Pakistan : la justice au point mort, deux ans après les émeutes antichrétiennes à Jaranwala

Le 12/09/2025
Deux ans après l’attaque dramatique du quartier chrétien de Jaranwala, dans la province du Punjab, les victimes ont investi la rue durant trois semaines pour rappeler au gouvernement ses promesses : punir les coupables, reconstruire les maisons détruites et indemniser les victimes. Sur les 5 213 personnes mises en cause, aucune n’a encore été condamnée. Le silence des institutions s’inscrit dans un contexte particulièrement préoccupant. Au Pakistan, et en dépit du droit des minorités à exercer leur religion, la communauté chrétienne subit de plein fouet de graves discriminations.
Si elle fait habituellement profil bas au Pakistan, la petite communauté chrétienne s’est récemment mobilisée en organisant dix-huit jours de protestation, de prières et d’appel à la justice, deux ans après la vague de violence sans précédent qui avait frappé le quartier chrétien de Jaranwala, dans la province du Pendjab. Le 16 août 2023, des maisons et des églises y avaient été incendiées et vandalisées, à la suite de rumeurs accusant des chrétiens d’avoir blasphémé le Coran.
Face à l’absence de justice dans cette affaire, le sit-in organisé à Jaranwala s’est imposé comme l’un des plus longs de l’histoire des minorités au Pakistan. « Les chrétiens ont subi plusieurs attaques de foules contre leurs quartiers au fil des années, mais jamais auparavant ils n’avaient élevé la voix pour réclamer justice », a déclaré Lala Robin Daniel, coordinateur du Comité des victimes de Jaranwala.
« Des enfants aux personnes âgées, tout le monde y a activement participé : nous avons chanté des cantiques, prié, prononcé des discours et scandé des slogans pour la justice. Des organisations de la société civile, des prêtres, des religieuses, et même certains responsables musulmans sont venus manifester leur solidarité. »
La manifestation, portée par ce comité ainsi que le Minority Rights Movement Pakistan, a débuté le 16 août dans le quartier chrétien de Jaranwala. Elle s’est achevée le 2 septembre, après que le gouvernement a promis aux manifestants de leur rendre justice, et également en raison des pluies torrentielles et des inondations qui ravagent actuellement le pays.
« Aucune enquête sérieuse n’a été menée »
Deux ans plus tôt, le 16 août 2023, de violentes attaques contre les églises et les propriétés de la minorité chrétienne ont éclaté à Jaranwala, à une centaine de kilomètres de Lahore. Des foules de musulmans, armées de bâtons et de pierres, ont déferlé dans les ruelles de ce quartier chrétien en banlieue de Faisalabad. À l’origine, une rumeur accusait deux frères chrétiens d’avoir déchiré des pages d’un exemplaire du Coran.
Relayées par les haut-parleurs des mosquées, ces accusations ont attisé la formation d’une émeute. Près de 22 églises et une centaine de maisons ont été vandalisées et incendiées, et des centaines de familles ont été affectées. Une enquête a alors été ouverte par la police pakistanaise afin d’identifier les coupables.

D’après la police, les violences ont été déclenchées par des accusations de blasphème, mais c’est un différend privé ciblant deux résidents du quartier chrétien qui aurait conduit à une mise en scène de la profanation du Coran et de fausses allégations. Les deux frères chrétiens ont été acquittés après qu’un tribunal a conclu qu’ils avaient été piégés par un autre chrétien.
Selon Amnesty International, sur les 5 213 suspects identifiés lors des émeutes de Jaranwala, 380 ont été arrêtés, puis la plupart ont été libérés sous caution ou vu leurs charges abandonnées. « À ce jour, une seule personne est encore en prison. Aucune enquête sérieuse n’a été menée par les institutions de l’État. Elles n’ont même pas rencontré les personnes touchées. Rien n’a été fait pour leur venir en aide », a dénoncé Lala Robin Daniel, le coordinateur du Comité des victimes.
« Malgré les assurances des autorités sur la responsabilité des coupables, l’action largement insuffisante a permis d’instaurer un climat d’impunité pour les auteurs des violences de Jaranwala », a déclaré pour sa part Babu Ram Pant, directeur adjoint régional d’Amnesty pour l’Asie du Sud.
Le Pakistan figure à la 8e place de l’Indice mondial de persécution 2025
En février 2024, l’ancien président de la Cour suprême, Qazi Faez Isa, avait vivement critiqué le gouvernement du Pendjab, qualifiant son rapport d’enquête d’« indigne de toute considération ». Une enquête défaillante a conduit, en juin, à l’acquittement des musulmans impliqués dans l’incendie de l’église de l’Armée du Salut et le pillage du domicile de Siddique Masih.
Le juge antiterroriste de Faisalabad, Javed Iqbal Sheikh, a en effet acquitté les dix suspects nommés dans cette affaire. L’avocat des plaignants a accusé la police d’être responsable de ces acquittements, malgré des preuves solides contre les accusés. Il a ajouté que des verdicts similaires sont attendus dans les autres affaires liées aux attaques.
Les émeutes de Jaranwala ont pourtant suscité une condamnation nationale. La communauté chrétienne, qui représente moins de 2 % d’une population de 230 millions d’habitants au Pakistan, évolue dans un contexte où les incidents et les persécutions frappant les minorités religieuses et leurs lieux de culte sont fréquents à travers le pays.
Le Pakistan figure à la 8e place de la World Watch List 2025 de l’organisation Portes Ouvertes, qui recense les pays où les chrétiens sont le plus persécutés. Rana Sajjad Parhiyar, vice-président du Comité pour la paix interreligieuse du Pakistan, a notamment dénoncé le rôle de certains groupes islamistes, en particulier le Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), dans l’incitation à la haine religieuse.
« La minorité chrétienne est obligée de se résigner »
Les accusations de blasphème, définies comme des actes ou paroles critiquant le prophète Mahomet ou le Coran, sont un outil ravageur au Pakistan. Les personnes reconnues coupables de blasphème encourent de lourdes peines, allant jusqu’à l’emprisonnement à vie et à la peine de mort. Une simple accusation suffit souvent à déclencher une émeute.
Selon la Commission indépendante des droits de l’homme au Pakistan, des règlements de compte personnels s’appuient parfois sur des accusations de blasphèmes. La violence des foules, attisée par des rumeurs, se propage comme une traînée de poudre. À Jaranwala, la brutalité des attaques et l’absence de réponse adéquate des autorités ont condamné les chrétiens à vivre dans la peur, sous la menace et la marginalisation persistante. Les appels qui avaient été lancés par les haut-parleurs des mosquées restent un point préoccupant, alors que la responsabilité du mollah ayant déclenché l’alerte n’a pas été mise en cause.
En août, Mgr Indrias Rehmat, évêque du diocèse de Faisalabad, a déclaré que les chrétiens de Jaranwala voulaient « crier et hurler » leur colère face à l’incapacité apparente du pays à punir les coupables. « Justice n’a pas été rendue. La police n’a pas fait son devoir. Personne n’a été puni et personne n’a été traité comme il convient. À ce stade, nous ne voyons aucun espoir qu’un coupable soit puni », a-t-il commenté. « La minorité chrétienne est obligée de se résigner au fait que ses agresseurs continuent de vivre à ses côtés sans connaître la moindre répercussion », dénonçait déjà, l’an dernier, Amnesty International.
Par ailleurs, d’autres incidents continuent de survenir. Le mois dernier, des individus non identifiés ont défiguré une église à Layyah, toujours au Pendjab, en y inscrivant des graffitis. Selon des témoins, ces symboles de haine ont été peints non seulement sur les murs de l’édifice, mais aussi à proximité des zones résidentielles chrétiennes, renforçant le sentiment d’intimidation ciblée. Sardar Mushtaq Gill, fondateur d’une organisation de défense des droits humains, a qualifié ces faits d’« acte flagrant de haine religieuse visant à terroriser une communauté vulnérable ».
(Ad Extra, A. B.)