Père Clarence Devadass : « Toute l’expérience synodale a eu un effet positif sur l’Église d’Asie en général »
Le père Clarence Devadass (à gauche), le 4 octobre au matin dans la basilique Saint-Pierre avant la messe d’ouverture du Synode. © P. Clarence Devadass / Facebook ; bangkok.synod2023.orgLe 09/10/2023
[Interview exclusive] Le père Clarence Devadass, membre de la délégation asiatique au sein de l’assemblée synodale, répond à nos questions depuis Rome où le Synode sur la synodalité s’est ouvert le 4 octobre. Ce théologien âgé de 57 ans, originaire de Malaisie, est actuellement directeur du Catholic Research Center à Kuala Lumpur. À propos de l’expérience synodale qui débute, il explique que « ce que nous faisons, ce n’est pas un plan ministériel ou entrepreneurial, mais c’est entrer dans le temps et l’espace de Dieu ».
Né en 1966, le père Devadass est titulaire d’un doctorat en théologie morale. Il a servi dans différentes paroisses de l’archidiocèse de Kuala Lumpur avant de prendre la responsabilité du Catholic Research Center (un centre fondé en 1977 qui mène des recherches sur la foi et la culture, le dialogue interreligieux et la construction de la nation). Aujourd’hui un des 365 membres de l’Assemblée plénière, il a fait partie de l’équipe organisatrice de l’Assemblée continentale asiatique en février, et de l’équipe chargée de rédiger le document final de 22 pages (Asian Continental Synod Report) présenté au Secrétariat du Synode.
Tout d’abord, quelques mots sur votre parcours ?
Je suis un prêtre diocésain, depuis maintenant 26 ans. J’ai travaillé dans plusieurs paroisses. Ma première mission après mon ordination a été avec deux prêtres MEP ! Actuellement, je m’occupe du Catholic Research Center. Je travaille aussi dans la paroisse qui se trouve sur le même site et je suis aussi chancelier du diocèse. J’aide aussi la FABC (Fédération des Conférences épiscopales asiatiques), avec laquelle je collabore depuis 2005, en particulier pour le Bureau des questions théologiques. Plus récemment avec le processus synodal, j’ai été dans l’équipe de discernement et de rédaction de l’expérience synodale asiatique.
Pouvez-vous citer quelques sujets majeurs du document final remis après l’Assemblée continentale asiatique ?
Il faut tout d’abord se rappeler que le continent asiatique est extrêmement étendu, de l’Asie de l’Est à l’Asie centrale. Toutefois, nous avons tenté d’identifier des points communs. La première chose que je voudrais dire, c’est que toute l’expérience synodale a eu un effet positif sur l’Église d’Asie en général. Les gens se sont dit que pour une fois, l’Église les consulte, leur parle et s’intéresse à leur opinion. De manière générale, nous avons constaté un sentiment de joie, d’amour et de profond respect envers l’Église.
Parmi les difficultés que nous avons constatées, je peux citer les questions environnementales, les migrations, les personnes déplacées internes (IDP), les réfugiés, les inégalités économiques… Il y a également la question de la pauvreté, non seulement la pauvreté économique mais aussi la pauvreté numérique et la pauvreté spirituelle. Il y a aussi la pratique de la foi qui est difficile sous certains gouvernements très répressifs en Asie, où l’espace public se réduit considérablement, notamment en Inde, au Pakistan, en Indonésie et au Bangladesh.
Dans les pays plus développés, il y a aussi des questions d’ordre idéologique, comme la sécularisation de la société avec de nouveaux développements idéologiques comme la question du genre. Ce sont certaines des choses dont nous avons parlé : comment être Église en Asie, dans ce contexte.
Le pape semble s’intéresser beaucoup à l’Asie, où l’on constate beaucoup de conversions dans certains pays…
C’est un peu difficile de savoir ce qu’il y a dans l’esprit du pape, derrière ce qui le pousse à venir si souvent en Asie, mais je pense que concernant les conversions dont vous parlez, il faut comprendre une chose : à cause des migrations internationales, une bonne partie de ceux qui étaient autrefois les chrétiens d’Occident sont aujourd’hui évangélisés par ceux d’Orient. De nombreux Asiatiques gardent la foi vivante dans certaines des plus vieilles Églises de l’Ouest. Les populations migrantes philippines, vietnamiennes et indiennes sont au cœur de beaucoup d’Églises occidentales aujourd’hui.
Les anciennes terres de mission commencent à évangéliser. J’ai remarqué cela dans une paroisse près de Londres, où si on enlève les Asiatiques, les immigrés d’Amérique Latine et les Africains, il n’y a plus que des paroissiens âgés. Nous sommes une Église en mission, au milieu des difficultés que nous rencontrons, et même si les gens fuient pour des raisons économiques ou des demandes d’asile, on peut y voir des opportunités.
Vous vous intéressez à la « théologie contextuelle asiatique » : en quoi est-ce pertinent pour l’Asie et qu’est-ce qu’une Église « asiatique » ?
Je pense qu’il faut être très prudent quand on parle d’Église asiatique, africaine, européenne, etc. Il faut se rappeler que nous sommes une Église une, sainte, catholique et apostolique ; ce sont les quatre piliers sur lesquels nous nous construisons. Mais quand on parle d’Église asiatique, on parle d’une mentalité asiatique, d’un contexte asiatique qui est très particulier. Par exemple, l’évangélisation est très différente entre le christianisme occidental et oriental. Comme en Inde ou au Pakistan où il a des lois très répressives.
L’Évangile est toujours le même, il est toujours là, mais il faut se demander comment le vivre selon le contexte. Quand on parle de théologie contextuelle asiatique, on pense aussi au dialogue interreligieux qui est très développé en Asie. On ne peut pas vivre sans. Parce que dans toute l’Asie, sauf aux Philippines et au Timor oriental, nous sommes minoritaires, parfois moins d’1 %. En Asie, on recherche toujours l’harmonie, cela fait partie de notre philosophie, de notre manière d’être.
En matière d’inculturation, les gens pensent souvent à la liturgie, mais il s’agit plutôt de la manière dont on existe, comment la culture façonne la manière de penser. Comment lire l’Évangile en se basant sur les signes des temps en Asie, et comment nous y répondons. Dans certains lieux, notamment dans mon propre pays, il serait impossible de faire de la proclamation directe, de me lever quelque part avec la Bible en main… Les contextes sont différents. Il s’agit de se demander comment inscrire la mentalité asiatique dans la lecture de l’Évangile, sans en changer une seule virgule.
Comment s’est déroulée cette première semaine du Synode à Rome ?
Je pense que la retraite que nous avons vécue avant l’ouverture du Synode a été une bonne manière de débuter, pour que tout le monde soit dans un bon état d’esprit. D’abord parce que nous ne nous connaissons pas, pour beaucoup d’entre nous, donc cette retraite a été pour nous l’occasion de méditer sur la Parole de Dieu, d’écouter l’intervenant et de se rappeler que ce que nous faisons, ce n’est pas un plan ministériel ou entrepreneurial, mais c’est entrer dans le temps et l’espace de Dieu.
Durant ces trois jours de retraite, nous nous sommes écoutés. Dans l’expérience de la synodalité partagée par différents pays, personnes et organisations, ce que j’entends, c’est qu’il y a beaucoup d’espérance, avec aussi quelques craintes et inquiétudes sur ce qui va se passer. Le pape François le dit lui-même, le Synode n’est pas un Parlement. Il ne s’agit pas de voter pour une chose ou l’autre, mais d’échanger et de s’écouter. Pour moi, c’est une occasion d’écouter les expériences des autres pays, des autres continents, avec une vision élargie sur toute l’Église.
Y a-t-il d’autres points que vous voulez partager sur le Synode ?
Les gens ont beaucoup d’attentes vis-à-vis de l’expérience synodale, ce qui est normal. Je pense qu’il est important, comme l’a dit la Saint-Père, de faire une pause, d’écouter ce que dit le Seigneur, parce qu’il y a tellement de choses qui se passent dans le monde ! Nous sommes trop pris par tant de choses. Nos vies sont devenues débordées par trop de préoccupations et d’inquiétudes. Personne ne connaît l’avenir, et le pape nous dit : « Faisons une pause, écoutons-nous les uns les autres. »
Certains espèrent beaucoup de changements après cela ; je ne crois pas que cela soit la direction que nous prenons, pas encore en tout cas. Ce n’est que la première partie, la deuxième aura lieu en octobre 2024. Il est maintenant temps de faire une pause, de s’écouter et de comprendre ce que Dieu dit à chacun d’entre nous. Je crois que c’est le but de toute cette expérience, alors que nous sommes pris dans un monde assailli par tellement de distractions et d’attractions que parfois nous perdons de vue l’essentiel.
Vous savez, quand saint Pierre est sur la barque et qu’il dit « Ordonne-moi de venir vers toi », il veut aller vers Jésus sur les eaux mais dès qu’il prend conscience du vent qu’il y a, il commence à couler et le perd de vue. Je crois que c’est cela, toutes les choses qui nous ont conduits à détourner les yeux de la mission de l’Église, et le Saint-Père nous invite à regarder Jésus à nouveau.
(Propos recueillis par Églises d’Asie)