« Recherchez le vrai, le bon et le beau ! »

Rédigé par Propos recueillis par Ad Extra, le 27/03/2025
Quand un prêtre catholique questionne un grand prêtre hindou, principale personnalité religieuse de Varanasi (Bénarès), ville sainte de l’hindouisme, les valeurs communes sont plus nombreuses qu’on ne pourrait le penser. Retrouvez ici quelques extraits d’un entretien réalisé en octobre 2024 entre le père Yann Vagneux, MEP, prêtre catholique à Varanasi en Inde et Vishwambharnath Mishra, Mahant (grand prêtre) du temple de Sankat Mochan et successeur spirituel de Tulsidas (1532-1623).
Y. Vagneux : Mahantji, vous êtes le grand prêtre du temple de Sankat Mochan, qui est ouvert à tous. Vous êtes connu à Varanasi comme un fervent défenseur du caractère secular d’ouverture plurireligieuse laïque de la ville. Vous avez souvent dit que dans la ville de Shiva, s’il y a des mosquées, des églises et que les musulmans, les chrétiens et les autres communautés ont pu y vivre, c’est parce que Shiva les a accueillis. Pouvez-vous expliquer ce caractère secular d’ouverture plurireligieuse de votre temple à Varanasi ?
Mahant-ji : Nous vivons à Kashi (Varanasi), et Kashi est la demeure de Shiva. Il s’agit ici d’une divinité universelle. Shiva ne demande jamais quelle est votre caste, votre croyance ou votre religion. Il est bienveillant envers tous. Puisque Kashi est sa demeure, il accorde à chacun la permission d’y séjourner.
Prenons l’exemple des communautés musulmanes. Certaines sont arrivées ici il y a environ 1 000 ans. Si elles se sont installées, c’est bien parce qu’elles ont ressenti qu’elles étaient les bienvenues ici. Où est le mal dans cela ? Il en va de même pour les chrétiens. Où est le problème ?
Nous avons un concept appelé Vasudhaiva Kutumbakam, qui signifie que « le monde entier est une seule et même famille ». Personne ne vient à Kashi sans que Shiva ne le permette. Si Shiva est celui qui accorde cette permission, et s’il nous autorise à vivre ensemble, alors nous ne devons pas aller à l’encontre de ses principes.
C’est pour cette raison que Kashi possède un tissu social unique, où chacun – hindou, musulman, bouddhiste, sikh, chrétien, jaïn… – vit en harmonie avec tous. Nous participons également aux célébrations des autres communautés, c’est cet état d’esprit qui règne à Varanasi. Nous avons des liens communs et nous vivons ensemble. Ce caractère secular de Kashi ne date pas d’aujourd’hui, il existe depuis des siècles. Personne ne devrait le remettre en cause.
Y. Vagneux : Votre famille est également connue pour organiser deux festivals de musique classique hindoustanie : la Dhrupad Mela durant les jours précédant Shivaratri, la grande Nuit de Shiva, et le festival de khyal au temple de Sankatmochan lors de l’Hanuman Jayanti, la fête du dieu singe Hanuman. Vous êtes vous-même musicien. Pourquoi la musique est-elle si importante dans votre vie ? De plus, ces festivals sont réputés pour être des lieux de rencontre entre différentes traditions religieuses, réunissant aussi bien des musiciens hindous que musulmans. Comment ces festivals aident-ils à préserver le tissu social de Varanasi dont vous venez de parler ?
Mahant-ji : La musique est en réalité une prière offerte à la divinité car Dieu aime la musique. Elle lui procure de la paix et le rend heureux. Nous disons souvent que la musique est une voie rapide pour atteindre Dieu, le moyen le plus simple de se rapprocher de lui. Ainsi, dans notre temple, nous chantons des kirtans le matin et le soir avant la fermeture du temple. Mais pour à l’occasion de l’Hanuman Jayanti, nous organisons un grand festival de musique, qui est dédié au dieu Hanuman.
Cette tradition s’est perpétuée au fil des générations. J’ai vu mon grand-père et mon père suivre ces pratiques et aujourd’hui, je les perpétue à mon tour. Nous n’avons rien changé, car ce qui a été instauré autrefois a déjà été éprouvé et validé par le temps. Nous suivons donc cette voie et nous ne voyons aucun problème à cela.
Les gens qui viennent au temple sont heureux. Si nous les accueillons avec respect et bienveillance, ils repartiront avec un sentiment positif à l’égard du temple et de la divinité. Et Hanuman-ji sera lui aussi satisfait, car nous n’aurons pas contrevenu à ses principes.
C’est avec cet état d’esprit que nous accueillons tout le monde, sans poser de questions sur la caste ou la religion. Nous pensons que si une personne franchit le seuil de notre temple, c’est qu’elle a une foi profonde en Hanuman-ji. Il est donc de notre devoir de lui permettre de venir librement, d’avoir son darshan (vision de la divinité), de recevoir ses bénédictions et de repartir en paix.
Y. Vagneux : en vous écoutant parler, cela m’a rappelé un magnifique sloka du Ramcharitmanas de Tulsidas : « rāma bhagata parahita nirata para dukha dukhī dayāla », « les dévots du dieu Ram s’engagent activement à faire le bien autour d’eux, partagent les souffrances des autres et sont naturellement compatissants envers tous ». Pouvez-vous nous expliquer cela ?
Mahant-ji : Ce que je veux dire, c’est que Ram-ji est toujours attentif aux souffrances des êtres. Il fera tout pour tous puissent venir à lui et se remettent entièrement entre ses mains. Mais si vous pensez être l’homme le plus puissant et autosuffisant, alors Ram-ji restera éloigné de vous. Pourquoi viendrait-il vers vous si vous n’avez pas besoin de lui ? Ainsi, il est de notre devoir d’aider ceux qui souffrent et qui viennent à nous avec sincérité.
Y. Vagneux : Nous savons qu’après que Tulsidas a écrit et achevé son Ramcharitmanas, il y eut de nombreuses discussions à Bénarès sur la possibilité de composer un Ramayana en avadhi, la langue locale, et non en sanskrit, la langue des lettrés. La légende dit que, pour exprimer sa satisfaction devant cette œuvre littéraire, Shiva lui-même avait inscrit sur chaque page du Ramcharitmanas les mots « Satyam, Shivam, Sundaram » – « c’est vrai, c’est bien, c’est beau ». Je pense que ces trois principes de la vérité, du bien et la beauté devraient aussi s’appliquer à toutes nos traditions religieuses. Toutes les religions devraient refléter la vérité, le bien, et la beauté. Pourtant, aujourd’hui, nous voyons bien que toutes les religions sont confrontées à un même fléau : le fondamentalisme. Ce dernier engendre haine, exclusions et orgueil démesuré. Vous avez toujours été un observateur attentif du climat politique de Varanasi et de l’Inde, mais vous avez toujours su garder vos distances afin de ne pas compromettre votre tradition religieuse.
Selon vous, quelles seraient aujourd’hui les batailles essentielles pour préserver la pureté de la religion, en accord avec les principes de Satyam, Shivam et Sundaram – quelque chose de vrai, de bon et de beau ?
Mahant-ji : En réalité, ceux qui n’ont pas foi en Dieu se tournent vers les leaders politiques. Les dirigeants politiques établissent leurs propres agendas pour servir leurs intérêts, et dans ce processus, ils redéfinissent l’hindouisme d’une manière qui leur convient. Or, l’hindouisme n’est pas un simple terme manipulable. Si l’on regarde en profondeur, nous appartenons à la tradition Sanatani [hindoue], qui a toujours été inclusive. Personne n’a le droit de décréter qui est religieux et qui ne l’est pas. Ce ne sont pas les paroles, mais bien les actions d’une personne qui définissent son niveau de spiritualité. Nous ne sommes personne pour juger ou étiqueter autrui.
Le meilleur conseil que je puisse donner est le suivant : Restez fidèle à votre culture et à vos traditions. Soyez bienveillant et compatissant envers tous. Assurez-vous que les personnes autour de vous soient heureuses. Si vous suivez ce chemin, alors vous suivez véritablement votre religion et votre tradition, et Dieu vous accordera sa bienveillance. Aujourd’hui, pour de petits bénéfices personnels, beaucoup de gens jouent le jeu des agendas politiques. Cela n’est pas bon pour la société. Nous devons plutôt œuvrer à bâtir une société inclusive et c’est notre responsabilité de veiller sur ceux qui souffrent réellement dans cette société et de faire preuve de bonté et de compassion à leur égard.
Propos recueillis par Ad Extra