefois fournir de preuves concrètes de l’implication du Pakistan. En représailles, l’armée indienne a lancé, dans la nuit du 6 mai, l’opération Sindoor, ciblant « neuf camps terroristes » en territoire pakistanais.
Le Pakistan, qui a nié toute responsabilité dans l’attaque, a riposté à son tour en frappant des installations militaires indiennes. Pendant quatre jours, les deux armées se sont affrontées à coups de missiles, tirs d’artillerie et attaques de drones. L’intensité de ces ripostes a menacé d’entraîner les deux puissances nucléaires dans une guerre totale. Les frappes ont causé la mort de près de 70 personnes des deux côtés de la frontière, en plus de détruire des sites stratégiques et des installations militaires.
Face à l’ampleur des combats, les capitales étrangères ont tiré la sonnette d’alarme. Le 10 mai, le président américain Donald Trump est intervenu en annonçant un cessez-le-feu immédiat, une décision confirmée peu après par New Delhi et Islamabad. Le dirigeant américain s’est félicité d’avoir évité une « guerre nucléaire aux conséquences catastrophiques ». Bien que plusieurs violations du cessez-le-feu aient été signalées le long de la ligne de contrôle dans les jours suivants, les deux armées ont assuré leur engagement à respecter la trêve.
Trois conflits majeurs ont opposé l’Inde et le Pakistan depuis 1947
La discorde autour du Cachemire remonte à la partition de l’Empire britannique des Indes, en 1947. Cette partition a créé deux États indépendants : l’Inde, fondée sur une identité laïque mais majoritairement hindoue, et le Pakistan, de religion musulmane. Cette division a entraîné l’un des plus grands exodes de l’histoire, poussant des millions de personnes à migrer vers le territoire correspondant à leur religion, provoquant des violences et des massacres à grande échelle.
Le Cachemire, une région à majorité musulmane, est alors dirigé par un maharaja hindou, Hari Singh. Lors de la partition de l’été 1947, le maharaja hésite entre rejoindre l’Inde ou le Pakistan. Face à une invasion de tribus soutenues par le Pakistan, il choisit finalement de se rallier à l’Inde en signant un accord d’accession, déclenchant ainsi la première guerre indo-pakistanaise. Cette guerre se solde par un cessez-le-feu sous l’égide de l’ONU et une scission de l’ancienne province entre l’Inde et le Pakistan, la question du statut du Cachemire demeurant non résolue.
Depuis lors, trois conflits majeurs ont opposé l’Inde et le Pakistan, dont deux pour le contrôle du Cachemire. La ligne de contrôle (LoC), qui divise la région entre les deux pays, n’est qu’une frontière de facto. Chaque nation continue de revendiquer l’intégralité du territoire, en invoquant une légitimité historique et nationale.
En Inde, la question du Cachemire demeure un sujet délicat
À partir de 1989, le Cachemire indien est devenu le théâtre d’une insurrection armée, menée par des groupes séparatistes ou partisans d’un rattachement au Pakistan. L’Inde accuse son voisin de leur apporter un soutien et de faciliter l’infiltration de combattants entraînés au Pakistan par la frontière commune. New Delhi a déployé son armée dans la vallée pour tenter d’étouffer l’insurrection, transformant la région en l’un des endroits les plus militarisés au monde. Le conflit a fait des dizaines de milliers de victimes, et les violations des droits humains sont fréquentes, sous l’impact de la répression militaire. Les habitants vivent sous une surveillance constante, alimentant un cycle de violences et de souffrances.
En Inde, la question du Cachemire demeure un sujet délicat, et ceux qui osent critiquer la stratégie des autorités sont souvent accusés de ne pas être patriotes. Cette tendance s’est accentuée sous l’ère du Premier ministre Narendra Modi, fervent défenseur du nationalisme hindou. Au cours des dernières années, Modi a notamment cherché à imposer l’idée d’une « normalisation » de la situation au Cachemire, mettant en avant un discours axé sur le développement économique et touristique. Cette approche a visé à présenter le Cachemire comme une région en pleine prospérité, tout en minimisant les tensions politiques et les violations des droits humains qui perdurent dans cette zone fortement militarisée.
Aujourd’hui, la rhétorique entre les deux nations reste très agressive
L’action la plus marquante du gouvernement Modi a été l’abrogation brutale, le 5 août 2019, de l’article 370 de la Constitution indienne, qui accordait une autonomie partielle au Jammu-et-Cachemire. Cette décision a conduit à la mise sous administration directe de la région par New Delhi. Considérée comme un coup de force, la mesure a été suivie de coupures de communications, d’un couvre-feu strict et d’une répression renforcée. Pour le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou au pouvoir, l’abrogation de l’article 370 visait à « réparer une erreur historique ». Mais pour les Cachemiris, majoritairement musulmans, cette décision a été perçue comme une tentative de domination et une négation de leurs aspirations.
Quelques mois plus tôt, en février 2019, l’armée de l’air indienne avait mené un raid aérien contre des bases terroristes au Pakistan, en représailles à un attentat-suicide à Balakot, dans le Cachemire indien, qui avait ciblé un convoi militaire indien. Pendant plusieurs mois, les deux nations se sont ensuite affrontées par tirs de part et d’autre de la ligne de contrôle.
Aujourd’hui, la rhétorique entre les deux nations reste toujours très agressive, alimentée par une guerre de l’information, des nationalismes exacerbés et des stratégies de propagande de part et d’autre de la frontière. Par ailleurs, l’Inde a décidé de suspendre le traité historique de partage des eaux de l’Indus, tant que le Pakistan ne cessera pas son soutien au « terrorisme transfrontalier ». Ce traité, qui garantissait l’approvisionnement en eau du Pakistan, avait été respecté pendant plus de six décennies. Islamabad considère cette décision comme une provocation majeure.
Si les tensions demeurent vives, les deux pays ont néanmoins convenu de retirer leurs renforts militaires déployés à la frontière du Cachemire et de les replacer à leurs positions habituelles d’ici la fin du mois de mai. Cette décision marque une étape significative dans la désescalade, après la confrontation la plus grave entre les deux nations depuis des décennies.
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