Être jeune catholique chinois en Europe : en équilibre entre deux mondes
Messe du Nouvel an Chinois 2024 à Paris, XIIe arrondissement. © O. LabesseRédigé par Eva Salerno , le 15/03/2024
Eva Salerno est anthropologue à l’ICP, spécialiste des communautés catholiques chinoises en Europe. Elle explore la transmission de la foi catholique parmi les jeunes chinois d’Europe, leurs difficultés spécifiques et leur dynamisme religieux, à travers des séries d’entretiens sur le terrain.
Depuis quelques années, mon travail académique m’amène à fréquenter les paroisses catholiques chinoises présentes en Europe, notamment en France et en Italie. Accueillie par les prêtres et les paroissiens au sein de ces communautés, j’ai pu assister à des nombreuses célébrations liturgiques et participer à certaines activités paroissiales. Outre les rencontres humaines précieuses, ce qui motive cette recherche est de mieux comprendre comment ces migrants, souvent déracinés et porteurs d’autres référencements culturels, continuaient à vivre leur foi au sein des pays d’accueil. Si mon intérêt d’anthropologue porte avant tout sur la pratique rituelle du catholicisme et ses spécificités dans un contexte chinois, je me suis rendu compte au fil de mes enquêtes ethnographiques que l’importance de la transmission de la foi entre les différentes générations revenait de façon récurrente dans les propos de mes interlocuteurs.
Il est nécessaire de rappeler tout d’abord que l’Eglise catholique a créé des structures pastorales spécifiques pour l’accueil des fidèles étrangers, afin de permettre aux communautés migrantes de bénéficier d’un soutien spirituel adapté. Qu’elles soient des paroisses personnelles, des missions avec charge d’âmes ou des aumôneries, ces structures sont ainsi généralement gérées par des prêtres maîtrisant la même langue et les mêmes références culturelles que les fidèles qu’elles accueillent. Toutefois ces paroisses ont été pensées comme une solution provisoire, l’objectif majeur de la politique vaticane en termes de pastorale de migrants étant l’intégration des fidèles étrangers au sein des paroisses locales. Si les réalités de terrain ont amené le Vatican à assouplir sa position, statuant que les catholiques d’origine étrangère auraient pu bénéficier de paroisses spécifiques même au-delà de la deuxième génération, force est de constater que les jeunes sont les grands absents de la vie quotidienne de ces communautés.
Une jeunesse à la recherche d’un ancrage spirituel
Le responsable de la pastorale des migrants au sein d’un diocèse européen m’expliquait ainsi que : « les missions et les aumôneries étrangères fonctionnent comme une sorte de chambre de compensation entre ce qui était le vécu religieux dans le pays d’origine et ce qui est par contre la façon de vivre la foi ici. […] En ce qui concerne les deuxièmes générations, si on a tendance à célébrer les baptêmes au sein de la communauté étrangère, on préfère ensuite que les enfants intègrent les paroisses locales ». Par ailleurs, ces structures pastorales s’affranchissant de toute notion de territorialité, elles couvrent la juridiction de tout le diocèse et ses fidèles résident parfois très loin.
Si lors d’un entretien une jeune étudiante se désolait du manque d’activités organisées pour les jeunes, une autre, issue d’une famille très croyante et arrivée en Italie à l’âge de 7 ans, m’expliquait quant à elle la difficulté de créer un vrai groupe avec des gens de son âge :
Nous sommes actuellement quinze jeunes ici à l’aumônerie chinoise. Il y en avait plus avant, mais ils se sont un peu dispersés, seulement un petit nombre vit dans le quartier chinois. Du coup, je viens parfois pour accompagner ma maman à la messe, mais le reste du temps je fréquente la paroisse de mon quartier.
La même informatrice fréquente désormais, avec constance, l’église italienne, où elle se sent bien entourée par ses amis, tous aussi investis qu’elle dans les activités paroissiales. Une autre pratiquante, arrivée en France adolescente, me faisait part quant à elle de son souhait de rejoindre le groupe de jeunes de la paroisse de son quartier, tout en faisant le constat qu’elle éprouvait des difficultés à y être durablement intégrée. Elle me confiait l’importance que revêtait pour elle la possibilité de rencontrer d’autres jeunes catholiques, de nouer avec eux des relations de confiances et de partager avec eux un socle de valeurs communes et rassurantes.
Entre deux cultures et deux générations
A la recherche d’un salut identitaire qui passerait par une pratique religieuse régulière et l’accès à une communauté de fidèles bienveillants, les jeunes chinois catholiques peinent toutefois à trouver leur équilibre, tiraillés entre la façon de vivre la foi transmise dans leurs familles et leurs expériences de vie au sein de sociétés de plus en plus sécularisées.
Dans le même temps, il convient de souligner que leurs parents se trouvent eux aussi en difficulté, confrontés à une nouvelle façon d’appréhender la religion catholique dans leur pays d’accueil au regard de qu’ils pratiquaient avant leur exil. En effet, la plupart des paroissiens chinois est issue de familles avec une longue tradition catholique et un fort engagement dans la foi. Lors de mes entretiens, nombreux sont ceux qui décrivent un cadre familial très pieux, au sein duquel les prières et les rituels catholiques étaient transmis par les parents et les grands-parents. Cette transmission familiale s’analyse également d’un point de vue socio-politique : leur investissement religieux venait compenser l’éventuelle absence des curés dans les communautés, notamment au cours des périodes d’interdictions relatives à la pratique religieuse qui ont caractérisé l’histoire contemporaine de la Chine. Les proches de ces migrants étaient souvent des membres très actifs au sein de la communauté catholique locale, suppléant parfois les fonctions du prêtre et contribuant au maintien des liens entre les familles catholiques.
En s’installant en Europe, ces fidèles chinois ont certes trouvé un point de chute où continuer à pratiquer leur foi, mais le pays hôte déstabilise à bien des égards les repères spirituels auxquels le support communautaire local les avait habitués. En miroir inversé, leurs enfants, nés ou ayant grandi en Europe, maîtrisant parfaitement la langue de leur pays d’adoption et y étant intégrés, s’avèrent quant à eux moins à l’aise avec les codes culturels de leurs ainés. Le décalage générationnel et culturel est notamment patent dans la maîtrise relative d’une partie de cette jeunesse du mandarin, langue de la célébration de la messe au sein des communautés chinoises. C’est ainsi que certains intègrent les paroisses locales quand d’autres s’éloignent tout bonnement de la tradition religieuse familiale.
Une de mes informatrices, émigrée en Europe avec son mari et dont les enfants ont suivi toute leur scolarité dans leur pays d’accueil, me confiait ainsi ses inquiétudes quant à la transmission de la pratique du catholicisme à sa progéniture :
Quand ils étaient petits mes enfants étaient très obéissants, ils faisaient tout ce que je leur disais, mais maintenant ils ont leur propre mentalité et leur foi baisse de plus en plus. Ils me demandent de leur expliquer scientifiquement les choses, ce que je ne peux pas faire. Donc je prie Dieu pour qu’ils trouvent leur voie.
Un réel dynamisme religieux
Pourtant, une jeunesse catholique d’origine chinoise en Europe est bien vivante, dynamique et solidement ancrée dans la foi.
Interrogée autour de son expérience et de ses motivations pour la pratique du catholicisme, une jeune étudiante me confiait :
Au cours des six dernières années, j’ai retrouvé la foi, ma mère m’a beaucoup aidée, elle ne me force pas, mais elle est mon exemple. J’ai eu des expériences et j’ai senti ce don, l’aide du Seigneur. Mes amis dans ma paroisse me soutiennent beaucoup, dans ma vie et mes études.
Un jeune prêtre chinois, originaire du sud de la Chine et désormais curé adjoint au sein d’une paroisse locale, m’expliquait ainsi l’importance de la foi dans son existence :
C’est une partie de la vie. Ce n’est pas l’intégralité mais c’est une chose non négligeable, parce que la foi nous donne la force et des réponses claires. Je pense que, si je n’avais pas la foi, la vie serait assez effrayante. Maintenant la société chinoise est très matérialiste, c’est une société malade, où l’importance de la foi et de la religion est évidente.
Si les témoignages précédents concernent des jeunes issus de familles traditionnellement catholiques depuis des générations, nombreux sont les jeunes chinois qui se rapprochent de la foi et s’engagent dans la communauté catholique en recevant le baptême. A la question de savoir comment elle s’était rapprochée du catholicisme, une jeune professionnelle chinoise, baptisée à Pâques à la cathédrale de Milan lors d’une cérémonie présidée par l’archevêque, répondait avec enthousiasme :
Par curiosité, et en suivant la grand-mère et la mère d’un ami à la messe. C’était intéressant. J’étais un peu prudente parce que je ne savais pas grand-chose, et puis j’ai toujours entendu des choses négatives quand j’étais enfant, mais ensuite j’ai vu…
Un jeune étudiant, issu d’une famille de hauts fonctionnaires et animé par un sentiment antireligieux dans son pays d’origine, m’expliquait ainsi comment en arrivant en Europe dans le cadre de ses études, il s’était rapproché du catholicisme :
Grâce à un magazine bilingue, qui raconte l’histoire de la communauté catholique chinoise de la ville, que j’ai trouvé à la bibliothèque de mon quartier. Cette bibliothèque a un accord avec la bibliothèque de Shanghai, ce qui permet de trouver des livres en chinois. Un ami italien catholique m’a aussi parlé de la communauté, mais j’étais contre au début lorsque j’ai entendu parler de religion.
Désormais la foi a une part très importante dans la vie de ces deux jeunes. Mon interlocutrice, mariée à un catholique italien très pratiquant, me livrait son sentiment par rapport à son engagement spirituel :
Je pense que la foi a une influence positive sur les attitudes et les comportements des gens. Toutes les personnes que je connais sont attentives aux autres et d’un grand soutien quand j’ai besoin.
Après avoir surmonté ses réticences vis-à-vis de la religion, l’étudiant cité précédemment a demandé le baptême et s’est beaucoup investi au sein de la paroisse chinoise. Il m’expliquait ainsi le sens de la foi dans son existence :
C’est un ajustement, quelque chose de magnétique, un guide qui peut vous mettre sur la bonne voie. Ce n’est pas une force par la force. Le catholicisme m’a permis de faire le lien dans ma vie avec mes connaissances passées. Il vous permet de connaître la vie, d’avoir des relations correctes avec d’autres personnes et de trouver la révélation.
Au vu de l’engagement spirituel de ces jeunes et de leur envie de partager leurs valeurs avec les jeunes catholiques européens, nous n’avons qu’à souhaiter que les communautés locales s’investissent véritablement dans l’accueil de cette jeunesse, dans l’esprit de l’un des textes modernes les plus importants du Vatican concernant la question migratoire, l’instruction Erga Migrantes Caritas Christi : « Cette intégration est la condition essentielle pour que la pastorale, par et avec les migrants, devienne signe d’une Eglise universelle et missio ad gentes, lieu de rencontre fraternelle et pacifique, maison ouverte à tous, école de communion offerte et acceptée, de réconciliation demandée et accordée, d’accueil fraternel et de solidarité, ainsi que d’authentique promotion humaine et chrétienne. »1.
- EMCC, Présentation. ↩︎