Typologisation des activités du délégué apostolique à Léopoldville (1930-1949)
Rédigé par Dr Elisabeth Bruyère (Academia Belgica, Vrije Universiteit Brussel), le 25/10/2024
Dellepiane affirme, en 1946, ne pas avoir cessé un jour de travailler depuis neuf ans. Quels contours a-t-il donné à la fonction de délégué apostolique à Léopoldville, qu’il était le premier à occuper de 1930 à 1949 ? À cette question, le droit canonique n’est pas en mesure de répondre, car il ne consacre que quelques lignes abstraites à cette fonction développée stratégiquement par le Saint-Siège depuis la Grande Guerre. Une étude approfondie des archives vaticanes s’avère indispensable pour comprendre les activités du délégué apostolique.
Sur le plan de la diplomatie externe, prérogative qu’il n’a théoriquement pas – c’est précisément ce qui le distingue d’un Nonce apostolique – Dellepiane est en contact permanent avec les autorités coloniales, notamment le Ministre des colonies, le Gouverneur général du Congo belge et le Gouverneur du Ruanda-Urundi, et occasionnellement, lors de ses voyages en Belgique (environ quatre) avec les figures ecclésiastiques et politiques de la métropole mais aussi avec la monarchie. Il exerce un soft power en faveur des missions catholiques actuelles et futures des colonies belges.
Durant la seconde guerre mondiale, il remplit, d’initiative, différents rôles d’importance. Il développe une assistance charitable en faveur des prisonniers de guerre (notamment les italiens, capturés lors de la campagne d’Abyssinie) et des internés civils (italiens, allemands et autrichiens). Il coordonne une assistance matérielle, spirituelle et morale. Il fait par ailleurs circuler des nouvelles entre la colonie et la métropole, désormais complètement déconnectées, via le Vatican, pour rassurer les familles séparées par la guerre. Au total, il transfère 60 000 messages. Sur le plan politique, il observe, et exige des missionnaires, une implacable neutralité, et un indéfectible soutien au roi Léopold III, à l’instar du Vatican.
Sur le plan de la diplomatie interne, Dellepiane redéfinit véritablement les relations de pouvoir se déployant dans le monde missionnaire. Son action renforce le pouvoir des supérieurs ecclésiastiques (Vicaires et préfets apostoliques), au détriment des congrégations et supérieurs religieux. La verticalité du pouvoir s’accentue. Les Ordinaires doivent devenir les uniques interlocuteurs des autorités coloniales et leur responsabilité vis-à-vis de leurs collaborateurs s’accentue. Chapeautant le tout, Dellepiane s’arroge un pouvoir d’injonction. Dans cette mesure, personne n’échappe à ses réprimandes. Nombres d’Ordinaires en font les frais et se trouvent invités par la Propagande à présenter leur démission.
Enfin, l’activité de Dellepiane est particulièrement patente sur le plan du développement du clergé autochtone. Tant au niveau des séminaires que de l’exercice du sacerdoce, l’activité du délégué apostolique se traduit par une égalisation des clergés missionnaire et natif et vers une autonomisation (très progressive) du clergé dit « indigène ». Sous cet aspect, il est poussé de manière très explicite par la Propaganda Fide. Cela aboutit à la nomination d’Aloys Bigirumwami, premier évêque natif de l’espace colonial belge, en 1952, soit trois ans après son départ, sous les auspices de son successeur Mgr Pietro Sigismondi.
Confirmant les études historiographiques portant sur d’autres espaces géographiques, le travail du délégué apostolique à Léopoldville a été orienté vers l’universalité de l’Église sur le plan religieux et vers l’affirmation du Saint-Siège comme pouvoir supranational et impartial sur le plan politique. Ces deux aspects, orientés vers la centralisation romaine, ne sont que les deux faces de la même pièce.
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