Birmanie

Un prêtre commente la crise en Birmanie : « Nous sommes vraiment dans ce que nous devons faire »

Des religieuses catholiques manifestent dans la rue en Birmanie. Pour le père Aung Kyaw Thun, les religieuses birmanes sont « extrêmement courageuses et résilientes » malgré la crise. Des religieuses catholiques manifestent dans la rue en Birmanie. Pour le père Aung Kyaw Thun, les religieuses birmanes sont « extrêmement courageuses et résilientes » malgré la crise. © Sisters of St. Joseph of the Apparition Myanmar / Facebook
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 « Une fois de plus, le monde semble laisser tomber un peuple désespéré », a déclaré récemment Tom Andrews, rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme en Birmanie. Le père Aung Kyaw Thun (nom d’emprunt) décrit la situation en Birmanie depuis le coup d’État de février 2021. Alors que la guerre civile semble s’enliser, le prêtre décrit les peines du peuple birman qui reste « courageux et résilient », mais aussi les humbles joies quotidiennes des communautés chrétiennes locales qui résistent à la crise.

En quelques mots, comment la situation évolue-t-elle en Birmanie ? La guerre civile semble s’enliser… Il n’y a aucune résolution en vue ?

Une des choses assez remarquables en ce moment, c’est que la junte a besoin d’argent. Les militaires prennent de l’argent partout où ils le peuvent. J’ai entendu parler de l’arrestation de mille agents de change, parce qu’ils ont besoin de liquide.

La situation n’est pas bonne. L’année dernière en octobre, il y a eu l’alliance des ethnies du Nord, puis un cessez-le-feu géré par la Chine – qui trouve son intérêt des deux côtés ! Aujourd’hui, ils continuent à se battre. Il y a encore des exactions dans bon nombre de régions et les militaires divisent pour mieux régner, en favorisant les uns et en donnant des pots-de-vin à d’autres. C’est pourquoi des « rebelles » se battent parfois entre eux.

De son côté, la junte a la force aérienne. Tous les six mois, les gens disent qu’il va se passer quelque chose, et finalement, de mois en mois, malgré les combats et les alliances, il n’y a aucune résolution du conflit. Pour l’instant je n’y crois pas du tout, en tout cas pas dans un avenir proche.

L’inflation est dure à supporter ?

Cela devient vraiment difficile. Pendant que les combats se poursuivent, les prix continuent d’augmenter, ce qui est très compliqué pour les gens au quotidien, pour l’achat de riz ou d’essence par exemple… Il y a aussi le problème de l’accès à l’électricité, avec seulement deux ou trois heures de courant par jour, de manière aléatoire.

Si vous vivez dans un village qui est déjà sans électricité, vous ne voyez pas la différence, mais dans une ville ou même un village où tout fonctionne normalement à l’électricité, c’est tout de même lourd à vivre au quotidien. Ce qui est inquiétant aussi, c’est le manque de communication qui risque de s’aggraver. Depuis le coup d’État, Facebook est bloqué ainsi que plusieurs messageries, même si avec un VPN [réseau privé virtuel] on peut s’en sortir pour le moment.

C’est dur aussi de voir qu’à l’étranger personne n’en parle…

Les gens s’y sont faits. C’est un conflit oublié. Malgré les 7 000 civils tués depuis le coup d’État, nous sommes loin des chiffres de conflits plus meurtriers et plus proches de l’Occident. Il y a des exactions tout le temps, toutes les semaines. Les informations nous parviennent par le bouche-à-oreille, davantage que par les journaux. Les gens n’attendent plus rien de la communauté internationale.

Ils sont aussi inquiets vis-à-vis des conscriptions forcées des jeunes dans l’armée. À tout moment, la junte peut poser des questions, c’est un moyen de pression sur les familles. Si un jeune n’est pas enrôlé, il peut y avoir des représailles. Il y a aussi beaucoup de fausses informations qui circulent, parfois contradictoires. Cela dit, la vie continue malgré tout, et je pense que les gens et la jeunesse n’ont pas du tout baissé les armes. Ils ont abandonné l’idée qu’on allait les aider, mais c’est loin d’être terminé.

Le pays semble très divisé, indépendamment de la junte ?

La junte n’est pas en forme et les groupes ethniques se sont renforcés dans beaucoup d’endroits, mais il n’y a pas d’union ni de personnage charismatique, sans compter l’appréhension de ce qui peut arriver si la junte n’est plus là : que construire ensuite ? Les Birmans essaient de ne pas trop penser à cela, même si certains y travaillent d’arrache-pied, comme le gouvernement en exil [NUG].

Il y a aussi le problème de l’éducation en Birmanie, la situation est dramatique. Dans des structures ecclésiales où des sœurs ou des paroisses peuvent accueillir les enfants, c’est déjà difficile, mais combien d’enfants birmans sont livrés à eux-mêmes, sans éducation depuis quatre ans ? L’avenir semble sombre pour le pays.

Sur la question de l’unité, cela dit, le NUG travaille avec des gens de toutes les ethnies. Il y a aussi une détestation de la junte par la grande majorité. C’est un élément d’unité de base, même si évidemment, ce ne sera pas suffisant pour reconstruire quelque chose de viable.

Concernant les appels officiels à la paix de l’Église locale, c’est difficile à entendre ?

Oui. C’est vrai qu’un cardinal ou un évêque ne peut pas demander de prendre les armes et c’est parfois difficile à comprendre pour les fidèles, particulièrement pour la jeunesse, parce que bon nombre d’entre eux sont montés en première ligne et se sont fait tuer… Le discours sur la paix et la prière est vital, beaucoup diront qu’il faut néanmoins se battre pour leur survie, pour la démocratie.

Bien sûr, un évêque ou un archevêque qui a une parole publique ne peut pas dire cela. Certains évêques dénoncent le mal sans nommer les militaires… Cela dit, l’Église présente reste avec les fidèles et les Birmans par le bas : les prêtres et les religieuses restent pour aider. L’Église a été et est là, elle accompagne. Les prêtres restent tant qu’ils peuvent dans les villages, même s’il y a des combats. C’est pareil pour les religieuses, qui sont extrêmement courageuses et résilientes.

Dans ce contexte, comment arrivez-vous à continuer votre mission, sans vous laisser abattre ?

Déjà en ne lisant pas l’actualité ! Il faut aussi imaginer tous les matins une église remplie, pleine d’enfants, avec des gens qui recréent une ambiance familiale, et où le prêtre a son importance, comme un père de famille. Nous sommes vraiment dans ce que nous devons faire.

Il ne s’agit pas tant d’être dans le faire que simplement d’être avec eux, partager les joies et les peines, trouver de la nourriture, s’occuper du matériel et du spirituel, tout cela sous le regard de la Sainte Vierge. Je vois les mamans, les femmes qui prient tous les jours le chapelet pour le pays, pour leur famille. La prière est fondamentale, et c’est très beau parce que cela se fait en famille. La messe est vraiment célébrée avec tout le monde, des tout-petits aux plus âgés. C’est ce qui me donne du courage.

Les gens gardent malgré tout une joie de vivre. Je pense en particulier aux enfants, qui aident aussi beaucoup parce qu’ils ont une capacité d’adaptation étonnante. Le quotidien reprend le dessus avec les petites préoccupations de tous les jours. Cela permet d’oublier un peu les problèmes du pays ou les perspectives d’avenir bouché.

(Propos recueillis par Ad Extra)