Bangladesh

Reportage à Dacca : le Bangladesh frappé par une épidémie de dengue sans précédent

Dans la salle-dortoir des femmes, Sabina Yasmin, une mère au foyer de 42 ans, veillée par sa fille, souffre à la fois de la dengue et de la fièvre typhoïde. © A. R.
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Le Bangladesh est frappé par une épidémie de dengue historique, qui provoque un nombre record de victimes et de malades. Cette épidémie historique est attribuée au dérèglement climatique, qui aurait renforcé la prolifération des moustiques Aedes, principaux vecteurs du virus. La dengue ne se limite plus à une saison ni à une zone géographique. Ce mois de décembre compte des milliers de cas actifs, alors que la maladie était inexistante à cette période par le passé. Reportage dans l’hôpital public de Kurmitola, à Dacca.

En ce début du mois de décembre, dans le bourdonnement des pulvérisateurs, d’épais nuages grisâtres à l’odeur toxique envahissent sporadiquement les rues bondées de Dacca, la capitale du Bangladesh. Les habitants restent de marbre car ils savent que cette mesure sanitaire est destinée à éliminer les moustiques porteurs du virus de la dengue, devenus cette année plus meurtriers que jamais, et même résistants à certains insecticides utilisés au Bangladesh.

Pour la première fois, et malgré l’absence d’un décompte officiel avant l’an 2000, le Bangladesh fait face à une épidémie de dengue sans précédent. Le dérèglement de la mousson et la hausse des températures favorisent la reproduction des moustiques « Aedes », qui transmettent le virus à l’homme. Cette année, depuis le 1er janvier 2023, 1 676 personnes ont été emportées par la dengue, contre 281 en 2022. Rien que le 12 décembre, on comptait 7 décès et 349 nouveaux patients hospitalisés. Le bilan des personnes hospitalisées atteint le chiffre spectaculaire de 318 305.

Dans la capitale, au grand hôpital public de Kurmitola, il y a encore foule dans les sections réservées au dépistage des symptômes de la dengue et aux malades infectés. Près de 80 patients sont alités dans deux salles-dortoirs, l’une pour les hommes et l’autre pour les femmes. D’ordinaire, le virus frappe principalement entre le mois de juillet et le mois de septembre, puis il disparaît avec le retrait des pluies de la mousson.

Désormais, la situation est très différente. « Les moustiques, qui hibernaient en hiver, se retrouvent à présent tout au long de l’année », explique le docteur Sayeef Hussain Khan Mark, dans l’hôpital, où il est dévoué à cette bataille contre le virus. « Cette année, nous avons eu quelques cas dès le mois de janvier, puis la forte saison de la dengue a débuté en mai, deux mois plus tôt que prévu, pour culminer en juillet et en août ». Le système de santé du Bangladesh a été pris par surprise. Alors face à l’afflux des malades qui ont submergé les hôpitaux, des services dédiés aux patients souffrant de la dengue ont dû être improvisés à la va-vite.

« Nous avons des patients qui viennent de villages où la dengue n’avait jamais sévi »

Trente ans plus tôt, la dengue n’était pas même un sujet au Bangladesh. « Puis, au milieu des années 1990, des cas de dengue ont été identifiés à Dacca sous une forme sporadique », affirme le Dr Mohammed Hussein. Ce matin, il fait sa ronde des patients, entouré d’une dizaine d’internes en médecine. « Aujourd’hui, la dengue se développe à travers tout le Bangladesh. Nous avons des patients qui viennent de villages où la dengue n’avait jamais sévi ».

Ali Islam, un jeune homme de 24 ans, veillé par son épouse de 19 ans, Nadya. Ali vient du quartier de Mirpur, à Dacca, où de nombreuses infections ont été identifiées.

Ainsi, d’après les autorités, 65 % des cas enregistrés cette année ont été contractés hors de Dacca. « La dengue a pris une forme épidémique, et le taux de mortalité est beaucoup plus élevé que par le passé. La forme classique de la dengue s’est également modifiée », poursuit le médecin.

Le corps médical de l’hôpital observe notamment des différences dans la prolifération des moustiques vecteurs de la dengue. Avant, avec l’arrivée de la saison des pluies, les eaux stagnantes, dans les rues et recoins mal assainis, créaient des zones propices à leur reproduction.

« Nous savions que ces moustiques étaient attirés par l’eau fraîche, et nous recommandions au public de ne pas conserver d’eau exposée à l’air libre, que ce soit dans une jarre ou des pots de fleurs », explique le Dr Sayeef Hussain Khan Mark. « À présent, nous remarquons que ces moustiques se reproduisent n’importe où. Nous suspectons des mutations. De la même façon, avant, les piqûres de moustiques survenaient en plein jour, mais à présent, les patients peuvent aussi être infectés durant la nuit. »

Allongé sur un lit et sous perfusion, Ali Islam, un jeune homme de 24 ans, reprend doucement le chemin d’une guérison possible. Il est arrivé cinq jours plus tôt dans un état alarmant, avec une fièvre hémorragique. Il a été soigné à temps, et sa santé s’est sensiblement améliorée au cours des deux derniers jours. Le jeune homme est originaire du quartier de Mirpur, à Dacca, où de nombreuses infections ont été identifiées.

« Deux autres membres de ma famille ont déjà eu la dengue », explique-t-il, encore faible. « Moi, j’ai eu de la fièvre, des vertiges et des diarrhées, et quand j’ai réalisé que je saignais du nez, je me suis vraiment inquiété et je suis allé à l’hôpital. » À ses côtés veille son épouse de 19 ans, Nadya, qui ne le quitte pas de la journée, pour être remplacée durant la nuit par son frère. « On a eu très peur », répète la jeune femme en hochant la tête.

« Cette année, certains symptômes sont atypiques »

Les symptômes de la dengue, qui se manifestent de différentes manières, deviennent moins aisés à identifier. La dengue dite « classique » se traduit par de fortes fièvres, des courbatures musculaires et articulaires, des maux de tête, des nausées, des éruptions cutanées, des vomissements, et des saignements dans les cas sévères. « Cette année, certains symptômes sont atypiques », souligne le Dr Sayeef Hussain Khan Mark.

Ali Islam, un jeune homme de 24 ans, veillé par son épouse de 19 ans, Nadya. Ali vient du quartier de Mirpur, à Dacca, où de nombreuses infections ont été identifiées.

« Des patients manifestent des problèmes gastro-intestinaux et des douleurs abdominales, et d’autres des problèmes respiratoires. Le paramètre de la baisse des plaquettes dans le sang n’est plus suffisant, et nous devons aussi scruter la hausse des taux d’hématocrite et la baisse des globules blancs. Quant aux tests sanguins qui servaient à diagnostiquer la dengue, ils sont beaucoup moins fiables », poursuit-il.

« Pour toutes ces raisons, nous n’avons pas toujours pu identifier les cas au début de l’épidémie, et ensuite, c’était trop tard pour les patients », explique-t-il. « À présent, nous sommes extrêmement vigilants et nous mettons en garde les jeunes médecins pour qu’ils vérifient tous les paramètres. Enfin, il y a le syndrome de choc, qui peut être fatal et qui survient plus rapidement. Si les patients viennent des villages pour se faire soigner à Dacca, parfois, nous n’avons pas le temps de les sauver. La dengue peut aussi affecter d’autres parties du corps, comme le cerveau, le cœur, le pancréas ou le foie. »

L’OMS signale une augmentation « spectaculaire » de l’incidence de la dengue

En quelques mois, les médecins ont beaucoup appris. « Depuis, les décès ont diminué parce que nous sommes aussi mieux préparés », admet le docteur. « Ici, cette année, 68 patients ont perdu la vie, ce qui est proportionnellement moins que dans les autres hôpitaux. »

Dans la salle-dortoir des femmes, Sabina Yasmin, une mère au foyer de 42 ans, veillée par sa fille, semble l’avoir échappé belle, bien que sa sortie de l’hôpital ne soit pas encore envisageable. Admise quatre jours plus tôt, épuisée et souffrant de violents maux de tête, elle suspectait la dengue. « Beaucoup de gens ont la dengue dans le quartier où j’habite. Mais quand les docteurs m’ont donné les résultats, j’ai été surprise », raconte-t-elle. « Je n’aurais pas imaginé avoir à la fois la dengue et la typhoïde. » Examinant son dossier médical, le Dr Sayeef Hussain Khan Mark commente : « Nous observons désormais d’autres infections qui accompagnent la dengue, et en particulier la fièvre typhoïde et l’hépatite virale. »

Le Bangladesh n’est pas le seul pays au monde touché par cette flambée du virus de la dengue, initialement assimilé aux climats tropicaux et subtropicaux. Son incidence a augmenté « de façon spectaculaire » dans le monde entier au cours des dernières décennies, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Celle-ci épingle notamment les effets du changement climatique. Des cas sont désormais signalés dans l’Himalaya, comme au Népal, et jusqu’en Europe – en tout dans 24 pays. La maladie a évolué d’un demi-million de cas identifiés en 2000, à 4,2 millions en 2020.

« Si l’épidémie n’est pas maîtrisée, la situation va devenir de plus en plus préoccupante », alerte le Dr Mohammed Hussein. « Nous devons contrôler la dengue en tuant les moustiques présents dans les zones où ils prolifèrent et en détectant les cas le plus tôt possible. Nous sommes inquiets à l’idée que cette maladie pourrait s’installer tout au long de l’année. »

(EDA / A. R.)