Chine

P. Criveller : « Le problème de l’Église en Chine aujourd’hui est son émancipation face aux nationalismes »

La cathédrale Saint-Joseph de Tianjin, également appelée cathédrale Xikai, au nord-est de la Chine. La cathédrale Saint-Joseph de Tianjin, également appelée cathédrale Xikai, au nord-est de la Chine. © Fanghong / CC BY-SA 3.0 DEED
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Le P. Gianni Criveller, sinologue, propose son analyse de la conférence internationale qui a marqué cette semaine le 100e anniversaire du concile de Shanghai. Tout en reconnaissant les erreurs passées, il estime que la plupart des missionnaires sont dévoués au bien du peuple chinois. Pour lui, le nationalisme des puissances européennes à l’époque ne peut être utilisé pour cacher celui de la Chine aujourd’hui. Il suggère un second concile chinois, libre de toute ingérence politique, afin de parler de « tous les défis de l’évangélisation sur cette terre ».

La Journée de prière pour l’Église en Chine, que Benoît XVI a instituée dans sa Lettre aux catholiques chinois de 2007, est plus que jamais importante aujourd’hui à la lumière de la conférence internationale qui a eu lieu le 21 mai à l’Université pontificale urbanienne (à Rome) sur l’Église en Chine, qui a attiré un grand nombre de participants. L’évènement était centré sur le centenaire du conseil de Shanghai (15 mai-12 juin 1924), qui a ouvert la voie à l’indigénisation de l’Église en Chine (afin de la confier au clergé local) et à son inculturation (en exprimant la foi via les formes culturelles locales).

La conférence était particulièrement centrée sur la diplomatie de l’Église, avec la participation d’évêques, de prêtres et d’universitaires chinois, aux côtés d’homologues italiens. Il est important de souligner les interventions des principaux responsables du Saint-Siège, comme le pape François, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État, et le cardinal Luis Antonio Tagle, pro-préfet du dicastère pour l’Évangélisation.

Leurs paroles prudentes étaient destinées à la poursuite du dialogue difficile avec les autorités chinoises, vers qui se tournent les nombreux espoirs exprimés cette semaine. Dans le commentaire suivant, je voudrais souligner certains sujets qui ont émergé des discussions intenses lors de la conférence, et offrir quelques réflexions au service du peuple de Dieu en Chine et de ceux qui sont engagés pour le bien de l’Église dans ce pays.

Les missionnaires étrangers étaient-ils nationalistes ?

Quelques participants ont noté que le concile de Shanghai, avant tout grâce au travail prophétique et déterminé du délégué apostolique Mgr Celso Costantini, a corrigé une situation critique dans laquelle s’étaient trouvées les missions, alors que pour beaucoup, elles ressemblaient à des enclaves étrangères. Le retard de l’indigénisation a été noté par beaucoup, à commencer par le pape Benoît XV (1919).

De nombreux missionnaires, enfants de leur temps, avaient un lien paradoxal avec les fidèles. Une fois, j’ai demandé au cardinal John Tong de Hong-Kong un exemple concret de la façon dont les missionnaires pouvaient présenter un sentiment de supériorité envers les fidèles et les prêtres chinois. Il a répondu : « les missionnaires en Chine mangeaient dans un réfectoire différent de celui du clergé chinois. » C’est le paradoxe. Les missionnaires étaient prêts à donner leur vie pour les Chinois, mais ils ne les tenaient pas en assez haute estime pour les laisser diriger chez eux ni pour s’asseoir à leur côté, comme frères d’égale dignité.

Cela dit, il serait injuste de réduire l’histoire des missions entre 1850 et 1950 au colonialisme et à l’impérialisme. Costantini lui-même n’aurait pas accepté de dénigrer le mouvement missionnaire comme s’il était hostile au peuple chinois ou s’il voulait l’exploiter à des fins colonialistes. Malheureusement, de telles attitudes négatives sont utilisées pour justifier la politique religieuse actuelle de la Chine, y compris dans certains discours donnés cette semaine, bien que de manière nuancée. Même si certains missionnaires étaient nationalistes, au XIXe siècle, beaucoup espéraient déjà la fin de la tutelle française et une relation directe avec les autorités chinoises afin d’assurer la sécurité et la liberté des fidèles et des missionnaires.

J’ai lu plusieurs milliers de lettres de missionnaires en Chine. Ils n’envisageaient pas la mission – un choix sans retour – pour soutenir le colonialisme de leur pays, mais plutôt pour évangéliser et « sauver des âmes ». Non seulement les missionnaires n’ont pas soutenu la politique de leurs gouvernements, mais ils l’ont même détestée. Dans une lettre de Chine, saint Alberico Crescitelli, martyr (de l’Institut pontifical pour les missions étrangères, PIME), a solennellement dénoncé le gouvernement anticlérical italien et la famille régnante de la maison de Savoie. Des missionnaires connus comme Joseph Gabet (France), Vincent Lebbe (Belgique) ou Paolo Manna (Italie), et beaucoup d’autres, ont parlé ouvertement contre la tutelle coloniale et en faveur de l’indigénisation.

Cathédrale Saint-Joseph de Shantou, province de Guangdong, Chine.
Cathédrale Saint-Joseph de Shantou, province de Guangdong, Chine. Crédit : kc1446 / CC BY-SA 3.0 DEED

Les missionnaires sont des agents de modernité

La plupart des missionnaires étaient dévoués sincèrement et généreusement au bien du peuple chinois, et ils œuvraient pour le progrès social. Ils ont construit non seulement des églises, mais ils ont aussi lancé des services éducatifs et médicaux ouverts à tous, ils ont créé des cliniques, des hôpitaux et des orphelinats qui ont sauvé beaucoup de vies. Beaucoup d’efforts ont été faits pour sauver les filles et émanciper les jeunes femmes, beaucoup de filles et de jeunes femmes ont reçu une éducation et ont pu faire des choix de vie en dehors des liens familiaux, dans lesquels elles étaient souvent forcées de faire des choix contre leur volonté.

Les missionnaires étaient des agents de modernité, ils amenaient de nouvelles idées et connaissances, sur la science et la démocratie ; consciemment ou inconsciemment, ils étaient des agents d’interculturalité, ce qui a grandement bénéficié au peuple chinois au-delà des frontières de l’Église catholique, en favorisant le progrès scientifique et démocratique.

J’insiste ! Réduire un siècle d’activité missionnaire à une période de colonialisme est certes bien pratique, mais ce n’est qu’une réinterprétation idéologique afin de justifier des positions politiques antilibérales. Cela ne semble pas un bon argument de justifier la politique religieuse actuelle de la Chine en insistant unilatéralement sur les erreurs passées, sans compter les campagnes de persécutions religieuses, qui ont bien eu lieu, causant d’innombrables souffrances aux communautés catholiques chinoises, dont la seule faute était de faire partie d’une foi universelle.

Une question indispensable : la liberté

Comme il a été dit, les missionnaires étaient des enfants de leur temps. Ne le sommes-nous pas nous aussi ? Qu’est-ce qui sera dit sur nous dans un siècle ? Diront-ils que nous avons été trop accommodants face à de graves violations de la liberté du peuple chinois et des droits humains et religieux de tant de croyants de différentes religions ? Comme le père Manna l’a écrit, le colonialisme nationaliste occidental a été une chaîne insupportable contre la liberté de l’Église. Loin de protéger la mission, cela l’a freinée.

Aujourd’hui, ce n’est plus le nationalisme des puissances européennes qui menace la liberté de l’Église en Chine, mais plutôt le nationalisme inculqué par les autorités politiques du pays via la pratique de la sinisation. La politique religieuse mise en œuvre est invasive et touche tous les aspects de la vie des communautés et organisations locales.

La conférence de cette semaine n’était pas le lieu pour parler de ces violations, mais il s’agissait plutôt de rencontrer, parler et avancer ensemble afin de trouver comment améliorer les principaux problèmes. Il y a vraiment de bonnes choses qui ont été dites, et qu’on espère voir appliquées. Mais de notre côté, en tant qu’observateurs qui n’avons aucun rôle diplomatique mais en assumant nos responsabilités ecclésiales, nous voyons ce simple fait : le problème fondamental de l’Église en Chine est sa liberté – ou son émancipation – non pas face aux nationalismes passés mais à ceux d’aujourd’hui.

Certains intervenants, italiens et chinois, ont eu le mérite de suggérer qu’aujourd’hui, on ne peut pas se concentrer que sur le thème du localisme ; nous devons plutôt souligner le caractère universel de l’Église catholique. Elle n’existe que si ces deux dimensions, locales et universelles, sont tenues ensemble. La foi dans l’Évangile n’est étrangère à aucun peuple ni à aucune culture, mais aucune Église locale ne peut agir sans l’Église universelle et le successeur de Pierre. L’évènement déterminant qu’a été le concile de Shanghai a été rendu possible grâce aux interventions de deux papes, Benoît XV et Pie XI, et au mandat pontifical confié à Celso Costantini. Sans leur action, l’Église en Chine serait peut-être moins chinoise et moins catholique. Et c’est plus vrai que jamais aujourd’hui.

Quand y aura-t-il un second concile chinois ?

Cela m’a frappé de voir le concile de Shanghai appelé « le premier concile chinois ». Y aura-t-il un second concile chinois ? Ce serait une grande nécessité. Ce concile correspondrait à l’esprit synodal que le pape François souhaite pour l’Église aujourd’hui, y compris sur la participation du peuple de Dieu et la variété de leurs charismes et de leurs ministères, aux côtés des évêques et du pape. Un concile devrait faire face à beaucoup de défis urgents à condition d’être libre de toute ingérence politique.

Ce serait la seule façon d’assurer la liberté, l’unité et la sérénité nécessaires à une réflexion théologique et pastorale qui permette de répondre aux défis de l’évangélisation à l’ère postmoderne, en soutenant les riches traditions culturelles de la Chine. Voici quelques suggestions possibles pour un second concile. Il n’y a toujours pas de fusion créative entre la culture chinoise et la liturgie. Il n’est pas possible aujourd’hui de préparer les fidèles dans des groupes, écoles et mouvements indépendants. L’important exode rural dans le pays a généré un certain fossé entre le catholicisme rural et urbain. Les laïcs devraient être plus impliqués dans l’évangélisation, les œuvres de charité et les activités éducatives.

J’aimerais conclure en me tournant vers Marie Auxiliatrice, qui est vénérée par les catholiques chinois le 24 mai au sanctuaire de Sheshen (Shanghai). Nous lui confions la paix en Chine et dans le monde, dans l’esprit du message vidéo du pape François il y a quelques jours : « Ceux qui suivent Jésus aiment la paix, ils restent unis avec tous ceux qui travaillent pour la paix, à une époque où nous voyons agir des forces inhumaines qui semblent vouloir accélérer la fin du monde. »

Le P. Gianni Criveller a vécu et enseigné dans le monde chinois (Hong-Kong, Taïwan, Macao et Chine continentale) durant 27 ans. Sinologue, historien et théologien, il dirige actuellement le centre missionnaire PIME et l’agence Asianews à Milan.

(Avec Asianews)