« Prions pour la paix » : un prêtre birman se confie sur les fêtes de Pâques dans le pays face à la guerre civile
Une église à Rangoun, Birmanie. © calflier001 / CC BY-SA 2.0 DEEDLe 13/04/2024
Le mercredi 10 avril durant l’audience générale place Saint-Pierre, le pape François a demandé « n’oublions pas la Birmanie », un pays souvent oublié, toujours en proie aux violences et à l’instabilité trois ans après le coup d’État. « N’oublions pas ces frères et sœurs qui souffrent dans ces zones de guerre. Prions ensemble et toujours pour la paix », a-t-il insisté. Dans ce contexte, un prêtre birman anonyme se confie sur les fêtes de Pâques telles qu’elles ont été vécues par la communauté catholique locale cette année.
Le thème de la guerre est largement développé dans la déclaration Dignitas infinita sur la dignité humaine, publiée le 7 avril 2024. Le texte, qui évoque les principales « tragédies qui nient la dignité humaine », rappelle que « les guerres, les violences, les persécutions […] se multiplient ‘douloureusement en de nombreuses régions du monde, au point de prendre les traits de ce qu’on pourrait appeler une troisième guerre mondiale par morceaux’ ».
Ce passage de la déclaration (4, 38), publiée par le dicastère pour la Doctrine de la foi, renvoie à une citation du pape François, dans son message pour la célébration de la 49e Journée mondiale de la paix (1er janvier 2016). Tout en reconnaissant le droit à la légitime défense, le texte souligne que « la guerre est toujours une ‘défaite de l’humanité’ ». D’autant plus « à notre époque où il est devenu normal que tant de civils innocents meurent en dehors du champ de bataille » (4, 38).
Le 18 mars dernier, le secrétaire général de l’ONU se disait justement « alarmé par les informations faisant état de frappes aériennes menées par l’armée, y compris aujourd’hui dans le district de Minbya, qui auraient tué et blessé de nombreux civils ». Au 11 avril, l’association AAAP (Assistance association for political prisoners) enregistrait 26 510 personnes arrêtées depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, dont 20 337 toujours détenues, ainsi que 4 882 personnes tuées dont de nombreux civils.
De nombreuses communautés n’ont pas pu célébrer Pâques
Dans ce contexte, un prêtre birman anonyme, que nous appellerons le père Yar Zar Myin (nom d’emprunt), décrit les fêtes de Pâques telles qu’elles ont été vécues cette année par l’Église catholique locale. Le prêtre précise que de nombreuses communautés n’ont pas pu célébrer Pâques dans leur paroisse, parce que les habitants de plusieurs villages ont dû fuir. « Par exemple, au village de Chang Yoe, la paroisse de Marie Auxiliatrice a vécu une expérience terrible le jour du dimanche des Rameaux. Les soldats sont entrés dans le village le samedi, la veille. Toute la population a dû prendre la fuite tandis que quatre hommes [un d’entre eux avait 17 ans] ignoraient que les soldats étaient en train d’arriver dans le village », raconte le prêtre.
« Tous les quatre ont été tués. Deux ont été abattus par balle, et les deux autres ont été torturés et décapités. La paroisse n’a pas pu célébrer le dimanche des Rameaux. Mais quand tous les habitants sont revenus au village, ils ont trouvé les corps des quatre hommes en décomposition. Les soldats ont quitté le village le jour du Jeudi saint, et ils ont incendié près de 70 habitations. Les corps ont été enterrés durant la Semaine sainte. La procession du dimanche des Rameaux et le Jeudi saint ont été célébrés le même jour, mais dans la douleur. »
Le père Myin ajoute que le Jeudi saint, une troupe militaire est aussi arrivée au village de Mon Hla, où se trouve la paroisse de Saint-Michel-Archange. « Les gens ont dû fuir. Il n’y a eu aucune célébration là-bas durant la Semaine sainte. Les soldats ont incendié 57 maisons dans ce village », explique-t-il. « Dans notre diocèse, les paroisses des villages de Lanson [église des Saints-Innocents], de Teggyi [Saint-Laurent] et de Megun [Notre-Dame de la Nativité] n’ont pas pu célébrer la Semaine sainte et Pâques, parce que tous les habitants ont dû fuir en lieu sûr. La plupart des catholiques se sont réfugiés dans différents lieux [que je ne mentionnerai pas pour leur sécurité]. »
« Prions ensemble et toujours pour la paix »
Le prêtre ajoute que les paroisses de Nabet (église Saint-Jean-Baptiste), de Chantha (église de l’Assomption de Marie) et de Yeu (église du Sacré-Cœur) ont célébré Pâques d’une manière très simple et sobre, avec beaucoup de précautions « afin de pouvoir fuir rapidement au cas où des soldats arriveraient durant la célébration de la messe ».
Le prêtre décrit aussi des conditions de vie difficiles, en particulier dans le centre où il vit, qui accueille des réfugiés fuyant les combats dans leur région. « Outre la guerre et la répression, la météo a été très rude. Il a fait très chaud ces cinq derniers jours. Ce lundi, il faisait 46 degrés à Mandalay », décrit le prêtre. « Pouvez-vous vous imaginer vivre dans de telles conditions sans électricité – donc sans ventilateur ni climatisation, sans parler du problème de l’eau ? », demande-t-il.
« Quand l’électricité revient – seulement une heure toutes les six heures, selon une action délibérée du régime – tout le monde doit pomper de l’eau au puits. Comme tout le monde se précipite pour utiliser la pompe à eau, l’énergie est coupée à cause de la charge trop élevée », raconte-t-il. « La vie devient dure, parce que dans toutes les villes à travers le pays, il y a des pénuries d’électricité, et les lignes de communication sont coupées », explique-t-il. « Les conditions de vie de notre population sont si misérables, et pourtant la communauté internationale continue de nous ignorer. »
Selon le père Myin, si la situation du pays traîne en longueur depuis plus de trois ans, c’est en raison de l’inaction des gouvernements voisins : « Ni la Chine, ni l’Inde, ni la Thaïlande ne sont de bons voisins. Ils préfèrent le gouvernement militaire corrompu avec qui ils peuvent faire des affaires. L’Asean est aussi sans espoir tout comme l’Onu. Nous sommes livrés à nous-mêmes. Mais nous devons choisir si nous voulons être comme la Corée du nord, une dictature, ou comme la Corée du Sud, une démocratie », termine-t-il. « C’est tout ce que je peux vous dire, prions pour la paix. »
Le 10 avril durant l’audience générale place Saint-Pierre, le pape François a réitéré son appel à la paix en Birmanie : « Que le Seigneur nous donne la paix ! La guerre est partout – n’oublions pas la Birmanie – mais demandons au Seigneur la paix et n’oublions pas nos frères et sœurs qui souffrent tant dans ces lieux de guerre. Prions ensemble et toujours pour la paix. »
(Propos recueillis par Ad Extra)