« Le Vietnam n’est pas un précurseur pour l’avenir des relations sino-vaticanes »

Mgr Paul Gallagher, secrétaire du Saint-Siège pour les Relations avec les États, devant la cathédrale de Saïgon lors de sa visite au Vietnam en avril. Mgr Paul Gallagher, secrétaire du Saint-Siège pour les Relations avec les États, devant la cathédrale de Saïgon lors de sa visite au Vietnam en avril. © giaophanthaibinh.net
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L’été dernier, le Vietnam et le Vatican ont franchi une nouvelle étape vers des relations diplomatiques officielles. La prochaine pourrait être une visite du pape, ce qui favoriserait une nouvelle ère pour Hanoï selon les analystes. Le président sortant Vo Van Thuong a invité le pape officiellement l’an dernier, en même temps que la signature de l’accord sur le nouveau représentant pontifical résident. Pourtant, certains comme l’universitaire Bradley Murg estiment que « la grande question est de savoir si le Vietnam est un précurseur de la Chine : selon moi, la réponse est non ».

Mgr Marek Zalewski, arrivé à Hanoï le 31 janvier, est le premier représentant pontifical résident à assumer cette fonction depuis la fin des liens diplomatiques entre le Saint-Siège et le Vietnam en 1975. « Quelles que soient les questions qui continueront d’affecter les relations bilatérales, elles seront désormais traitées directement entre le représentant pontifical et le gouvernement vietnamien », estime Carl Thayer, professeur émérite de l’université de New South Wales en Australie.

Avec des relations diplomatiques officielles, la liberté religieuse ne serait plus un problème pour les quelque 7 millions de catholiques vietnamiens, soit 6,6 % de la population, alors que cette question a été un problème politique majeur durant presque un demi-siècle. Mgr Zalewski, un prélat polonais de 60 ans, a été nommé à Hanoï peu après la signature de l’accord sur le représentant pontifical résident.

Pour Mgr Paul Gallagher, secrétaire du Saint-Siège pour les Relations avec les États, cette évolution des relations bilatérales représente un vrai renouveau dans l’attitude du Vietnam envers la communauté internationale et l’Église catholique. Il souligne que le Vatican espère voir les autorités vietnamiennes encouragées à « poursuivre sur la voie d’une plus grande liberté religieuse, même s’il y a bien sûr encore du travail ».

Selon lui, il faudra encore « quelques étapes supplémentaires » avant qu’un voyage pontifical puisse avoir lieu. Carl Thayer estime que les voyages de deux diplomates éminents du Vatican (celui de Mgr Gallagher qui a eu lieu ce mois-ci, et celui du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, qui devrait avoir lieu dans l’année) devraient permettre de faire progresser cela.

« Le Vietnam reconnaît le rôle positif de l’Église locale dans la vie sociale »

Mgr Zalewski, à son arrivée le 31 janvier à Hanoï.
Plusieurs évêques vietnamiens accueillent Mgr Marek Zalewski, représentant pontifical résident, à son arrivée à Hanoï le 31 janvier 2024.
© tonggiaophanhanoi.org / Ucanews

« Le statut de la communauté catholique a été officialisé ; les cadres du Parti communiste vietnamien et les autorités gouvernementales reconnaissent aujourd’hui le rôle positif de l’Église locale dans la vie sociale, à travers les œuvres caritatives, la santé et l’éducation », ajoute Carl Thayer.De plus, l’Église peut acheter des biens et construire des églises, précise-t-il en soulignant que les séminaires ordonnent des prêtres tandis que le gouvernement vietnamien a peu à peu levé les restrictions sur le nombre de séminaristes et de prêtres ordonnés.

Carl Thayer ajoute que la normalisation des relations permettrait de renforcer le statut et le prestige du Vietnam auprès de la communauté internationale. Notamment auprès du gouvernement américain, alors que la Commission des États-Unis sur la liberté religieuse internationale cite le Vietnam comme un « pays particulièrement préoccupant » dans son rapport annuel. Une désignation que le Vietnam aimerait voir supprimée.

Le frère James Rooney, professeur adjoint de philosophie à l’Université Baptiste de Hong-Kong et membre de l’ordre dominicain, assure que les catholiques du monde entier réagiraient favorablement à une normalisation des liens avec le Vietnam. « Je pense qu’on pourrait comparer cette situation avec la visite de Jean-Paul II en Pologne en 1979, même si le contexte est différent. Cette façon de tendre la main au gouvernement vietnamien est à peu près similaire à la stratégie que l’on peut voir en Chine, et que d’autres ont appelé un renouveau de l’Ostpolitik [les relations diplomatiques du Vatican avec les États communistes du bloc de l’Est jusqu’à la dislocation]. C’est un genre d’apaisement des relations en vue d’obtenir la liberté et la normalisation de la vie catholique dans ces pays. »

Ses sentiments sont partagés par Bradley Murg, universitaire et membre du Pacific Forum (institut de recherche sur la politique étrangère axé sur l’Indo-Pacifique), qui souligne que le pape François, dans les négociations entre le Vatican et le Vietnam, est avant tout préoccupé par l’attention pastorale envers les catholiques vietnamiens. « Les vaticanistes disent tous que le pape veut se rendre au Vietnam, que le pape voit l’Asie comme l’avenir de l’Église. »

« Clairement, la stratégie du Vatican en Chine est la même qu’au Vietnam »

Au Vatican, au Vietnam et en Chine, de nombreux observateurs se sont aussi demandé si l’accord sur la nomination de Mgr Zalewski et les perspectives d’un voyage pontifical au Vietnam pourraient favoriser de meilleures relations entre le Saint-Siège et la Chine. Mgr Zalewski, un diplomate expérimenté du Saint-Siège, a été nommé au Vietnam en même temps que la nomination d’un autre évêque catholique en Chine, avec l’accord du Vatican.

Il s’agissait de la troisième consécration épiscopale dans le pays communiste en seulement sept jours, en janvier dernier. « Clairement, la stratégie est la même en Chine », confie le frère James Rooney. « Les diplomates du Saint-Siège ont essayé d’imiter le modèle vietnamien en Chine, et c’est un signe de ce qu’ils voudraient voir arriver en Chine continentale », ajoute-t-il, même s’il reconnaît que la Chine et le Vietnam sont bien différents. « Même si un contrôle significatif est exercé au Vietnam sur l’Église et si le gouvernement reste officiellement athée, l’Église vietnamienne a pu aller au-delà d’un accord sur la nomination des évêques, et elle jouit d’une plus grande liberté », explique-t-il.

De son côté, Bradley Murg évoque les violations de l’accord « historique » de 2018 entre le Vatican et la Chine. L’accord a été renouvelé pour deux ans en 2020 et 2022, et il devrait être à nouveau renouvelé cette année. « Les Vietnamiens ont eu besoin de 25 ans de travaux et d’échanges avec le Saint-Siège, cela a été un long processus pour construire la confiance entre l’apaisement des restrictions, les engagements mutuels et les visites de chefs d’État vietnamiens à Rome. Un quart de siècle d’amélioration constante et régulière », poursuit-il.

Mgr Zalewski, à son arrivée le 31 janvier à Hanoï.
Mgr Zalewski, à son arrivée le 31 janvier à Hanoï.
© giaophanthaibinh.net

Mais pour lui, comparer cela à la Chine, qui a violé l’accord de 2018 avec Rome à plusieurs reprises, est limité. Il rappelle que « le Vietnam est un petit pays par rapport à la Chine ». « Quand un président vietnamien va à Rome, cela donne une bonne image, mais la Chine – vu sa taille et son influence – n’en a pas autant besoin. La grande question est celle-ci : est-ce que le Vietnam est un précurseur de la Chine ? Selon moi, la réponse est non. Le Vietnam n’est pas un modèle pour l’engagement chinois avec le Vatican. »

Les liens patients initiés au Vietnam, une consolation pour l’avenir des relations avec Pékin ?

Les relations multilatérales entre la Chine, le Vietnam, le Vatican et l’Occident ont été affectées par la politique de Pékin et du président Xi Jinping ces dernières années, alors que l’idéologie communiste athée a été renforcée dans un contexte économique plus défavorable. Selon Carl Thayer, le Vatican pourrait malgré tout utiliser les relations avec le Vietnam, en particulier dans le cadre d’une visite pontificale au Vietnam, pour tenter une nouvelle approche en Chine, où le catholicisme est reconnu mais seulement pour les églises enregistrées officiellement.

Mais la situation reste à ce jour inchangée depuis 1951, quand le pouvoir communiste était en plein essor et que la religion était anathème, entraînant un système oppressif qui a été particulièrement ressenti par les catholiques, les protestants et les musulmans ces dernières années, face à une nouvelle vague de répression de la part de Xi. « Alors que la Chine est susceptible de rejeter des éléments du modèle vietnamien comme le fait de permettre à l’Église de nommer ses propres responsables, le Vatican pourrait aussi considérer que les liens patients et progressifs initiés avec le Vietnam en 1990 pourraient offrir une certaine consolation concernant la Chine », ajoute Carl Thayer.

Ce dernier cite en exemple le Groupe de travail conjoint Vietnam-Vatican, établi en 2009 comme un groupe de dialogue régulier, et le fait que le pape François a appelé les catholiques vietnamiens à être « de bons chrétiens et de bons citoyens » tout en saluant le gouvernement du Vietnam pour sa coopération.

Le Vatican voudra démontrer, via ses relations avec le Vietnam, que sa stratégie fonctionne

Depuis la fin de la Guerre Froide en 1989, la Chine a utilisé son poids économique en hausse afin d’exercer son influence dans le monde. Cette influence perd du poids en même temps que les Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative – vaste programme d’investissement le long des anciennes routes de la soie).

Contrairement aux pays voisins – Cambodge et Laos –, le Vietnam n’a pas choisi les seuls investisseurs chinois pour soutenir sa croissance économique. En fait, son économie en pleine progression s’est plutôt concentrée sur les exportations vers l’Occident, avec notamment presque 100 milliards de dollars par an rien que pour les États-Unis. Les exportations vers la Chine, alors les anciennes hostilités demeurent entre les deux pays, sont presque deux fois plus faibles.

Le Vietnam n’a pas non plus tenté d’infiltrer les cultures occidentales et sa diaspora via des instituts Confucius qui ont servi de propagande chinoise et fait tourner au vinaigre les relations entre Pékin et les gouvernements occidentaux. Au contraire, selon les analystes, le Vietnam a maintenu une politique de la porte ouverte via le commerce international, qui a eu un fort impact sur le paysage culturel et religieux.

Selon James Rooney, « les choses vont plutôt dans la bonne direction ». « Le Vietnam cherche les échanges commerciaux avec d’autres pays, en particulier les États-Unis. Il n’y a pas d’Association patriotique des catholiques au Vietnam ; les réseaux de communication avec le Saint-Siège sont ouverts, sans ingérence ou perturbation apparente ».

« J’ai eu quelques échos affirmant que la situation n’est pas pour autant au beau fixe. Cependant, j’interpréterais leur ouverture envers une visite pontificale comme un signe clairement positif sur ce que cela pourrait présager pour les catholiques vietnamiens », ajoute-t-il. « Bien sûr, le corps diplomatique du Vatican voudra démontrer, via ses relations avec le Vietnam, que sa stratégie fonctionne. Et cela fait partie de ce qu’apporte une telle visite papale : revendiquer publiquement que l’Église est accueillie et fait la paix avec le Vietnam. »

(Avec Ucanews / Luke Hunt)