Divers horizons

Le Saint-Siège aux époques moderne et contemporaine : mission universelle, évangélisation et diplomatie pontificale

Landry Védrenne
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Le samedi 9 décembre 2023, un colloque international s’est tenu aux Missions Étrangères de Paris, sur le thème suivant : « Le Saint-Siège aux époques moderne et contemporaine : mission universelle, évangélisation et diplomatie pontificale ».

Cette journée d’étude visait à approfondir la réflexion sur le rôle singulier que joue le Saint-Siège sur la scène internationale. En raison de son statut juridique unique et des objectifs qu’il poursuit, le Saint-Siège occupe une position particulière parmi les nations. Représenté par le Pape, à la fois chef spirituel et temporel, le Saint-Siège entend mener dans le monde sa haute mission d’annonce de l’Évangile et d’établissement de la paix pour tous, tout en gardant sa neutralité voire son impartialité.

Le Souverain pontife utilise une diplomatie de médiation et d’influence non seulement pour défendre les intérêts catholiques mais aussi pour la protection de chaque personne, le respect de la liberté religieuse, et la concorde entre les peuples.

Le Pape dispose de la curie romaine pour mener sa mission comme successeur de saint Pierre. Comment les divers dicastères l’assistent-ils dans sa charge pétrinienne ? Quels sont les défis d’une telle mission ?

À partir d’un panorama allant de l’époque moderne à nos jours et en considérant plusieurs continents, ce colloque a l’ambition d’apporter un éclairage sur les enjeux diplomatiques et missionnaires du gouvernement pontifical. Les intervenants ont abordé ces problématiques en examinant le rôle de deux dicastères en particulier : la Secrétairerie d’État et celui de l’Évangélisation, anciennement la Congrégation de Propaganda Fide. Le colloque s’est articulé autour de quatre panels thématiques :

Panel 1 : La Secrétairerie d’État et le dicastère de l’Évangélisation : acteurs de la diplomatie pontificale et de la mission universelle de l’Église

  • Le dr Johan Ickx a présenté en détail le fonds des Archives de la Secrétairerie d’État du Vatican – Section pour les rapports entre les États et les Organisations internationales. Il a mis en lumière la richesse de ces archives, qui contiennent une vaste collection de documents diplomatiques, de correspondances et de rapports liés aux relations internationales du Saint-Siège. Il a également souligné l’importance cruciale de ces ressources pour la recherche sur le gouvernement pontifical, permettant de mieux comprendre l’évolution des stratégies diplomatiques du Vatican, ses interactions avec les États et son rôle dans la médiation internationale à diverses époques.
  • Don Flavio Belluomini (directeur des Archives historiques de Propaganda Fide) a proposé une intervention intitulée « La divisio Orbis et le recours aux nonces par la Propaganda aux XVIIe-XVIIIe siècles ». Il a expliqué comment la Propaganda Fide, fondée en 1622, a organisé la mission universelle de l’Église en répartissant le monde en zones géographiques sous la direction des nonces apostoliques. Ces derniers, véritables relais du Saint-Siège, jouèrent un rôle clé dans la gestion des missions et l’expansion de la foi catholique, tout en renforçant la centralisation du pouvoir romain.
  • Le professeur Claude Prudhomme (Université Lumière Lyon 2) a exposé « Missions, diplomatie et géopolitique pontificale aux XIXe et XXe siècles (1878-1960 env.) ». Il a proposé une analyse approfondie des relations complexes entre la diplomatie pontificale et l’expansion missionnaire, soulignant que la diffusion du catholicisme au XIXe et XXe siècles nécessitait une constante négociation avec les pouvoirs politiques. En s’appuyant sur des exemples asiatiques, il a montré comment la papauté a dû concilier l’indépendance des missions avec les impératifs géopolitiques, tout en préservant l’autorité spirituelle du Saint-Siège face aux intérêts des puissances coloniales.

Panel 2 : Le Saint-Siège et l’Occident

  • Le dr Gianfranco Armando (Archives Apostoliques du Vatican) a exploré les relations entre la France et le Saint-Siège à travers sa présentation : « De l’Union sacrée à la canonisation de Jeanne d’Arc. Le rétablissement des relations diplomatiques entre le Saint-Siège et la France ». Il a retracé le processus de réconciliation après la rupture des relations en 1904, marquée par l’envoi de Mgr Bonaventura Cerretti à Paris en 1921.
  • Don Roberto Regoli (Université pontificale grégorienne) a partagé ses recherches sur le pontificat de Pie XII : « Le Saint-Siège et les États-Unis durant le pontificat de Pie XII », mettant en lumière les relations diplomatiques croissantes entre le Vatican et Washington. Il a montré comment ces deux puissances ont convergé, notamment pendant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, en raison de l’anticommunisme partagé. Don Regoli a également souligné l’importance stratégique de cette alliance pour le positionnement du Saint-Siège dans le bloc occidental, tout en préservant une certaine indépendance diplomatique du Vatican face aux intérêts américains.
  • Sam Kuijken (KU Leuven, Deutsches Historisches Institut) a présenté ses recherches sur « The internationalization of Catholic Action : from exporting ‘the West’ to de-occidentalizing the Church ». Il a analysé comment, sous les pontificats de Pie XI et Pie XII, l’Action catholique, initialement centrée sur un modèle romain hiérarchisé, s’est internationalisée. Cette évolution, marquée par l’indigénisation du clergé et la diffusion des mouvements spécialisés comme la JOC, a progressivement décentré l’influence de Rome, ouvrant la voie à une approche plus globale et horizontale du catholicisme.

Panel 3 : Le Saint-Siège et les missions

  • Le professeur Dries Vanysacker (KU Leuven, KADOC) a abordé « Le sport dans les missions catholiques du Congo belge » à partir des archives des délégués apostoliques à Léopoldville (1930-1958). Il a montré comment les délégués, tels que Mgr Dellepiane et Mgr Sigismondi, ont encouragé l’organisation d’activités sportives dans les missions, utilisant le sport comme outil d’action catholique et sociale. L’accent a été mis sur les initiatives du scheutiste Raphaël de la Kethulle de Ryhove, qui a développé des infrastructures sportives et formé des moniteurs congolais d’éducation physique.
  • Le Dr Elisabeth Bruyère (Academia Belgica, KU Leuven) a présenté « La politique africaine du Saint-Siège : typologisation des activités du Délégué apostolique à Léopoldville (1930-1949) ». Elle a analysé le rôle de Mgr Giovanni Battista Dellepiane, premier délégué apostolique au Congo belge, dans ses relations avec les autorités coloniales et son influence sur le développement des missions. Elle a démontré comment Mgr Dellepiane joua un rôle clé dans la promotion du clergé local et dans la conduite d’actions humanitaires pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • Le professeur Isabel Harvey (Université du Québec à Montréal, UCLouvain) a abordé, en visioconférence, « Le Saint-Siège et les missions en Nouvelle-France au XVIIe siècle ».
  • Le Père Landry Védrenne (Institut Catholique de Paris/FASSED, French Taiwan Studies Project à l’EHESS) a proposé une analyse approfondie des relations sino-vaticanes sous les pontificats de Pie XI et Pie XII, couvrant la période de l’entre-deux-guerres, la Seconde Guerre mondiale et la seconde guerre sino-japonaise. Son intervention, intitulée « Le Saint-Siège et la République de Chine : élaboration d’une Sinopolitik de 1919 à 1946 », a mis en lumière les stratégies diplomatiques et missionnaires développées par la papauté dans ce contexte historique complexe.
  • Le professeur Claire Tran Lien (Université Paris Cité) a exposé « Diplomatie et stratégie vaticane : Église et nationalisme vietnamien en contexte colonial ».

Panel 4 : Le Saint-Siège et la diplomatie de l’Art

  • Le professeur Emmanuel Lincot (Institut Catholique de Paris, IRIS) a traité du sujet « Art sino-chrétien, principes d’inculturation et influences romaines en Chine de 1949 à nos jours ». Quel est le legs sinochrétien dans le domaine des arts en Chine ? Comment a-t-il survécu aux épreuves de la censure ? S’y interroger revient à questionner le rôle essentiel exercé par les missions qui associent le continent chinois à ses périphéries dans une ré-interprétation des canons esthétiques comme à une adaptation constante du Saint-Siège au monde chinois et à ses attentes.
  • Alysée Le Druillenec (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UCLouvain) a présenté « La diplomatie Sud-Asiatique à Versailles : de la proskynèse à la surrection ».
  • Wenjie Su (Princeton University, Courtauld Institute of Art), en visioconférence, a proposé une réflexion sur « The clockwork diplomacy and its discontents : Jesuit missionaries at the crossroads of theology, knowledge, and theatricality in 17th-century China ». Elle a mis en lumière l’ingéniosité des missionnaires jésuites qui utilisaient des horloges mécaniques comme outils diplomatiques et pédagogiques pour établir des liens avec les élites chinoises et introduire des concepts théologiques. Ces horloges incarnaient l’idée de la création divine, offrant ainsi aux missionnaires une nouvelle approche pour engager des dialogues philosophiques et religieux dans la Chine du XVIIe siècle.

Ce colloque a permis d’explorer les dimensions complexes de la diplomatie pontificale et des missions dans une perspective historique et géographique élargie, en soulignant le rôle central du Saint-Siège dans les affaires internationales et religieuses. En s’appuyant sur l’expertise d’archivistes du Vatican, ainsi que de spécialistes en papauté, diplomatie apostolique, géopolitique, missiologie, et histoire des missions et de l’art, il a offert des clés essentielles pour mieux comprendre la position et l’influence du Saint-Siège au sein de la communauté internationale.

Père Landry Védrenne, MEP

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