Indonésie

[En direct] Père Atmo, séminaire de Bandung : « Il y a une très grande euphorie parmi les catholiques »

Le père Thomas Kristiatmo enseigne la théologie dogmatique au grand séminaire de Bandung, à 120 km de Jakarta. Le père Thomas Kristiatmo enseigne la théologie dogmatique au grand séminaire de Bandung, à 120 km de Jakarta. © Ad Extra
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Reportage au grand séminaire de Bandung, appelé « Seminari Fermentum », qui compte plus de 50 séminaristes pour un diocèse comptant près de 100 000 catholiques, soit moins de 5 % de la population locale. À quelques jours de la messe que le pape célébrera au stade de Jakarta, ce jeudi 5 septembre, le père Thomas Kristiatmo, docteur en théologie dogmatique, accueille deux journalistes d’Ad Extra pour évoquer la formation des futurs prêtres en Indonésie, le dialogue interreligieux, les défis et forces de l’Église locale, et les enjeux de la venue du pape François en Indonésie.

Le séminaire de Bandung a été fondé en 1997 et compte 51 séminaristes cette année.
Le séminaire de Bandung a été fondé en 1997 et compte 51 séminaristes cette année.
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Le grand séminaire du diocèse de Bandung se trouve à environ 120 km à l’est de Jakarta, dans un quartier résidentiel, au milieu d’un réseau de ruelles et de rues étroites en périphérie de la ville. Un havre de paix qui compte quelques petits bâtiments de style indonésien, et un jardin avec quelques fontaines, quelques tortues et quelques chapelles.

Le père Thomas Kristiatmo, docteur en théologie dogmatique, enseigne au séminaire de Bandung. Il nous accueille avec un grand sourire aux grilles du séminaire, dans la chaleur humide de cette fin d’août. Il nous fait faire le tour des lieux et nous explique le cursus suivi par les étudiants, en visitant les lieux principaux du séminaire, dont la cuisine (« la pièce la plus importante du séminaire ! », explique-t-il).

Le prêtre, qui se fait appeler « Atmo » au séminaire, a étudié à l’Université grégorienne à Rome, où il a obtenu un doctorat en théologie. Il raconte que durant l’été 2020, il est déjà venu à Paris où a été logé chez les Lazaristes ; il ajoute que quelques prêtres indonésiens étudient actuellement à Paris où sont logés par les Missions Étrangères de Paris, rue du Bac. Formé à Bandung, il est passé par plusieurs paroisses du diocèse avant d’être envoyé par son évêque pour poursuivre ses études à Rome. Il est ensuite revenu pour enseigner.

En nous faisant visiter le séminaire, il nous guide dans une première maison, le bâtiment principal. On y croise un groupe de jeunes, dont deux séminaristes et quelques servants d’autel venus d’une paroisse voisine. L’année universitaire débute ce lundi 2 septembre. Le lundi, tout le monde se rassemble pour les repas et la prière commune ; les autres jours, les séminaristes se séparent en différentes unités de 5 à 8 étudiants.

Le séminaire actuel, lancé en 1997, compte plus de 50 séminaristes

Au total, cette année, ils sont 51 séminaristes (en comptant les neuf membres de l’année spirituelle, correspondant à l’année propédeutique en France). Le père Atmo nous guide ensuite dans la chapelle principale du séminaire. En continuant la visite, il explique que tous les séminaristes et les pères du séminaire participeront à la messe du pape, le 5 septembre à Jakarta, et à la rencontre avec le pape prévue le 4 septembre dans la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption (appelée « Santa Maria Diangkat ke Surga » en indonésien).

Plus loin, dans le bâtiment principal, on croise les portraits des évêques successifs du diocèse de Bandung, dont le cardinal de Ignatius Suharyo Hardjoatmodjo, archevêque de Jakarta, qui fut administrateur apostolique du diocèse de Bandung. Le séminaire de Bandung a débuté ses activités sur le site actuel en 1997. Les bâtiments sont récents. Avant, les séminaristes de Bandung étaient formés ailleurs. Le cursus est assez long : l’année spirituelle, puis quatre ans de premier cycle, puis un an en paroisse, deux ans de deuxième cycle, puis encore un an en paroisse. Donc environ neuf ans au total.

Puis le père nous guide dans le jardin qui entoure les différents bâtiments. À un coin se trouvent une fontaine et une statue de saint Jean-Baptiste. Le père explique que les séminaristes aiment se retrouver là pour partager leurs expériences pastorales, discuter de leurs études… Les différentes maisons qui logent les séminaristes sont conçues de manière identique, dans un style indonésien, avec des charpentes en bois. Deux autres petites chapelles permettent aux séminaristes de prier en plus de la chapelle principale, notamment pour la première année qui reste séparée des autres.

Dans le jardin, le père croise le jardinier du séminaire avec lequel il échange quelques mots en souriant. Puis on traverse le terrain de sport, aussi essentiel que la cuisine assure-t-il. Le père explique que le diocèse compte entre 3 et 5 prêtres ordonnés chaque année. Il précise que c’est plutôt moins bien que la moyenne en Indonésie, sur l’ensemble des diocèses. Il termine sa visite dans la maison principale, dans une salle aux grandes vitres donnant sur le jardin, où commence notre entretien.

Plusieurs initiatives interreligieuses existent à Bandung, notamment au moment de la fête nationale de l'indépendance..HEIC
Plusieurs initiatives interreligieuses existent à Bandung, notamment au moment de la fête nationale de l’indépendance.
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Dialogue interreligieux : « Depuis une vingtaine d’années, les choses ont changé »

Interrogé sur le dialogue interreligieux en Indonésie, il se réjouit qu’avec la visite du pape, une rencontre soit prévue entre les différentes communautés catholiques, musulmanes, bouddhistes… Cela dit, il précise qu’« en théorie, tout va bien, mais en réalité, tout n’est pas si parfait », confie-t-il, en expliquant par exemple que le séminaire est entouré de cinq mosquées, toutes équipées de haut-parleurs qui fonctionnent à plein volume pour les prières quotidiennes. « Ils veulent se confronter à nous », lance-t-il avec le sourire, avant d’enchaîner avec un éclat de rire.

Il cite malgré tout quelques initiatives locales, au séminaire de Bandung, pour soutenir le dialogue. Le 17 août, à l’occasion de la fête nationale de l’indépendance de l’Indonésie, les portes du séminaire sont ouvertes aux habitants défavorisés du voisinage, majoritairement musulmans, pour célébrer la fête nationale ensemble. « On a de très bonnes relations, nous coopérons très bien pour célébrer cela. Sur ce plan, tout va bien. On a de très bons échanges avec tout le monde », explique-t-il.

Il ajoute qu’un autre quartier du voisinage compte des chrétiens plus aisés et qu’ils essaient de créer des brèches entre les deux groupes. Il assure que la plupart du temps, tout va plutôt bien. « Jusqu’avant la pandémie, on avait des cours du dimanche pour les enfants musulmans du quartier ; les séminaristes les aidaient pour des matières qu’ils étudient à l’école. Les relations sont bonnes, donc. Mais cela devient plus difficile de dialoguer quand il s’agit par exemple de construire des églises, ce qui est presque impossible à obtenir. »

Après des années de lobbying, ils peuvent certes obtenir des permis, mais il assure que c’est très long et difficile à obtenir. C’est pourquoi il précise que « dans une paroisse, il y a environ 11 000 catholiques, et il y a de très nombreuses messes pour pouvoir rassembler tout le monde ».

Il reconnaît qu’en général, « nous n’avons aucun problème ». « J’ai d’ailleurs grandi dans un quartier musulman. Il n’y avait que cinq ou six familles chrétiennes, et nous vivions en harmonie. Mais récemment, depuis une vingtaine d’années, les choses ont changé. Il y a beaucoup de mouvements fondamentalistes musulmans dans la société », explique-t-il, en précisant qu’il n’y a aucun problème avec les hindouistes, les bouddhistes ou les confucianistes.

Formation : « Le plus grand défi vient des difficultés familiales passées des séminaristes »

On compte environ 100 000 catholiques dans le diocèse de Bandung, ce qui représente moins de 5 % de la population du diocèse. Sur le plan des vocations, entre 2018 et 2020, on compte 1429 séminaristes en 2018, 1624 en 2019, 1567 en 2020. En cinq ans, il explique que leur nombre est resté constant en Indonésie. Statistiquement parlant, il confie pourtant que « la croissance du nombre de prêtre ne peut suffire face à la croissance de la communauté catholique, donc on compte de plus en plus de fidèles pour un prêtre », explique-t-il.« C’est pourquoi il y a effectivement un manque de prêtres en Indonésie. »

Par ailleurs, il évoque d’importants défis à dépasser durant la formation des futurs prêtres dans le pays. « Nous savons que le plus grand défi vient des difficultés familiales dans le passé des séminaristes. Si un jeune arrive au séminaire et qu’il vient d’une famille brisée, c’est difficile pour nous de trouver comment l’aider. Il faut parvenir à faire croître la maturité humaine, à identifier les expériences passées et à les convaincre qu’ils sont aimés. Parfois, cela demande des années. C’est la plus grande difficulté. C’est lié à la société et à la jeunesse en général. »

Le pape à Jakarta : « Il y a bien sûr une très grande joie »

Par ailleurs, le père Atmo assure qu’il y a « une très grande euphorie parmi les catholiques » vis-à-vis de la visite du pape. De manière générale, les réactions des autres communautés religieuses sont aussi plutôt positives. Il apprécie également le message donné par le cardinal de Jakarta aux fidèles. « Le cardinal se réjouit que tout le monde soit heureux que le pape vienne, c’est très bien. Il y a bien sûr une très grande joie. Mais par-dessus tout, il insiste sur le fait que nous devons étudier sa pensée, ses enseignements. »

C’est pourquoi, au-delà de l’euphorie que l’on peut voir dans toutes les églises, où le Salve Regina est chanté tous les jours, avec des chapelets, des répétitions de chorales, etc., « il y a aussi beaucoup de conférences, séminaires et discussions sur la pensée et la vie du pape François ». « Pour moi, c’est la clé pour bien célébrer sa venue en Indonésie. La semaine dernière, je participais à une table ronde organisée par le diocèse, et presque 200 personnes ont participé. J’ai dit que le plus important, c’est que le pape cherche à lutter contre la globalisation de l’indifférence, pour répandre la miséricorde. Il faut agir pour cela. Nous sommes pardonnés », poursuit-il.

« C’est quelque chose de très important pour nous en Indonésie. Face au fondamentalisme musulman, il y a aussi une tendance au conservatisme catholique, avec par exemple des communautés catholiques qui préfèrent célébrer la messe traditionaliste en latin. Cela arrive, et il faut trouver une réponse. Le pape apporte justement la médecine de la miséricorde. C’est pourquoi nous avons choisi la devise ‘foi, fraternité et compassion’ pour la visite du pape à Jakarta. C’est ce que nous voulons soutenir avec sa visite, plutôt que le conservatisme. Si vous voulez construire des ponts entre les communautés, ce n’est possible que si vous avez la compassion dans votre cœur. »

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Un catholique indonésien en prière dans une chapelle, à l’extérieur de la cathédrale de Bandung.
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L’Église catholique en Indonésie, « plus mature et plus autonome »

À propos des faiblesses et des forces de l’Église catholique en Indonésie, le père Atmo estime qu’au niveau des forces qu’il peut citer, la communauté locale commence peu à peu à être autonome et plus mature. « En termes de finances, nous parvenons à être autonomes, sans être dépendants d’autres pays. Concernant les ressources humaines, maintenant, nous n’avons plus beaucoup de missionnaires étrangers, mais nous avons nos propres prêtres. Ce sont deux signes d’une Église plus mature. »

Concernant les faiblesses, il explique qu’« en tant que théologien, nous devons développer notre propre théologie locale ». « C’est important, parce que cela peut être une réponse à la tendance au conservatisme dans l’Église en Indonésie, même si cela reste une minorité », ajoute-t-il. Il invite par exemple à aller plus loin concernant l’inculturation : « J’estime qu’en termes d’inculturation, ce qui est fait n’a pas toujours beaucoup de sens. Quand on parle d’inculturation, on évoque surtout quelques danses traditionnelles avant la messe, ou pour l’offertoire pour apporter le pain et le vin à l’autel avec quelques tenues décoratives. »

Le père Atmo conclut avec le triple dialogue, essentiel en Asie, avec les autres religions, avec les autres cultures et avec les pauvres, et qu’il estime être une force pour la jeune Église indonésienne. « En général, en Indonésie, ces trois questions sont traitées de manières adaptées, pas toujours de manière excellente, mais nous faisons de notre mieux ! »

(Ad Extra)