« Le ministère de la guérison » : les catholiques bangladais au chevet des malades
Francis Atul Sarker, directeur de l’hôpital Saint-Jean-Vianney de Dacca. © A. R.Le 16/12/2023
Dans le 3e pays musulman le plus peuplé au monde, la petite minorité chrétienne est active. Si la tradition d’entraide des chrétiens s’étend à travers tout le sous-continent indien, elle est particulièrement implantée au Bangladesh. Dans un pays confronté aux catastrophes naturelles récurrentes et à la pauvreté, l’Église se distingue notamment par son engagement éducatif et médical. Au cœur de Dacca, l’hôpital catholique Saint-Jean-Vianney offre des services sans discrimination et s’est rapidement forgé une bonne réputation. Reportage.
À Dacca, dans le quartier bruyant de Tejgaon, l’enceinte du petit hôpital St John Vianney est un havre de paix. Avec ses 20 lits et un large service de consultations externes, les bâtiments sont agencés autour d’un jardin bien entretenu et d’une petite chapelle. Ouvert en novembre 2019, il s’agit du seul hôpital catholique dans la capitale de 23 millions d’habitants, l’Église comptabilisant cinq hôpitaux et 70 dispensaires à l’échelle du Bangladesh.
Il y a quelques années, les bâtiments abritaient un centre d’artisanat tenu par des sœurs et destiné à des veuves et des femmes destituées. Aujourd’hui, l’hôpital œuvre afin que chaque patient soit soigné avec égalité, qualité, et compassion. « Saint John Vianney travaillera en protégeant certaines valeurs universelles comme la vie et la santé, le respect et l’amour, l’affection et les soins, l’abnégation et le service, l’honnêteté et la loyauté. Ce seront les valeurs vécues au sein de l’institution », a déclaré, lors de l’inauguration de l’hôpital en novembre 2019, le cardinal Patrick D’Rozario, archevêque émérite de Dhaka.
Depuis, l’hôpital s’est doté de tous les services nécessaires aux soins généraux, de la radiologie au laboratoire d’analyse, d’une salle d’opération à un cabinet dentaire, et a également installé une pharmacie à l’entrée. « Lorsque nous avons converti le centre en hôpital, la pandémie de Covid-19 débutait et nous avons été débordés par l’afflux de patients. Grâce à Dieu, nous avons pu fournir de bons services durant cette période. Nous sommes très fiers du travail accompli car près de 200 vies ont pu être sauvées, explique le directeur, Francis Atul Sarker. « Cette année encore, nous nous sommes adaptés face à l’épidémie de dengue qui a frappé le Bangladesh. Nous avons créé un département pour dépister le virus et fournir des soins. » Près de 2 000 patients souffrant de la dengue ont ainsi été soignés cette année dans l’établissement.
« La discrimination religieuse existe dans d’autres hôpitaux, mais pas ici »
Si l’hôpital est à but non-lucratif, les patients qui en ont les moyens payent ses services à un prix plancher. « Nous ne faisons aucun profit mais, en même temps, nous devons payer des impôts et acheter des médicaments et du matériel. Les consultations, par exemple, sont facturées 200 takas [1,67 euros], ce qui est relativement bas. Les soins, les interventions et les médicaments sont également proposés à un prix minimal. Pour ceux qui n’en ont pas les moyens, nous offrons des réductions ou des soins gratuits. » Les activités de l’hôpital s’étendent également à des programmes de prévention et à la tenue de camps médicaux dans des écoles, bidonvilles, villages et communautés. Les gens peuvent ainsi se faire établir des bilans de santé et sont orientés pour les traitements éventuels.
Plus de 70 personnes travaillent à l’hôpital. Si quatre médecins sont employés à plein temps, 26 spécialistes se relaient pour les consultations ouvertes chaque après-midi. Seuls deux ou trois d’entre eux sont chrétiens, la grande majorité des docteurs étant musulmans. Ces spécialistes offrent ici leurs services en dehors de leur cabinet régulier. « La beauté de notre organisation est que ces excellents docteurs viennent œuvrer au service de la communauté », affirme le directeur. « Par ailleurs, nos patients appartiennent à différents milieux et religions. La discrimination religieuse existe dans d’autres hôpitaux, mais pas ici. »
L’accès aux soins, un enjeu de taille au Bangladesh
« Nos patients viennent de différents horizons », témoigne en souriant sœur Gloria, âgée de 56 ans. Débordante d’énergie, elle est la religieuse infirmière chargée du bloc opératoire, près d’un couloir où sont encadrés des portraits du pape François, venu au Bangladesh du 30 novembre au 2 décembre 2017. « Nous sommes au cœur de Dacca et il y a beaucoup d’hôpitaux tout autour », poursuit la religieuse.
« Mais ici, notre conduite est éthique, sérieuse et respectueuse. Car il y a de nombreux hôpitaux qui profitent des patients, des docteurs qui font payer de façon disproportionnée, et quantité de pratiques illégales. Dans notre hôpital, ces choses-là sont impossibles. Nous sommes éthiquement très engagés ! Les gens apprécient nos services et se sentent en sécurité, même si nous n’avons que 20 lits disponibles. Tous les jours, quand les professeurs viennent pour les consultations, la salle d’attente est pleine. » Au Bangladesh, l’accès aux soins médicaux est un enjeu de taille, avec, en moyenne, un docteur pour 2 500 patients.
Ce jour-là, dans la salle de physiothérapie, deux femmes reçoivent des soins, allongées côte à côte sur deux lits. L’une, Reema, est musulmane, et l’autre, Marlene, est chrétienne. Interrogées, les deux patientes ne tarissent pas d’éloges sur les services de l’hôpital. « Les docteurs et les infirmières sont très dévoués », dit Reema. « Je suis des séances de physiothérapie depuis un an et cela me fait beaucoup de bien. En plus, c’est pratique, car je n’habite pas loin. »
« La promotion de l’éducation est allée de pair avec celle de la santé »
Ce quartier de Tejgaon abrite une importante population chrétienne. Sa paroisse est la plus importante du Bangladesh, avec plus de 17 000 fidèles. Certains habitants portent encore des noms d’origine portugaise, hérités de l’activité historique des missionnaires portugais. En effet, les commerçants portugais établirent en 1535 un port commercial à Chittagong, et la première communauté catholique du Bangladesh s’y installa en 1537. La première église catholique fut construite en 1599 dans le district de Satkhira. À Dacca, le christianisme fut introduit en 1612 par des missionnaires qui érigèrent, en 1677, l’église du Saint-Rosaire, la plus ancienne église de la capitale.
Cette église se trouve à Tejgaon, le quartier de l’hôpital, qui abrite également l’école et université de Sainte-Croix, d’où sortent de joyeux essaims d’élèves en uniformes, et une autre école réservée aux filles. « La promotion de l’éducation est allée de pair avec celle de la santé », commente Francis Atul Sarker, le directeur de l’hôpital. Tenus par différentes congrégations, il y a encore un centre de formation technique pour les habitants, une mission des Missionnaires de la Charité pour les plus démunis, et enfin un centre social et éducatif pour la communauté catholique.
« Cet hôpital donne aussi un témoignage du ministère de la guérison de Jésus »
Dans le quartier, les chrétiens cohabitent en paix aux côtés des musulmans. À l’échelle du pays, des rapports des droits humains mettent néanmoins en lumière des incidents qui visent à l’occasion la minorité chrétienne au Bangladesh. Le pays est classé à la trentième position de l’Index Mondial de Persécution des Chrétiens.
« En général, il n’y a pas de tensions ici », assure Francis Atul Sarker. « Notre communauté est très appréciée, notamment en raison de notre contribution dans le domaine de l’éducation. Par exemple, à Dacca, l’école et l’université de Notre-Dame, et celles de Sainte-Croix, sont très prestigieuses. Ces établissements produisent beaucoup de ministres et de hauts fonctionnaires de notre pays ! »
L’hôpital, quant à lui, va entrer en contrat avec la municipalité de Dacca afin de servir de centre d’inoculation immunitaire pour les enfants. « Le gouvernement a choisi notre hôpital et ce sera une coopération de grande valeur », commente le directeur. « En tant qu’institution médicale, nous portons le témoignage et la preuve de l’amour de Jésus. Jésus a soigné des lépreux et donné sa vie pour prendre soin des plus pauvres. Cet hôpital donne aussi un témoignage du ministère de la guérison de Jésus. »
(EDA / A. R.)