Corée du Sud

La feuille de route « apaisée » du président Lee, solution éphémère aux maux du « pays du Matin calme » ?

Lee Jae-myung, le 21e président sud-coréen, ici sur scène le 30 avril lors du lancement de sa campagne électorale. Lee Jae-myung, le 21e président sud-coréen, ici sur scène le 30 avril lors du lancement de sa campagne électorale. © Democratic Party of Korea / Catholic Times of Korea
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Porté au pouvoir à la suite d’un scrutin anticipé marqué par une forte participation, le libéral Lee Jae-myung succède à l’ex-président destitué Yoon Suk-yeol à la tête d’une Corée du Sud divisée et en pleine crise sociopolitique. Fort d’une victoire nette et d’un Parlement acquis à sa cause, le nouveau chef de l’État s’engage dans une feuille de route axée sur la réconciliation nationale, la relance économique et la reprise du dialogue avec Pyongyang, dans un contexte régional sous haute tension. Par le géopolitologue Olivier Guillard.

Dans le sud de la péninsule coréenne, après avoir convoqué aux urnes ce mardi 3 juin ses 40 millions d’électeurs (avec une participation de près de 80 %), le « pays du Matin calme », 4économie d’Asie-Pacifique (13e rang mondial en termes de PIB nominal), recouvre un semblant de normalité.

La Corée du Sud a accueilli officiellement son 21e président en la personne du candidat du parti démocratique (Democratic party, DP), Lee Jae-myung, qui est sorti victorieux sans conteste du scrutin en recueillant près de 50 % des suffrages exprimés.

Après seulement trois ans, le mandat de l’ex-président conservateur Yoon Suk-yeol s’est achevé précipitamment (avec sa carrière politique) avec sa destitution récente (début avril), dans la foulée de la proclamation éphémère (quelques heures à peine) de la loi martiale en décembre dernier.

Une arrivée au pouvoir dans l’urgence

Lee Jae-myung, qui était déjà candidat en 2022 et qui avait connu une expérience électorale amère contre le président conservateur déchu, regagne donc la lumière et prend les rênes d’une nation encore sonnée par le tumulte politico-institutionnel du semestre écoulé.

La « prise en mains » de son nouveau mandat s’est faite au pas de course ou presque. Peu de temps a été consacré aux cérémonials, célébrations et satisfécits électoraux, ramenant sans transition les libéraux au pouvoir (après le mandat présidentiel de Moon Jae-in, de 2017-2022), sur les ruines d’un PPP conservateur (parti de l’ancien président destitué Yoon Suk-yeol) qui n’aura pu se remettre à temps du chaos des derniers mois.

À Séoul et à la Maison Bleue (la présidence sud-coréenne), le tempo est à l’urgence, au redémarrage toute affaire cessante, à la vigoureuse prise à bras le corps d’une foultitude de dossiers majeurs. La nouvelle équipe présidentielle devra donc y consacrer toute l’attention (et son bon jugement), quand bien même elle n’aurait pas encore eu l’opportunité de défaire ses cartons dans ses nouveaux murs.

Lee Jae-Myung, élu 21e président de Corée du Sud le 4 juin, ici en 2017 en Chine alors qu’il était maire de la ville de Seongnam.
Lee Jae-Myung, élu 21e président de Corée du Sud le 4 juin, ici en 2017 en Chine alors qu’il était maire de la ville de Seongnam.
© World Economic Forum / CC BY-NC-SA 2.0

Un président atypique, porteur d’espoirs

Les Sud-Coréens attendent notamment de leur nouveau souriant président sexagénaire, à l’énergie manifeste et au profil personnel particulier (d’une extraction familiale modeste, à la carrière méritante et opiniâtre, de l’usine au barreau, des fonctions d’édile à celle de gouverneur et de chef de l’opposition à chef de l’État), qu’il mette sans tarder au profit de l’intérêt national cette somme de qualités, d’expériences, de convictions et d’espoir.

Il s’agit autant de tourner aussi vite que possible le chapitre confus, peu glorieux et coûteux (en termes économique et pour l’image extérieure du pays) de la fin précipitée du mandat sortant que de relancer sans tarder la nation sur une trajectoire plus conforme à ses attentes, à son statut, à ses ambitions.

Pour cela, il s’agit de s’atteler dès la première minute aux priorités du moment, au niveau domestique tout particulièrement. Notamment pour relancer une économie atone (contraction du PIB au premier trimestre 2025), sinistrée pour partie par la paralysie généralisée du semestre écoulé et la défiance des investisseurs, alors même que de délicates « négociations » avec l’administration Trump 2.0 sur l’imposition des droits de douanes (+25 %) se profilent incessamment.

« Je serai un président pour tous »

Dans cette nation clivée politiquement (mais disposant à nouveau depuis le 4 juin d’un alignement entre la Présidence et l’Assemblée nationale, tous deux dans le giron du DP) et éreintée par l’improbable épisode de loi martiale (avortée) évoquée plus haut, l’heure est aussi au pardon et à la réunification. Non pas avec la défiante Corée du Nord voisine, mais entre ses 51 millions de concitoyens.

Depuis la tribune solennelle de l’Assemblée nationale, le nouveau chef de l’Etat, a lancé, main droite levée, costume sombre et verbe convaincant : « Peu importe qui vous avez soutenu lors de cette élection, je serai un président pour tous, qui embrassera et servira chaque citoyen. Il est temps de rétablir la sécurité et la paix, qui ont été réduites à des outils de lutte politique ; de reconstruire les moyens de subsistance et l’économie endommagés par l’indifférence, l’incompétence et l’irresponsabilité ; et de raviver la démocratie sapée par les véhicules blindés et les fusils automatiques. Je formerai un gouvernement qui soutient et encourage, et non un gouvernement qui contrôle et dirige. »

Bien sûr, depuis ces premières lignes d’un discours présidentiel énergique et plein d’allant, la route est longue avant leur mise en œuvre sur le terrain mouvant d’un pays « abimé » par l’éprouvant semestre écoulé.

Celui qui a échappé de peu à une tentative d’homicide début 2024 (lors de la visite d’un chantier à Busan) sait qu’aucun délai de grâce, aucune mansuétude particulière[1], ni aucun pardon (à commencer par celui des nombreux sympathisants du camp conservateur) ne lui sera accordé dans les premiers temps de son unique mandat quinquennal.

De lourds défis à relever

Garde-fou ou faiblesse, la Constitution sud-coréenne limite à un seul mandat présidentiel l’exercice du pouvoir. Mais chacun reconnait en parallèle combien la feuille de route présidentielle de cet ancien avocat de profession, né une dizaine d’années après la fin du conflit intercoréen (1950-53) et ayant milité de toutes ses forces pour que la démocratie l’emporte sur le régime militaire (fin des années 80), s’avère délicate, notamment sur certains volets de politique extérieure.

À commencer par les contours à « revisiter » de la relation stratégique avec Washington, cette alliée américaine de Séoul de toujours ou presque (conclusion du traité de défense mutuelle en 1953), aujourd’hui drapée dans une posture faisant peu cas du sort de ses plus proches partenaires (en Asie-Pacifique comme ailleurs).

La posture mercantiliste est assumée, « allégée » de tout considérant moral et historique : c’est un choc des cultures pour nombre de Sud-Coréens, chez les libéraux notamment, lesquels n’avaient déjà pas très bien vécu le décalage soudain entre les deux capitales lors du premier mandat de Donald Trump (2017-2021), la cohabitation avec le chef de l’Etat libéral Moon Jae-in ayant contraint ce dernier à des trésors infinis de patience et d’abnégation, notamment pour ce qui concernait le très sensible dossier nord-coréen.

Renouer à tout prix le fil du dialogue avec Pyongyang

Sur ce point particulier, le successeur de l’infortuné Yoon Suk-yeol à la Maison Bleue a clairement déjà fait état de sa volonté de rupture avec la mandature sortante, et de son souhait de renouer à tout prix le fil du dialogue avec la défiante Pyongyang (aussi hardie soit cette dernière, depuis la conclusion en juin 2024 du Traité de partenariat stratégique global entre la Corée du Nord et la Russie).

Ce même au risque de s’attirer les foudres de la Maison Blanche dont le locataire actuel, de son côté, ne fait pas mystère de son projet de renouer lui aussi prochainement avec son « ami Kim ». En effet, fut un temps pas si lointain (lors de la première mandature Trump 2017-2021), une improbable « bromance » avait cours, jalonnée de trois rencontres plus ou moins abouties (à Singapour en juin 2018 ; à Hanoi en février 2019 ; et enfin dans la zone démilitarisée intercoréenne en juin 2019).

Jeudi 5 juin, deux jours après l’officialisation de l’identité du nouveau chef de l’État sud-coréen, les médias d’État de la dictature héréditaire kimiste du Nord (la Korean Central News Agency ; le Rodong Sinmun) ont enfin rapporté, très succinctement et factuellement, sans trop s’étendre sur le contexte du scrutin, le retour aux affaires d’un président libéral à la Maison Bleue. Qu’ils soient tranchants ou encourageants, les premiers commentaires post-électoraux du régime nord-coréen ne devraient plus tarder à fuser en direction de Séoul.

Une diplomatie à l’équilibre

Un mot encore sur les contours de la politique étrangère que souhaite mettre en place le nouveau chef de l’État sud-coréen. Tout en affinant le modus operandi de sa relation avec Washington, l’administration Lee Jae-myung entend capitaliser sur le récent « mieux être » des rapports Séoul-Tokyo.

Il s’agit aussi pour Séoul de demeurer en bons termes avec son premier partenaire commercial, la République populaire de Chine du président Xi Jinping (lequel n’a pas manqué de féliciter l’heureux élu une fois le verdict des urnes connu), étant donné la proximité historique entre Pékin et Pyongyang.

Déjà, dans les milieux conservateurs de Séoul, les grandes lignes de cette politique étrangère revisitée suscitent quelques grincements de dents. Espérons pour la nouvelle équipe présidentielle que ses velléités générales de dialogue et d’apaisement n’en fassent pas les frais.

En résumé, la mission du président Lee est immense : reconstruire un pays secoué par la crise politique, redonner confiance aux citoyens et repositionner la Corée du Sud dans une région instable. Son mandat, unique par définition, ne lui laisse pas le droit à l’erreur.

(Ad Extra, Olivier Guillard)


[1] Ses adversaires d’aujourd’hui comptent bien tirer profit des diverses procédures en cours d’instruction (cf. soupçon de corruption, infraction à la législation électorale, etc.) sur lesquelles la justice devra se pencher sous peu.

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