Mgr Joseph Hung : « La béatification de Mgr Lambert serait une reconnaissance de son héritage missionnaire »
Le 13 janvier 2024, durant la messe d’ouverture de la phase diocésaine de la cause de béatification de Mgr Pierre Lambert de la Motte, en présence de 20 000 personnes. © P. Étienne FréconLe 08/06/2024
Interview. Mgr Joseph Hung, évêque de Phan Thiet, secrétaire général de la conférence épiscopale vietnamienne, est chargé de la cause de béatification de Mgr Pierre Lambert de la Motte. Le 13 janvier 2024, une célébration d’ouverture officielle a eu lieu à Phan Thiet, dans son diocèse, en présence de 20 000 personnes. L’évêque décrit ici les fruits missionnaires de cette cause pour l’avenir de l’évangélisation au Vietnam. Une occasion de parler aussi de l’héritage de l’histoire des relations entre la France et le Vietnam.
Mgr Joseph Hun, où en est la cause de béatification de Mgr Pierre Lambert de la Motte, cofondateur des MEP et premier évêque de l’Église du Vietnam en 1659 ?
La cause de Mgr Lambert a été lancée en l’an 2000, mais il y a eu en quelque sorte une période de rupture de 2010 à 2018. Puis en 2018, l’Église du Vietnam a relancé la cause. Le dossier a été confié par la conférence épiscopale à Mgr Joseph Do Van Thiet, archevêque de Hanoï, et à moi-même, afin de prendre en charge la cause de béatification de Mgr Lambert de la Motte. Voilà la situation actuelle. Le 13 janvier 2024, nous avons célébré une cérémonie d’ouverture officielle de la cause au centre marial de Ta Pao, dans mon diocèse de Phan Thiet. Il y a eu environ 20 000 personnes pour l’occasion à Notre-Dame de Ta Pao (« Ta Pao » est une expression issue d’une langue ethnique minoritaire, qui signifie « beau rêve »).
L’Église du Vietnam a reçu un grand héritage de Mgr Pierre de la Motte, d’abord pour le clergé vietnamien, puis pour les congrégations des sœurs Amantes de la Croix. Celles-ci sont plus de 10 000 au Vietnam. Et on comptait, en 2022, environ 2 500 séminaristes et plus de 2 000 élèves dans les petits séminaires. Depuis le premier séminaire fondé en Asie par Mgr Lambert et Mgr François Pallu, les vocations se sont développées jusqu’à aujourd’hui.
Quels sont les fruits missionnaires de cette cause pour l’avenir de l’évangélisation au Vietnam ?
Tout d’abord, une question fondamentale se pose : quelle est la sainteté et quel est l’impact du ministère de Mgr Lambert pour l’Église d’aujourd’hui ? Mgr Pierre Lambert de la Motte, premier évêque de l’Église du Vietnam en 1659, a joué un rôle crucial dans l’évangélisation de ce pays et de la région d’Asie du Sud-Est. Sa béatification serait une reconnaissance de sa sainteté et de son impact durable sur l’Église. Sa sainteté se manifeste par l’accomplissement de la volonté divine, notamment à travers la fondation des deux premiers diocèses du Vietnam et l’annonce de l’Évangile au peuple en Asie, notamment au Vietnam. Cet engagement missionnaire est incarné par cinq points clés, symbolisant la consécration de toute une vie à la mission divine.
Tout d’abord, inspiré par l’exemple de saint Paul, Mgr Lambert a jeté les bases d’une nouvelle communauté chrétienne au Vietnam, centrée sur le sacrifice de Jésus Christ crucifié. Sa mission était imprégnée d’un profond sens de sacrifice et de dévouement, marquant ainsi le début d’une ère nouvelle pour l’Église vietnamienne. Deuxièmement, la communion avec le Saint-Siège était essentielle pour Mgr Lambert. Cette connexion s’est renforcée grâce à la collaboration avec Mgr François Pallu, autre pionnier de la mission en Asie. Ensemble, ils ont assuré que les nouvelles communautés chrétiennes restent en communion avec Rome, garantissant ainsi l’universalité de l’Église.
Troisièmement, Mgr Lambert a joué un rôle déterminant dans l’établissement du premier diocèse, le vicariat de la Cochinchine, par le biais de trois Synodes locaux. Ces synodes ont incarné l’union de toutes les composantes du Peuple de Dieu dans un esprit de « synodalité ». Ils ont été des moments clés pour définir et structurer l’Église locale, en veillant à ce qu’elle reflète la diversité et l’unité de la communauté chrétienne.
Le quatrième point clé a été la construction du séminaire et la rédaction des documents de formation sacerdotale (Monita), des initiatives majeures. En ordonnant les premiers prêtres vietnamiens, Mgr Lambert a assuré la continuité de la mission et le développement d’une Église locale autonome et dynamique, capable de poursuivre l’œuvre d’évangélisation de manière durable.
Mgr Lambert a ordonné les premiers prêtres vietnamiens ?
Oui, et vous voyez, c’était très important qu’il y ait un clergé local, parce que si tous les missionnaires étrangers étaient expulsés et qu’il n’y avait plus de prêtres locaux, c’était très dangereux pour l’Église. Mgr Lambert a ordonné les premiers prêtres vietnamiens, d’abord à Ayutthaya, capitale du Siam, puis quand il est venu au Vietnam, il a succédé à Mgr Pallu au Tonkin, où il a ordonné sept jeunes prêtres sur un bateau, sur le fleuve rouge du nord. On appelle ce bateau la première cathédrale de l’Église du Vietnam ! Et dans son testament, il a laissé tout son héritage pour le séminaire du sud en Cochinchine.
Enfin, le cinquième point essentiel a été la fondation de la congrégation des Amantes de la Croix et de l’association des fidèles Amateurs de la Croix, soulignant ainsi le rôle crucial des femmes dans la mission de l’Église. Cette initiative a non seulement valorisé les femmes, mais elle a aussi renforcé la dimension communautaire et inclusive de l’Église, en leur donnant un rôle actif dans l’évangélisation et dans la vie religieuse.
En somme, la béatification de Mgr Pierre Lambert de la Motte représenterait non seulement une reconnaissance de sa sainteté personnelle, mais ce serait aussi une célébration de son héritage missionnaire. Son engagement profond et ses réalisations durables offrent un modèle pour l’avenir de l’évangélisation au Vietnam et dans le monde entier. En suivant son exemple de dévouement, de sacrifice et de communion, l’Eglise peut continuer à croître et à porter des fruits abondants dans sa mission évangélique.
L’héritage de Mgr Lambert fait aussi partie de l’héritage de l’histoire des relations entre la France et le Vietnam. Comment cet héritage se développe-t-il aujourd’hui ?
Il y a tout d’abord une reconnaissance profonde de l’Église du Vietnam envers l’Église de France. L’Église du Vietnam et l’Église de France partagent une histoire riche et complexe marquée par un profond engagement missionnaire. Après l’arrivée des premiers évêques français, Mgr François Pallu et Mgr Pierre Lambert de la Motte, des milliers de prêtres missionnaires français ont suivi, dédiant leur vie à l’annonce de la Bonne Nouvelle au Vietnam. Beaucoup ont sacrifié leur vie et reposent maintenant sur le sol vietnamien, symbole de leur dévouement éternel.
Après 1975, la situation politique au Vietnam a contraint tous les étrangers à quitter le pays, interrompant temporairement les missions étrangères. Cependant, les Missions Étrangères de Paris ont développé un projet novateur : offrir des bourses aux jeunes prêtres vietnamiens pour qu’ils puissent poursuivre leurs études en France. Ces prêtres ont suivi des formations philosophiques, théologiques et bibliques avant de retourner au Vietnam. Depuis 1993, plus de 200 prêtres vietnamiens ont étudié en France, dont 20 sont devenus évêques (j’en fais partie !). Ces prêtres formés en France jouent un rôle crucial en tant que formateurs dans les séminaires du Vietnam.
Un autre évènement récent est à souligner, avec la visite du président des évêques de France en octobre 2022 ?
En effet, Mgr Eric de Moulins-Beaufort est venu en 2022 au Vietnam, où il a rencontré les évêques lors de la réunion annuelle de la conférence épiscopale vietnamienne. Cette visite a renforcé les liens entre les deux Églises et ouvert de nouvelles perspectives de collaboration. Dans l’esprit synodal actuel, il a été proposé que les diocèses vietnamiens envoient des séminaristes ayant terminé leurs études philosophiques au Vietnam pour poursuivre leurs études théologiques en France. Une fois ordonnés diacres, ces séminaristes peuvent choisir de s’incardiner dans un diocèse français ou de servir comme prêtres « fidei donum » pendant 5 ou 6 ans avant de retourner au Vietnam. Ce projet, basé sur une coopération directe entre les évêques des diocèses d’envoi et d’accueil, illustre l’esprit de communion et de collaboration entre les Églises.
En somme, je dirais que l’histoire des relations entre la France et le Vietnam est marquée par un profond esprit missionnaire et une communion ecclésiale durable. À travers les siècles, les Églises de ces deux nations ont travaillé ensemble pour réaliser l’ordre reçu de Jésus ressuscité : « Allez annoncer la Bonne Nouvelle à toutes les nations ». Ce partenariat continue de se renforcer, témoignant de la vitalité et de la solidarité de l’Église universelle dans sa mission d’évangélisation.
(Propos recueillis par Ad Extra)